Les entretiens

© Yvonne KNIBIEHLER - Claire Mestre 2017 D.G.

Pour un humanisme sexué

Entretien avec Yvonne KNIBIEHLER


Claire MESTRE

Claire Mestre est psychiatre, psychothérapeute, anthropologue, responsable de la consultation transculturelle du CHU de Bordeaux, Présidente d’Ethnotopies, co-rédactrice en chef de la revue L’autre.

Emmery G, Knibiehler Y, Leguay F. Des Français au Maroc, la présence et la mémoire (1912-1956). Paris : Denoël ; 1992.

Knibiehler Y. Nous les assistantes sociales. Naissance d’une profession. Paris : Aubier ; 1980.

Knibiehler Y, Fouquet C. La femme et les médecins : analyse historique. Paris : Hachette ; 1983.

Knibiehler Y, Goutalier R. La femme au temps des colonies. Paris : Stock ; 1985.

Knibiehler Y. Accoucher. Femmes, sages-femmes et médecins depuis le milieu du XXe siècle. Rennes : Éditions de l’école nationale de la santé publique ; 2007.

Knibiehler Y (dir) ; Maternité, affaire privée, affaire publique. Paris : Bayard ; 2001.

Knibiehler Y. Histoire des infirmières, en France au XXe siècle. Paris : Hachette ; 2008.

Knibiehler Y. La revanche de l’amour maternel ? Toulouse : Erès ; 2015.

Froidevaux-Metterie C. La révolution du féminin. Paris : Gallimard ; 2015.

Association Démeter-Core. Travail et maternité dans l’aire méditerranéenne, réfléchir pour mieux agir. Paris : L’Harmattan ; 2016.

Pour citer cet article :

Mestre C. Pour un humanisme sexué. Entretien avec Yvonne Knibiehler. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2018, volume 19, n°1, pp. 89-103


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/entretiens/pour-un-humanisme-sexue/

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Yvonne Knibiehler vit dans un grand appartement lumineux à Aix-en-Provence. Elle me reçoit frêle et dans l’urgence de pouvoir encore dire quelque chose de sa vie et de son parcours de femme et de féministe. Cette grande dame, au visage fin et beau, témoigne et analyse du haut de son grand âge (95 ans) quelles transformations ont touché les femmes et leurs conditions, surtout quand elles ont assumé, comme elle, un mariage, des maternités, une carrière universitaire et des collaborations multiples. Yvonne Knibiehler est une historienne féministe, qui tisse avec sa vie, ses recherches, sa mémoire et de multiples amitiés, une pensée contemporaine, créée avec douceur et conviction, sur la maternité et le féminisme. C’est là qu’est la véritable révolution féministe d’Yvonne Knibiehler : lier maternité et féminisme, là où les féministes de 68 avaient fait de la maternité un enjeu personnel et intime. Pour autant, son féminisme n’exclut pas les hommes. Au contraire elle interpelle nos politiques et les jeunes générations à former une société plus généreuse avec les parents, afin que fonder une famille avec des enfants n’entrave pas la possibilité de travailler et de s’épanouir. La revue L’autre la remercie chaleureusement pour cette belle rencontre et son désir irréfragable de transmission.

L’autre : La maternité a donc une histoire, ce n’est pas qu’un événement « naturel » dans la vie d’une femme.

Y.K : C’était difficile de faire entendre que la maternité avait une histoire et qu’elle était importante. Au début, cela n’intéressait personne.

L’autre : Vous dites que « l’histoire assume au service des collectivités, une fonction comparable à celle qu’assume la psychanalyse au service de l’individu : elle élucide la mémoire ». L’insu de l’histoire fonctionne à nos dépens parfois. C’est important d’avoir cette histoire pour comprendre certaines perspectives.

Y.K : De même que la psychanalyse vous oblige à retrouver votre mémoire, de même l’histoire oblige les groupes à retrouver leur mémoire et s’ils ne la retrouvent pas c’est à leur propre dépens parce qu’ils voient mal l’avenir et c’est pitoyable finalement.

L’autre : Vos orientations de recherches en histoire s’articulent à vos choix de vie et notamment vos choix de procréer. Il n’est pas si fréquent, même aujourd’hui, d’avoir une telle réflexion sur soi et sur son travail. Pourriez-vous nous dire d’où vous venez et ce qui a été décisif dans votre travail d’historienne féministe ?

Y.K : Je suis la fille « du père », c’est une chose capitale au départ. Mon père était d’un milieu modeste, il n’a pas pu faire d’études. C’était un homme intelligent et autodidacte et il a projeté sur ses enfants le désir de faire des études. Il se trouve que j’ai répondu au-delà de ce qu’il espérait. J’adorais les études et donc il m’a poussée. Je suis la première de la famille à avoir fait des études secondaires, puis des études supérieures, et tout cela je le dois à mon père. Je me rappelle que quand j’ai soutenu ma thèse, j’avais 48 ans, c’était en 1970, il était mort depuis quelques mois ; j’ai eu l’impression de lui obéir encore et d’honorer sa mémoire. Ma mère ne s’est pas opposée mais simplement dans son milieu « ce n’était pas pour nous les études ».

A côté de cette passion pour les études qui m’a saisie très tôt, l’amour de la maternité s’est développé aussi. Je crois que c’est à cause de la naissance de mon petit frère. J’avais six ans quand il est né ; pratiquement j’ai appris à lire en même temps que j’ai vu naître et grandir ce bébé. Et ça m’a enthousiasmée. Je me suis régalée de lui apprendre à parler, à marcher, à jouer quand il était tout petit, de jouer avec lui, de lui apprendre le latin quand il est entré au lycée. Je crois que j’ai ressenti très tôt l’émerveillement de la maternité. Je n’ai jamais joué à la poupée, j’avais mon petit frère. Ça m’a révélé les joies maternelles.

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