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Témoignage

© SpaceShoe [Learning to live with the crisis] Giannis Angelakis, 3 août 2008 Source (CC BY 2.0)

« Malakas figés »

Mamadou SALIOU DIALLOMamadou Saliou Diallo souhaite se présenter ainsi : « Un jeune pris en charge par l’ASE de Paris, victime et témoin des risques du voyage : les sévices de la police et des Nazis grecs ».

Marine POUTHIERMarine Pouthier est psychologue auprès des jeunes isolés étrangers à l’Aide Sociale à l’Enfance de Paris, 76/78 rue de Reuilly, 75012 Paris.

Depuis le début des années 2000, j’accompagne les jeunes étrangers qui traversent le monde, sans la protection d’aucun adulte responsable d’eux, pour venir demander protection à Paris. Ils viennent le plus souvent d’une vie communautaire, et leurs codes acquis ne leur permettent pas de se repérer dans nos codes d’ici. Il nous appartient de les soutenir, de leur redonner confiance, pour qu’ils puissent percevoir, et oser dire, ce qu’ils ne comprennent pas, ou mal. Il nous appartient de les aider à transformer leurs vécus, persécutifs à force d’être incompréhensibles, afin qu’ils puissent les intégrer, une fois qu’ils ont pris sens pour eux. Il nous appartient de les initier au monde nouveau qu’ils découvrent, en leur « présentant le monde à petite dose », selon l’expression de Winnicott. Ce qui demande d’être à l’affût de tous les implicites dans lesquels nous baignons et qu’ils doivent apprendre de nous de manière explicite et bienveillante. Il nous appartient d’entendre, et de leur faire entendre, que leurs souffrances du corps disent aussi des souffrances de l’âme ; les rêves sont souvent une voie d’accès privilégiée à ce fort lien corps-esprit qui les a constitués, et qui, repéré, leur permet de donner sens à leur douleur, de la penser, de la contenir autrement.

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Il nous faut absolument intégrer que leur compréhension de ce qui leur arrive est à respecter profondément. Nos références psychologiques, si elles sont les repères qui nous habitent, ne sont pas les seules. Eux sont habités par d’autres références, qui leur donnent aussi du sens. L’approche complémentaire de ces références à différents niveaux, comme nous l’a appris Georges Devereux, puis le tissage de sens de manière qu’ils prennent signification ici pour eux et pour nous ensemble, sont des éléments importants du soutien, du « renfort » que j’essaie de leur apporter.

On ne quitte jamais son pays de gaîté de cœur. Parfois c’est la guerre, ou la misère, ou la vengeance, qui obligent à émigrer. Parfois ce sont les parents qui décident de faire partir ce garçon, avec pour mission, qui n’est pas discutable, d’apporter du mieux vivre à la famille – le pays de cocagne, c’est toujours ce que vendent les passeurs, prêts à toutes les promesses fallacieuses pour développer leur « business » très lucratif de trafics humains. Parfois c’est la nouvelle alliance de la mère, au décès du père, qui ne laisse plus de place au fils plus âgé, qui devient du coup dangereux pour les enfants plus jeunes des autres alliances.

Se retrouver seul, sans son groupe, est comme un arrachage de peau. Il faut aider chacun à la reconstituer, en favorisant la restauration d’un espace transitionnel entre soi et l’autre, qui assure la liaison malgré la rupture, qui permette aussi de redevenir créatif, d’oser aller vers l’autre, oser lui faire confiance tout en demeurant attentif à soi-même.

Pendant le passage, les trahisons, les humiliations, les épisodes de terreur ne manquent souvent pas. Et pourtant ces jeunes ont encore le courage de venir rencontrer « le psy », alors qu’ils ne savent pas le plus souvent ce que recouvre cette appellation, ni ce qui les attend cette fois encore. Ils viennent avec prudence, mais ils viennent, car dans leur culture l’adulte doit être respecté, s’il vous propose un rendez-vous, on ne peut le refuser.

Quelques-uns sont pris dans un tel interdit de parole, qu’ils ne souhaitent pas revenir, ou le font beaucoup plus tard. Pour ceux-là, je tente une approche en petit groupe, afin de leur permettre de créer un lien de soutien entre pairs, qui peut-être les renforcera suffisamment pour qu’ils osent partager un peu de leur fardeau.

Mais pour la plupart, être pris en compte, considéré, écouté ; pouvoir revenir autant que nécessaire ; pouvoir être aidé à communiquer par un interprète ; sentir un véritable intérêt pour la personne que l’on découvre que l’on est, dans une démarche bienveillante ; tout cela représente une possibilité de reconstituer cette capacité d’échange, cette peau psychique que nous évoquions plus haut.

C’est dans ce contexte professionnel que j’ai rencontré Saliou, jeune Peul de Guinée, qui a dû quitter sa famille « recomposée » suite au remariage de sa mère, fin 2009, il avait quatorze ans. Il n’y avait plus de place pour lui, car il était l’aîné de la nouvelle fratrie. Il a mis plus de trois ans pour arriver à Paris, destination de son voyage. Son rêve est de passer un CAP de menuiserie métallique, métier qu’il avait commencé d’apprendre dans son pays avant de partir. Mais les maltraitances graves et répétées qu’il a subies en Grèce, où il est resté de fin 2009 à fin 2011, l’ont fait vaciller à son arrivée en France.

Son éducateur lui a proposé de me rencontrer, et nous avons très vite, de concert, demandé une hospitalisation dans un service de psychiatrie de l’adolescent : la souffrance ne le lâchait pas et lui faisait craindre de s’effondrer. Après plusieurs mois de soins et la mise en place d’un suivi médical, Saliou est revenu me voir, car ses nuits demeurent agitées, sa pensée pleine de doutes, il craint de ne plus être un homme alors qu’il vient d’avoir dix-huit ans. Il craint aussi de ne pouvoir rester en France légalement, car il n’a été pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) qu’après dix-sept ans (alors qu’il a pu obtenir les preuves de son séjour prolongé en Grèce, c’est-à-dire dans l’Espace Schengen, à partir de quatorze ans ; mais il semblerait qu’elles ne lui apportent rien de plus). De plus, des violences graves subies sur le chemin d’exil et pas au pays, ne constituent pas un motif qui permettrait de demander la protection asilaire à l’OFPRA (Office Français Pour les Réfugiés et les Apatrides) ni à la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile).

Fin février, Saliou est venu me dire, révolté, que la police grecque avait encore causé la mort d’un jeune Sénégalais, tombé sur les voies du métro, et qu’il ne povait plus se taire, il voulait témoigner.

Ilse Derluyn, chercheure à l’Université de Ghent en Belgique, spécialiste des trajets d’exil de jeunes migrants vers l’Europe, rencontrée peu après, m’a confirmé que les agissements de la police grecque continuent, sans être endigués, malgré les nombreux rapports faits aux différentes instance de l’Europe.

J’ai pensé que la publication du témoignage courageux de Saliou lui permettrait d’une part de se sentir reconnu dans ce qu’il a vécu, réhabilité en quelque sorte ; d’autre part, que la parole d’une jeune, non pas témoin mais « acteur passif » des ces maltraitances, aurait peut-être une chance d’être prise en compte. Voici sa lettre :

« Je m’appelle Mamadou Saliou Diallo. Je suis arrivé en Grèce en 2009 à l’âge de quatorze ans, j’étais très jeune à la frontière. La police grecque nous a attrapés, ils nous ont frappés et ils nous ont mis en prison. Ils nous faisaient payer de l’argent pour sortir, une valeur de 60 euros, ou bien tu sors pas si tu payes pas, tu restes en prison six mois ou plus. Mais moi, j’ai eu une chance, un ami de route qui a payé pour moi. Ils nous ont mis dans des bus pour Athènes. Une fois arrivés là-bas, ils nous ont laissés dans la rue sans aucune aide. On vivait chacun pour soi et Dieu pour tous. Moi et mes amis nous dormions dans les jardins, parfois dans des maisons abandonnées. Pour survivre, on fouillait dans les poubelles pour avoir de quoi manger. J’ai refusé de vendre de la drogue, alors, pour gagner un peu d’argent on ramassait des bouteilles d’Amstel pour les vendre, et des cannettes. Nous ne dormions pas la nuit parce qu’on cherchait de quoi manger et les Grecs nous méprisaient, nous repoussaient, dans les bus et dans les rues.

Aussi la police nous guettait, pas pour nous rapatrier mais pour nous mettre en prison, on vivait dans la peur pour ne pas aller en prison car la prison en Grèce, c’est comme le loto, tu peux faire trois mois comme un an ou plus. Dans les prisons, les policiers nous frappent, nous violent parfois, nous insultent et ils déchirent nos habits, dans la prison c’est sale et humide. J’ai honte, je me sens humilié de ce qu’ils m’ont fait, je me dis parfois que je ne peux plus me regarder, je voudrais tomber dans un trou où personne ne me voie plus. Ça tourne tout le temps dans ma tête.

Notre souhait, c’était de quitter le pays mais c’était trop dur car on n’a pas de papiers ni d’argent. Pour quitter le pays, il faut acheter des papiers de ressemblance, pour tenter de quitter dans les aéroports ; si tu as de la chance, tu es sauvé, par contre si on te rattrape, on te frappe et on te remet en prison pour un temps à leur volonté. Moi j’ai essayé plusieurs fois de m’évader dans ce pays. Une fois où j’ai échoué, les policiers m’ont attrapé et m’ont frappé. Ils m’ont mis dans une salle, ils m’ont piétiné, il y avait plus de sept policiers, ils m’ont tapé avec une barre sur la tête. Ils m’ont menotté au dessus des coudes derrière le dos. Ils m’ont marché et tapé sur tout le corps, je n’ai plus pu uriner pendant presque un mois, je devais mettre de l’eau chaude sur mon ventre, ça faisait très mal, et mon dos et le genou gauche aussi, et encore aujourd’hui. Et depuis j’ai des pertes de mémoire, j’ai des problèmes de santé, j’ai peur d’être fou, je ne suis pas le seul. Dans ce pays, on ne respecte pas les droits de l’homme. Ce pays est une prison à ciel ouvert où les murs sont invisibles. Ce pays c’est comme à l’époque de l’esclavage en Amérique, au Brésil. Chaque jour, on nous traitait de « malakas fidjés1 ». On t’oblige à demander l’asile alors que les demandeurs d’asile n’ont pas leurs droits.

Je supplie l’Union européenne de prendre des mesures sur ces actes inhumains qui se passent dans ce pays et je remercie le bon dieu que je suis arrivé en France, et mes amis libyens qui m’ont aidé, Ousmane et Ridwane ».

Saliou joint à sa lettre un autre texte, qui lui a été transmis par un ami, Amadou Diallo, vingt ans, en attente en Grèce :

« En Grèce, plusieurs ONG se disent inquiètes du sort réservé aux émigrés. Ces associations de défense des droits de l’homme déplorent le rejet dont sont victimes les immigrés en ces temps de crise. Les procédures de demande d’asile traînent en longueur. Faute de papiers, les immigrés se trouvent alors dans une situation illégale, ce qui les expose davantage à la stigmatisation.

Et c’est notamment ce que soulignent les ONG. En cette période de crise économique et de récession, les immigrés sont devenus des boucs-émissaires, affirme Spiros Rizakis, responsable d’une organisation d’accueil des réfugiés. La façon avec laquelle cette question est traitée ne fait qu’alimenter les opinions radicales. Et cela débouche sur des attaques racistes quasi-quotidiennes. En septembre dernier, plusieurs militants d’extrême droite ont effectué une descente musclée sur un marché pour chasser les immigrés clandestins. L’opération avait été initiée par le parti néo-nazi Aube dorée. Et ils continuent, les informations en parlent. Le 11 août dernier, un jeune Irakien a été tué, victime d’une agression raciste. Rien qu’en 2012, plus de 800 agressions à caractère raciste ont été recensées en Grèce. 63 cas ont aussi été relevés pour le dernier trimestre 2011. Des agressions d’hommes armés de barres de fer, contre les immigrés, avec une complicité supposée de la police, ont eu lieu il y a un mois, sans enregistrer les crimes commis par les racistes ou par la police. Et ce mois-ci (février 2013), un jeune Sénégalais a été tué par la police municipale d’Athènes, ce qui a causé des manifestations presque dans tout le pays. Ici les immigrés sont confrontés à de sérieux problèmes. On appelle les ONG comme Amnesty International ou Human Rights Watch. Lors d’une visite à Athènes, le jeudi 23 août 2012, le représentant national du Haut-Commissariat au Réfugiés des Nations unies (HCR), Laurens Jodles, a alerté le ministre de la protection des citoyens, Nikos Dédias ».

  1. « Foutez le camp, c…ards ».

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