Marcelo Viñar Source D.G.
Publié dans : L’autre 2019, Vol. 20, n°2
Viñar M, Talina S, Mestre C. La psychanalyse, un lieu de résistance. Entretien avec Marcelo Viñar. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2019, volume 20, n°2, pp. 110-120
La première rencontre entre Marcelo et Maren Vinãr et l’Association Frantz Fanon remonte à 2010, lorsque Roberto Beneduce et Simona Taliani les ont connus à Lima à l’occasion d’une conférence sur le thème Entre el deseo y la realidad. Desafíos actuales en psicologia psicoanalítica (organisée par l’Institut de psychothérapie psychanalytique). L’année d’après, tous les deux sont venus à Turin pour participer au colloque (Penser la postcolonie avec Fanon) organisé par l’Association, cinquante ans après la publication des Damnés de la terre. Puis ils firent plusieurs visites en Italie, notamment à l’occasion d’initiatives tenues à Rome; enfin, en 2017, Marcelo a répondu à l’invitation à la journée d’études sur Traumatisme et droits humains organisée par l’Université de Turin, avec le soutien de l’Association Fanon et du Groupe Abele, où il a présenté une communication avec Claire Mestre.
Ce fut alors l’occasion1 pour Claire et moi d’interviewer Marcelo au Centre Frantz Fanon de Turin2. Fondé en 1996 par Roberto Beneduce, le Centre revisite la démarche ethnopsychiatrique à partir des ramifications politiques de la souffrance psychique et sociale, en s’appuyant aussi sur l’héritage psychiatrique de Basaglia, l’anthropologie italienne d’Ernesto de Martino et la lecture de Frantz Fanon.
Au cours de cet entretien, avec grande générosité, Marcelo est revenu avec nous sur son expérience d’exilé en France et, avant cela, sur celle d’étudiant en médecine. Il était alors en quête à la fois d’une indépendance à l’égard des lieux de son enfance, évoqués ici surtout en rapport avec son père – un émigré d’origine ukrainienne arrivé avec sa famille au début du siècle pour fuir les discriminations anti-juives – et d’une aventure vers ce qui à l’époque restait flou et secret (« Les racines de la vocation sont toujours mystérieuses »). Autour de cette véritable opacité, commune à toutes les histoires et surtout à tous les débuts, nous échangeons pendant plus d’une heure, en nous demandant chemin faisant ce qu’il en est du statut du social dans la psychanalyse.
En Uruguay, l’Autre, à savoir l’indigène exterminé, reste l’invisible des espaces thérapeutiques psychanalytiques. Dans toute l’Amérique du Sud, l’accumulation des discriminations et des diversités à partir de critères socio-économiques, raciaux et culturels, fait de l’altérité une catégorie fuyante, insaisissable, sauf à affronter sans détour deux phénomènes qui en sont fondateurs : la violence et l’exclusion. Encore une fois, Marcelo ne trahit pas sa vocation : il intériorise, en même temps que ceux qui l’écoutent, la souffrance qui se dégage d’une fièvre historique dévorante et se soucie de surmonter les déterminismes, même les déterminismes freudiens. Dans sa contribution à Violence d’État et psychanalyse, il ironisait déjà sur les pratiques traditionnelles de la psychanalyse :
Par ce privilège accordé à la réalité psychique, Mélanie Klein peut, dans le Londres de 1943, dire au petit Dick que la violence des bombes n’a pas d’importance parce qu’elle actualise les craintes que suscite l’idée que papa pénètre dans maman (Vinãr 1989 : 47).
Quelques années plus tard, dans Détresses, opprobre, exclusion, il écrivait qu’on ne peut pas appliquer avec cohérence le répertoire freudien devant le traumatisme de la violence d’exclusion :
Je dirais qu’il y a violence dans la cure lorsque l’analyste, mû par les reflets de sa propre expérience et de sa formation analytique, accueille le paria dans la même disposition que celle dans laquelle il accueille le névrosé, disant en sorte qu’il intériorise le conflit comme un fait de son histoire personnelle. […] La personne atteinte intériorise la culpabilité qui lui a été imposée par l’ouragan de l’histoire (Vinãr 2007a : 158).
Pénétrons donc avec lui dans l’ouragan, quand le monde vole en éclats et qu’on entrevoit sa fin.
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