Note de recherche

© Rhum DYLAn All Saints Tattoo Show, 15/09/2018. Source (CC BY 2.0)

Le tatouage et ce qu’il révèle

et


Stéphanie ZAKHOUR

Stephanie Zakhour est psychologue clinicienne, titulaire d’une maitrise en psychologie cognitive et comportementale à l’Université Saint Joseph de Beyrouth au Liban, stagiaire de niveau doctorat en Santé Mentale, Institut de psychiatrie de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (IPUB, UFRJ).

Layla TARAZI-SAHAB

Layla Tarazi Sahab est Professeure à l’Université Saint Joseph (USJ-Liban), chercheuse au Laboratoire de Paris 13 (Villetaneuse-France), psychanalyste.

Anzieu D, Séchaud E. Le moi-peau. Paris: Dunod; 1985.

Blanchet A. Dire et faire dire: L’entretien. Armand Colin; 2003

Dolto F, Dolto-Tolitch C, Percheminier C. Paroles pour adolescents ou le complexe du homard. Hatier; 1989.

Goffman E. La mise en scène de la vie quotidienne. Tome 1. La présentation de soi. Paris: Editions de minuit; 1973.

Lacan J. Le stade du miroir. Théorie d’un moment structurant et génétique de la constitution de la réalité, conçu en relation avec l’expérience et la doctrine psychanalytique. Marienbad 1936 Aug.

Le Breton D. Se reconstruire par la peau. Marques corporelles et processus initiatique. Revue française de psychosomatique 2010; 2 : 85-95.

Le Breton D. Signes d’identité: tatouages, piercings, etc. Journal français de psychiatrie 2006; 1: 17-9.

Pailler JJ. Tatouages et marques d’attention. Revue française de psychosomatique 2010; 2: 65-74.

Rosenberg M. Society and the adolescent self-image. Princeton university press: 2015.

Winnicott DW. Distorsion du moi en fonction du vrai et du faux self. In: Winnicott DW editor: Processus de maturation chez l’enfant : développement affectif et environnement. Payot: 1960. p. 115-31.

Pour citer cet article :

Zakhour S, Tarazi Sahab L. Le tatouage et ce qu’il révèle. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2019, volume 20, n°3, pp. 330-332


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/notes-de-recherche/le-tatouage-et-ce-quil-revele/

Le tatouage et ce qu’il révèle: une dimension psychologique

Le tatouage permet à l’individu de créer une signature de soi avec laquelle il va affirmer une identité choisie. Ce travail est composé d’une part d’une partie théorique et d’une autre part d’un travail sur le terrain, qui a consisté en des entretiens semi-directifs et sur la passation de l’échelle d’estime de soi de Rosenberg. Il en ressort que les sujets tatoués sont dans une quête identitaire et semblent chercher une nouvelle construction de soi.

Mots clés : enveloppe psychique, estime de soi, identité, image de soi, marquage corporel, tatouage.

Tattoo and what it reveals: a psychological dimension

The practice of tattooing allows the individual to create a self-signature by which he will assert a chosen identity. This work is composed on the one hand of a theoretical part and on the other a field work, which consisted of semi-structured research interviews and on the passing of Rosenberg’s self-esteem scale. The tattooed subjects are in a quest for identity and seem to seek a new self-construction.

Keywords: body marking, identity, psychological envelope, self-esteem, self-image, tattooing.

El tatuaje y lo que revela: una dimension psicologica

La práctica del tatuaje le permite al individuo crear una especie de marca de sí mismo, a través de la cual afirmará la identidad que ha elegido. Este trabajo está compuesto, por una parte, de una parte teórica y, por otro lado, de un trabajo de campo, que consistió en entrevistas de investigación semiestructuradas y en la entrega de la escala de autoestima de Rosenberg. Las conclusiones apuntan a que los sujetos tatuados estarían en una búsqueda de identidad y de una una nueva autoconstrucción.

Palabras claves: autoestima, autoimagen, envoltura psíquica, identidad, marca corporal, tatuaje.

La réalisation de la pratique du tatouage peut nous apprendre certaines choses sur la relation entre le corps et le psychisme. De nos jours, le tatouage se développe de plus en plus et la mode de se tatouer avance dans le monde et devient dorénavant un phénomène dont la popularité augmente. Par ailleurs, il maintient aussi parfois une image de délinquance et de criminalité. Nous voyons de nos jours des individus dont tout le corps est couvert de tatouages, visibles aux yeux des récepteurs, modifiant totalement leur image corporelle et nous pouvons aussi remarquer comment la forme, le dessin et le contenu des tatouages varient d’un pays à l’autre. Cela nous a poussé à étudier ce phénomène et comprendre si le tatouage est juste d’ordre esthétique et s’il suit simplement une mode, ou bien s’il cache une dimension psychologique. Notre but n’était pas d’étudier les petits tatouages d’ordre esthétique, mais plutôt des tatouages visibles et audacieux. Notre travail1, dont les résultats sont présentés dans cet article, se base sur l’hypothèse que les tatouages sont des marques corporelles comme des signes identitaires et qui permettent aux individus la construction d’une nouvelle identité.

La première partie du travail concerne l’histoire du tatouage : sa découverte, ses significations et son évolution. De même, les théories de l’identité nous ont permis de construire un guide d’entretien reprenant les indicateurs pertinents (Blanchet, 2003). La deuxième partie se base sur la réalisation d’entretiens semi directifs pour une analyse qualitative, ainsi que la passation d’une échelle pour une analyse quantitative. La troisième et dernière étape, se base sur l’analyse et l’interprétation qualitative et quantitative des résultats. L’interprétation qualitative s’est faite par la recherche de plusieurs points saillants du discours des participants, puis par le regroupement de ceux-ci en catégories de thèmes. Enfin, cette interprétation qualitative a été affirmée pas l’interprétation quantitatives des scores de l’échelle de Rosenberg, qui traite les mêmes catégories de thèmes obtenus comme résultat.

Notre population est composée de cinq personnes tatouées anonymisées (P1, P2, P3, P4 et P5), deux femmes et trois hommes, âgés entre 22 et 44 ans. Le milieu socio-économique, l’appartenance religieuse, le statut marital ainsi que la nationalité n’ont pas fait partie des critères d’inclusion. Nous distinguons les sujets ayant des petits tatouages d’ordre esthétique, de ceux dont une grande partie de leur corps est couverte par des tatouages (cinq ou plus).

Nous nous sommes entretenus une seule fois avec chaque participant. En tout, cinq entretiens ont été réalisés, d’une durée de 30 minutes, munis d’un guide qui nous a permis d’amorce à l’entretien. Ensuite, nous nous sommes munis de l’échelle d’estime de soi de Rosenberg : une échelle auto-rapportée, développée par le sociologue Morris Rosenberg en 1965, qui est particulièrement connu pour ses travaux sur le concept de soi. Les sujets répondent au questionnaire deux fois : la première fois en se décrivant avant le tatouage, et la deuxième fois au moment actuel, une fois tatoués.

La construction de l’identité se base sur trois processus : le processus somato-psychique et la prise de conscience de son corps dans le stade du miroir (Lacan, 1936), le processus pulsionnel (les investissements narcissiques envers son corps) et le processus relationnel (se sentir reconnu et être vu par la société). En prenant conscience de son corps, le sujet va créer un « moi-idéal »  qui lui permet de faire une distinction entre son moi et l’autre, d’où la notion de « moi-peau »  (Anzieu, 1985). Anzieu explique la construction de l’identité personnelle en postulant que le psychisme s’étaye sur le corps biologique et sur le corps social qu’il désigne sous forme de « moi-peau ». La prise de conscience de son corps et de sa peau joue un rôle fondamental dans la construction de l’identité et la peau est l’écran où l’on projette une identité rêvée et les marques corporelles, les tatouages, sont des butées identitaires. Il explique que quand la personne est mal dans sa peau, il la modifie pour se sentir mieux. P4 nous explique : « Tous les tatouages ont fait en sorte que je me sente plus belle. Ils m’ont aidé à hausser mon estime de soi, ma confiance en soi. Je me sentais différente » . En modifiant la peau, l’individu modifie son image et en même temps modifie le regard de l’autre (Le Breton, 2010). Par le tatouage, l’individu « bricole »  (Le Breton, 2006) son sentiment de soi sur sa peau et met à jour son identité. Selon P1 et P2, « C’est qui je suis. Sans ces tatouages je ne suis pas moi (P1) » ; « Sans mes tatouages je ne me sens pas moi. C’est comme si je me suis créé, je me suis fabriqué avec ces tatouages et c’est moi, c’est P2. » Par la suite, quand le psychisme aboutit à une faille narcissique, le sujet crée un « faux self »  (Winnicott, 1960) en investissant dans son apparence tout en protégeant son moi. Le tatouage va servir comme un objet extérieur et va créer une « carapace »  (Dolto, 1989) pour rehausser ses failles narcissiques. Ces sujets vont investir un style unique, provocateur et audacieux pour accroitre le sentiment d’être uniques et différents. En d’autres termes, regarder dans le miroir et voir quelque chose de « cool » . C’est par le tatouage que les individus créent un « paraitre »  désiré (faux-self) pour cacher leur « être »  rejeté (vrai self). Les résultats de l’échelle d’estime de soi de Rosenberg montrent une différence significative des scores avant de faire les tatouages et après, montrant que les tatouages ont rehaussé leur estime d’eux-même. P1 obtient une différence de 10 points, P2 de 7 points, P3 de 8, P4 de 9 et P5 de 6. Enfin, le tatouage va servir comme une relation au monde. Qui dit identité dit société puisque l’identité se construit pour autrui aussi. Goffman insiste sur l’importance du regard de l’autre dans la construction de l’identité. C’est la présentation de soi du sujet, comme par exemple l’apparence physique, qui vise à donner une image que l’individu veut voir confirmée par l’autre (Goffman, 1973). Créer son identité, c’est exister. Exister, c’est être reconnu : « Le tatouage me donne de la satisfaction. Ce qui change aussi c’est que les gens te regardent plus avec des tatouages. Et ça me donne de la satisfaction » nous explique P1. Les tatouages créent un look et attirent donc l’attention. Ils sont une forme radicale de mise en valeur et en évidence de soi pour échapper à l’indifférence (Le Breton, 2006). Par le tatouage, le sujet va créer une façade extérieure et c’est cette façade qui va constituer son identité sociale par le regard d’autrui.

Le tatouage va permettre à l’individu de créer une nouvelle identité désirée, en lui permettant de se replier sur soi et sur sa peau pour rehausser son estime de lui-même, attirer l’attention et modifier son rapport à autrui, afin de mieux l’accepter. C’est ainsi qu’une identité se construit : s’aimer soi-même et être aimé par autrui.

  1. Cet article est l’écrit réalisé à partir d’un travail de Master en Psychologie, défendu en Novembre (2017) à l’Université Saint Joseph de Beyrouth au Liban.