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Témoignage

© MSF France, Yann Libessart/MSF, Views from Shejaaia, northern Gaza, Palestinian territories, 3 septembre 2014. Source D.G.

Chroniques de Gaza, 2015…

Maryvonne BARGUESMaryvonne BARGUES est psychiatre et travaille depuis plusieurs années avec Médecins Sans Frontières, 8 rue Saint-Sabin, 75011 Paris. Elle a réalisé de nombreuses missions dans différents pays. Du terrain, elle fait profiter proches et collègues de fragments des carnets qu’elle tient régulièrement.

Les corps en ruines de Gaza

Karim a 19 ans, depuis le 18 Juillet 2014, son corps est devenu comme un assemblage de “ shrapnels “, un assemblage des morceaux de la bombe qui a explosé sur et en lui. Il y’a un indescriptible de ce corps délabré, amputé et qui a survécu à une quinzaine d’opérations.

Il y a aussi un indescriptible de cet être conscient de tout, s’exprimant très bien, et qui essaie de penser que demain peut exister… aussi pour lui.

Puis ce sera Jamila, Hassan Assia, Asma et des centaines d’autres dont les êtres et les corps délabrés ont survécu au désastre de ces bombardements de Juillet 2014. Les uns ont perdu tous leurs enfants dans les décombres de la maison, d’autres, la plupart ou tous les frères sœurs, père et mère…

A Gaza ces ruines provoquant tant de morts ne sont pas les ruines des tremblements de terre, que la nature peut dans sa cruauté “innocente” produire. Les corps inanimés ou blessés entassés sous ces ruines sont le fruit de la décision d’autres humains voisins (et identiques sous de nombreux aspects…).

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Je les écoute un à un Karim, Jamila, Saha et tous, l’inconditionnelle “God Willing” annoncée en premier, laisse rapidement place à ce qu’il en est pour eux de ces catastrophes subjectives, elles sont évoquées sans lamentations. Dans la discrétion et la sobriété de ces dires s’entend l’écho comme dans un jeu de multiples miroirs, la répétition des douleurs transmises ou vécues d’avant… entrecoupés de silences qui s’écoutent aussi, les dires allègent un peu la profondeur des douleurs et des chagrins, la culpabilité inhérente des survivants.

Restons modestes dans notre abord psychologique, nous n’avons souvent que notre présence et notre écoute comme réponse.

Chacun, blessé ou non se sait prisonnier de Gaza, c’est ainsi. Actuellement en 2015 c’est encore plus verrouillé qu’avant, aucune ouverture ne peut s’entrevoir raisonnablement et il est difficile de comprendre par quelle magie la vie se régénère, encore et encore, l’accueil, l’humour est toujours là, la moquerie d’eux-mêmes, le rire jamais loin…

Dans ces maisons qui ont échappées aux bombardements, pas chauffées, privées régulièrement d’électricité, d’eau, les amis se regroupent et se réchauffent autour d’une “chicha”, racontent avec certaines précautions les “embistrouillles” politiciennes du moment. Tantôt surgissent des conflits, la plupart du temps la solidarité et le rire l’emportent.

Et dehors, même s’il fait encore un peu froid, la lumière est toujours belle, personne ne leur enlèvera…


 

Gaza 2015 l’oubli ?

Mourad étonnée de trouver à 3 heures du matin son Père debout et éveillé, l’interroge : “le sommeil, c’est fini, répond-t-il celui qui veut dormir dormira pour toujours…” 2 heures après, la maison est bombardée et celui qui refusait le sommeil” pour toujours “est mort avec sa femme, ses enfants, petits-enfants ; en bref ils ont été 13 à passer de leur sommeil à celui pour toujours…

Mourad émerge sans comprendre de ces décombres, quasiment indemne. ce qui enrobe son profond chagrin d’une intenable charge de culpabilité… et d’effroi.

Depuis le poursuivent sans relâche la métaphore énigmatique du Père, et les autres échanges qu’ils ont eu pendant cette nuit, ces dernières deux heures, parlant sans relâche comme on fait ici en buvant du café. A Gaza il n’y a pas d’heure pour se taire, pas d’heure pour le repos.

Ces deux dernières deux heures avec le père se cristallisent, comme un héritage sacré, il le révèle très progressivement, avec retenue, c’est aussi ce qui lui reste, il le démystifie difficilement mais peu à peu…

Entre le ravage de l’évènement, l’identification au dire du Père, Mourad ne peut dormir ; il sait aussi qu’une relâche le plonge dans le cauchemar sur lequel il n’a aucune prise… une sœur Imam est aussi sortie des décombres, elle est en fauteuil roulant, il se consacre à elle… trop… le chemin sera long avant qu’il s’autorise à exister.

Puis arrive, aussi en fauteuil roulant Najda, d’une autre ville, elle a 20 ans elle est amputée des 2 jambes, son mari d’une, son fils tout petit, a aussi une jambe manquante… Elle raconte l’entrelacs des corps autour deux quand ils sont sortis pour s’approvisionner lors d’une trêve, rompue par quelques vices dont on sait que la guerre en a les secrets…

J’arrête cet égrenage qui actuellement à Gaza me paraît sans fin, je sais qu’il existe les mêmes trous dans les corps (et les discours), les mêmes violences faisant effraction, les mêmes douleurs qui en vagues hurlantes, sillonnent de nombreux pays, toute la Syrie, l’Irak et beaucoup d’autres lieux du monde.

Il est difficile d’aller contre le mouvement des médias qui ne connaissent que l’instantané, quelques secondes consacrées à un missile qui quelque part fait une chiffre de morts et un autre chiffres de blessés annoncés et oubliés la seconde suivante… C’est comme dit une amie (actuellement présidente de Msf International) c’est ainsi que l’on enlève tout “visage humain” aux drames qui déchirent quotidiennement.

Evoquer Mourad, Najda, Iman et tellement d’autres… est peut-être une façon de continuer à s’adresser à eux.

Février 2015

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