Les entretiens

© Claire Mestre, 2016 D.G.

Politiques du soin

Entretien avec Roberto BENEDUCE

et


Marion GÉRY

Marion GÉRY est psychologue clinicienne à Marseille.

Claire MESTRE

Claire Mestre est psychiatre, psychothérapeute, anthropologue, responsable de la consultation transculturelle du CHU de Bordeaux, Présidente d’Ethnotopies, co-rédactrice en chef de la revue L’autre.

Beneduce R. Etnopsichiatria. Sofferenza mentale e alterità fra Storia, dominio e cultura, Roma : Carocci ; 2007.

Beneduce R. Le théâtre de la guérison entre images de combat et rédemption du passé, ou du désir de soigner, in G. Séraphin (éd.), L’Afrique d’Eric de Rosny. Paris : Karthala; 2016. pp. 29-46.

Beneduce R. L’histoire au corps. Mémoires indociles et archives du désordre dans les cultes de possession en Afrique. Fribourg: Academic Press; 2016.

Charuty G. Introduction. In: De Martino E. (sous la dir. de Charuty G, Fabre D, Massenzio M.) Essai sur les apocalypses culturelles, texte établi, traduit de l’italien et annoté.  Paris: EHESS; 2016. p. 12

De Martino E. La terre du remords. Paris: Gallimard; 1966.

De Martino E. La fin du monde. In: Essai sur les apocalypses culturelles (sous la dir. de Charuty G, Fabre D, Massenzio M.), texte établi, traduit de l’italien et annoté. Paris: EHESS; 2016.

Fanon F. Peau noire, masques blancs. Paris: Seuil; 1952.

Fanon F. L’an V de la révolution algérienne. Paris: Maspero; 1959.

Gibson N, Beneduce R. Frantz Fanon: Psychiatry and Politics. New York: Rowman & Littlefield (sous presse).

Hallen B, Sodipo JO. Knowledge, Belief and Witchcraft, Analytic Experiments Philosophy in Africans Philosophy. London: Ethnographica; 1986.

Nathan T. La folie des autres. Traité d’ethnopsychiatrie clinique. Paris: Dunod; 1986.

Ortigues M.-C. et E. Œdipe Africain. Paris: Plon; 1966.

Pour citer cet article :

Géry C, Mestre C. Politiques du soin Entretien avec Roberto Beneduce. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2017, volume 18, n°2, pp. 221-234


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/entretiens/politiques-du-soin/

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« Chaque fois qu’un homme a fait triompher la dignité de l’esprit,
chaque fois qu’un homme a dit non à une tentative d’asservissement de son semblable,
je me suis senti solidaire de son acte »

Franz Fanon, Peau noire, masques blancs

 

Nous sommes allées rencontrer Roberto alors qu’il était en résidence à l’Institut Méditerranéen de Recherches Avancées à Marseille. Roberto Beneduce, psychiatre et anthropologue, né à Naples à la fin des années 50, mène depuis de longues années des recherches sur l’anthropologie de la cure en Afrique ainsi que sur l’épistémologie et l’histoire de la psychiatrie. Sa contribution à une critique anthropologique de la psychiatrie occidentale contemporaine relève le défi de trouver des stratégies de soin capables de faire face aux différentes expressions de la souffrance et aux effets psychiques de la violence politique, économique, invisible ou institutionnelle.

Roberto Beneduce a également travaillé dans les quartiers les plus pauvres de la ville de Naples, et a participé activement à un modèle de psychiatrie et de santé mentale ancré dans la communauté. En 1996, il a fondé à Turin le Centre Frantz Fanon, dédié à l’aide psychologique et à la promotion de la santé des citoyens étrangers réfugiés. Il est actuellement professeur d’anthropologie médicale et psychologique à l’université de Turin.

L’autre : Merci d’avoir accepté cet entretien pour la revue L’autre, Cliniques, Cultures et Sociétés. Pourriez-vous commencer par évoquer votre cheminement, Naples, la psychiatrie, l’anthropologie ?

RB : Lorsque j’étais enfant, j’habitais tout à côté d’un hôpital psychiatrique en périphérie de Naples. Je garde dans mes souvenirs d’enfance les cris de malades. Ma mère me disait que c’était des gens qui souffraient. Cette expérience précoce a probablement contribué à aiguiser ma curiosité pour comprendre ce qu’il y avait dans ces cris, derrière ces murs. Dans les années qui ont suivi, la loi italienne sur les hôpitaux psychiatriques a permis aux patients internés de sortir et envisagé une forme de prise en charge différente. Alors adolescent, je me souviens d’eux, mal habillés, comme robotisés, faisant leurs courses à côté de chez moi : cela m’a confronté à une humanité mise à l’écart. A la fin du lycée, j’ai découvert les travaux de Ronald Laing1. Étudiants, nous étions très curieux de tout ce qui concernait la maladie mentale, nous en débattions beaucoup et avions vraiment envie de participer à ce renouvellement de la psychiatrie italienne. Quand j’ai commencé à étudier la médecine, dès la fin de ma première année, j’ai rencontré Sergio Piro, directeur de l’hôpital psychiatrique « Frullone » ; il était très engagé dans la réforme de la psychiatrie et s’intéressait beaucoup à l’histoire de la psychiatrie et à la philosophie du langage. Il a été mon maître, au sens fort du mot. Il m’a appris à toujours porter un regard critique sur les catégories diagnostiques, à prendre en compte la transformation historique des théories, et à écouter la psychose. Ces souvenirs font ressurgir des images encore très présentes pour moi : toutes les semaines, lors de notre séminaire du mardi, apparaissait celle que nous appelions la princesse, une transsexuelle psychotique hospitalisée : en femme, maquillée, extraordinairement élégante avec ses babouches, elle était calme, proposait du café à tous les participants ; en homme, elle était souvent agitée, avec des crises de dissociation terribles. J’étais confronté à l’énigme d’une personne blessée, déchirée dans son corps, dans sa vie, mais dotée par ailleurs d’une profondeur philosophique infinie, capable d’évoquer ses souvenirs pendant des heures. Ce sont des expériences fortes de ma ville et de ma formation que je garde encore.

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  1. A fait partie du mouvement anti-psychiatrique britannique.