Les entretiens

© Silvina Testa D.G.

Le cosmopolitisme des migrants : déplacements, frontières, territoires

Entretien avec Michel AGIER

et


Jeanne-Flore ROUCHON

Jeanne-Flore Rouchon est psychiatre, co-thérapeute de la consultation transculturelle d’Avicenne. AP-HP, Hôpital Avicenne, Service de psychopathologie de l’enfant, de l’adolescent, psychiatrie générale et adddictologie spécialisée, Bobigny.

Silvina TESTA

Silvina Testa est psychologue, Direction de la protection judiciaire de la jeunesse, Ministère de la Justice, Paris.

Agee J. Louons maintenant les grands hommes. Alabama, trois familles de métayers en 1936. Paris : Plon ; 1994.

Agier M. Les migrants et nous. Comprendre Babel. Paris : CNRS Editions ; 2016.

Agier M. L’étranger qui vient. Repenser l’hospitalité. Paris : Seuil ; 2018.

Agier M. La Sagesse de l’ethnologue. Paris : éditions JC Béhar ; 2006 réédition PUF : collection Quadrige ; 2019.

Les ouvrages récents de Michel Agier

La Sagesse de l’ethnologue. Paris : PUF, col. Quadrige ; 2019 (1e édition : L’œil neuf éditions ; 2004).

L’étranger qui vient. Repenser l’hospitalité. Paris : Seuil ; 2018 (traduction en anglais et en italien).

Coll. La jungle de Calais. Les migrants, la frontière et le camp. Paris : PUF ; 2018 (Ouvrage traduit en anglais, italien, allemand).

La condition cosmopolite. L’anthropologie à l’épreuve du piège identitaire. Paris : La Découverte ; 2013 (Ouvrage traduit en anglais, portugais, espagnol, serbe).

Anthropologie de la ville. Paris : PUF ; 2015.

Gérer les indésirables. Des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire. Paris : Flammarion ; 2008.

Pour citer cet article :

Rouchon J-F, Testa S. Le cosmopolitisme des migrants : déplacements, frontières, territoires Entretien avec Michel Agier. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2019, volume 20, n°3, pp. 228-239


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/entretiens/le-cosmopolitisme-des-migrants-deplacements-frontieres-territoires/

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Michel Agier est anthropologue à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et Directeur d’Études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS). Il étudie les relations entre la mondialisation, les migrations et la formation des villes. Il mène, depuis 2000, des recherches de terrain en Afrique, au Proche-Orient et en Europe sur les réfugiés et migrants. Il a coordonné le programme «Babels – La ville comme frontière» (Agence Nationale de la Recherche, 2016-2019). Il dirige le département Policy à l’Institut des migrations (ICM).

Il est né à Orange en 1953 et a vécu en expatriation durant une bonne partie de son enfance et de son adolescence. Après ses études universitaires, son premier long terrain anthropologique s’est déroulé en 1978-1979 à Lomé (Togo). D’emblée, il s’est intéressé aux situations de contact et à leurs propres dynamismes, en particulier dans les grandes villes du Sud. Puis, il a développé une anthropologie des frontières et des déplacements, thème majeur de son séminaire à l’EHESS de 2004 à 2019. Ses terrains sont en Afrique (Togo, Cameroun), Amérique Latine (Colombie, Brésil) et depuis une quinzaine d’années dans les camps de réfugiés et les campements de migrants en Afrique, au Proche-Orient et en Europe.

Ses recherches sont d’une importance indéniable pour la clinique transculturelle. En premier lieu parce que la situation transculturelle est une situation de contact où thérapeutes et patients ne partagent pas les mêmes référents culturels, mais aussi parce que nos patients sont migrants et qu’il nous faut nécessairement penser leur migration, certes comme événement psychique, mais aussi comme évènement réel et existentiel.

Nous l’avons rencontré après la sortie de son livre Les migrants et nous. Comprendre Babel (2016) et avant la parution de son dernier ouvrage L’étranger qui vient. Repenser l’hospitalité (2018). Entretemps, il a initié et dirigé le programme Babels (Agence Nationale de la Recherche, 2016-2019), et créé avec un collectif d’anthropologues la revue Monde commun1 qui prétend mettre en œuvre une «anthropologie publique».

L’autre : D’où vient votre intérêt pour l’anthropologie ?

M. A. : De l’université, quand j’étais à Grenoble, en particulier grâce à deux enseignants les plus marquants, Gilbert Durand qui a ouvert tout un champ de recherches sur les structures anthropologiques de l’imaginaire, et Jean-Olivier Majastre, très libertaire, joyeusement gauchiste et surtout envoyant ses étudiants comme moi très loin et très haut dans les Alpes pour faire une enquête dans le cadre d’un certificat d’ethnographie rurale. C’est comme ça que j’ai pris goût au terrain et découvert certaines hautes vallées de l’Oisans auxquelles je reste attaché. Mais, pour remonter plus loin, j’ai voyagé dans le monde depuis tout petit. C’est le point de départ. Avec mon père qui a eu une partie de son activité professionnelle dans des contrées lointaines, je suis allé en Indonésie, puis quand j’étais un peu plus grand au Sénégal, puis au Pakistan. A l’université j’étais plutôt parti sur la philosophie, comme pas mal d’anthropologues de ma génération et plus encore les plus anciens. Beaucoup de mes professeurs ont été plutôt philosophes d’abord et ont fait de l’anthropologie sur le terrain. Moi je me sens dans une transition de générations, entre les aînés et les plus jeunes, mais aussi en termes de formation, d’objet de recherche, de manière de faire de l’anthropologie. Dans la 3e année à l’université, je me suis orienté vers l’anthropologie.

J’ai grandi comme chercheur dans cette ambiance, avec des personnes comme Marc Augé (mon directeur de thèse), Gérard Althabe qui est très important pour moi – il faisait une anthropologie très proche des interactions, de la « situation de communication » comme il disait, c’est-à-dire la situation créée par la présence de l’ethnologue –, Georges Balandier, Jean Bazin qui était un épistémologue de l’enquête anthropologique. En fait, tout ce groupe de chercheurs s’interrogeait en permanence sur la pratique même de l’anthropologie, alors que d’autres, qui se situaient dans l’héritage de Lévi-Strauss ou dans l’héritage des ethnologies africanistes des ethnies, ne se posaient pas vraiment de questions… « Notre objet nous est donné : les ethnies, la culture des autres », disaient-ils.

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  1. Publiée deux fois par an aux Presses universitaires de France, voir Violence partout, justice nulle part ! (septembre 2018) ; Fake news, mensonges et vérités (mars 2019) ; Multitude migrante (septembre 2019).