Éditorial

© Romana Klee, 01/10/2012. Source (CC BY-SA 2.0)

Un pacte pour lutter contre la vulnérabilité des migrants

et


Claire MESTRE

Claire Mestre est psychiatre, psychothérapeute, anthropologue, responsable de la consultation transculturelle du CHU de Bordeaux, Présidente d’Ethnotopies, co-rédactrice en chef de la revue L’autre.

Marie Rose MORO

Marie Rose Moro est pédopsychiatre, professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, cheffe de service de la Maison de Solenn – Maison des Adolescents, CESP, Inserm U1178, Université de Paris, APHP, Hôpital Cochin, directrice scientifique de la revue L’autre.

Agier M. L’étranger qui vient, repenser l’hospitalité. Paris : Editions du Seuil ; 2018.

Le Blanc G, Brugère F. La fin de l’hospitalité. L’Europe, terre d’asile ? Paris : Flammarion ; 2018.

L’autre, Cliniques, Cultures et Sociétés 2005 ; 6(3) « Hospitalités ».

Pour citer cet article :

Mestre C, Moro MR. Un pacte pour lutter contre la vulnérabilité des migrants. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2019, volume 20, n°1, pp. 4-6


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/editoriaux/un-pacte-pour-lutter-contre-la-vulnerabilite-des-migrants/

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Si le Pacte mondial pour des migrations sûres et ordonnées parfois appelé Pacte de Marrakech, a fait du bruit, c’est pour de mauvaises raisons ! Gouvernants qui claquent la porte, voix d’extrême droite qui crient au scandale en agitant des angoisses collectives ont recouvert de leurs verbiages les mots et les vœux de l’ONU qui ont engagé moralement 150 pays pour améliorer la situation des migrants, de tous, femmes, hommes, enfants du monde entier. Et les migrants, au regard du temps et de l’espace, cela peut être chacun des peuples de l’ONU.

Ce pacte arrive à un moment symbolique de l’histoire des migrations et de la défense des droits de l’homme, des droits humains devrait-on dire. Laissons de côté les images et les articles pourtant terrifiants sur l’actualité des migrants et écoutons, encore une fois, ce que les migrants vivent et racontent dans nos consultations et ce que les soignants partagent entre eux lors de réunions collectives : le contexte s’est aggravé et l’on assiste désormais à des situations que l’on aurait même pas imaginées il y a quelques années : jeunes isolés à la rue, mères qui viennent d’accoucher et qui se retrouvent avec leurs bébés à la sortie de la maternité dans les grandes rues de nos villes, patients soignés non reconduits dans leur demande de séjour et qui risquent leurs vies en rentrant dans leurs pays dans de mauvaises conditions, familles séparées, hommes jeunes à la rue sans soutien, femmes et enfants sans droit dans les couloirs des foyers, adultes en attente de réponse de la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA)… Bref, c’est un long chapelet de malheurs que nous pouvons égrener, un contre-inventaire aux arguments qui fondent une politique inhospitalière. Nous sommes alors impuissants et inquiets, doutant de nos capacités à porter et accompagner ceux qui sont écrasés par une politique nationale méprisante pour les plus faibles, menaçante pour nos dispositifs de soins. Cette situation n’est pourtant pas extraordinaire puisqu’elle est commune à tous les pays occidentaux qui repoussent à leurs frontières celles et ceux qu’ils considèrent comme des indésirables, pire, comme des objets sans valeur.

Là où les sciences humaines nous convient à la créativité et à des solidarités heureuses, les politiques persistent dans leur stérile et honteuse frilosité

Pourtant, des savants comme François Héran1 nous disent avec l’objectivité qui les légitime que le danger des migrations est très exagéré. Des anthropologues et des philosophes comme Michel Agier (2018), Guillaume Le Blanc et Fabienne Brugère (2018) nous invitent à repenser l’hospitalité2… Ainsi, là où les sciences humaines nous convient à la créativité et à des solidarités heureuses, les politiques persistent dans leur stérile et honteuse frilosité face à une réalité qui demande courage et imagination.

Ce pacte devrait nous donner des raisons d’espérer, arrivant au moment du 70e anniversaire de la déclaration des droits de l’homme. L’esprit de cette belle déclaration est celui de la primauté de la personne sur l’Etat, celui qui met à l’honneur l’importance ontologique de l’homme (et de l’humain bien sûr, incluant la femme). Elle est un consensus majeur sur la dignité universelle de l’homme, sur la limitation des pouvoirs des hommes entre eux et de l’Etat sur l’humain. C’est une grande invention pour permettre la cohabitation des hommes entre eux, et limiter leurs négativités qui engendrent des violences destructrices3. Cet idéal moral et sociétal nous impose de sauver des vies à nos frontières, de protéger les plus faibles et les plus vulnérables.

Ces réactions insensées et disproportionnées au Pacte de Marrakech montrent aussi, comme le dit encore Antonio Gutteres dans une interview récente, que le temps des boucs émissaires est revenu

Contrairement à ce qu’affirme de façon mensongère l’extrême droite, ce pacte n’est pas un « droit à l’immigration ». Il est l’aboutissement de débats et de concertations entre des Etats, des autorités locales, les sociétés civiles et des migrants eux-mêmes pour une approche commune des migrations internationales. « Faire en sorte que les migrations profitent à tous », voici le vœu d’Antonio Gutteres, le secrétaire général des Nations Unies lors de la journée internationale des migrants, pour encourager à suivre les recommandations du Pacte mondial pour les migrations. Dans l’esprit des droits humains universels, il est un appel à un idéal qui est non contraignant pour les Etats. Il engage moralement les Etats à lutter contre la traite humaine et faire en sorte que les migrations soient le moins « irrégulières » possibles. Parmi ses 23 objectifs4, examinons le 7e intitulé « S’attaquer aux facteurs de vulnérabilité liés aux migrations et les réduire ». Il s’agit bien de comprendre la vulnérabilité comme un état potentiel pouvant concerner chacun d’entre nous, et dont la définition ne doit pas enlever la responsabilité politique des exclusions, des précarités insupportables que vivent les migrants de leur pays d’origine aux pays d’accueil, en passant par leur chemin migratoire. En l’occurrence, il est fait la part belle aux enfants et à leur « intérêt supérieur », et aux « problématiques femme-homme ». Pour les enfants, le Pacte prône qu’ils ne soient pas séparés de leurs parents et qu’ils soient protégés où qu’ils soient… Pour les femmes5, il met en évidence les violences dont elles sont les objets parce que femmes. Il recommande que ces violences soient reconnues et que les femmes incriminées puissent jouir d’une protection durable.

Ces réactions insensées et disproportionnées au Pacte de Marrakech montrent aussi, comme le dit encore Antonio Gutteres dans une interview récente, que le temps des boucs émissaires est revenu6. En effet, les migrants sont de parfaits boucs émissaires depuis toujours, une fausse évidence qui se répète de génération en génération et de lieux en lieux. C’est à cause d’eux que le monde va mal, que la mondialisation nous menace… Autant de funestes préjugés, d’opinions non fondées mais qui résonnent dans les réseaux sociaux comme dans les opinions politiques et les votes réactionnaires.

Malgré toutes ces fausses allégations, malgré la pression de certains pays comme les États-Unis sur les pays qui voulaient le signer, l’Assemblée générale des Nations Unies (ONU) a finalement approuvé, le 19 décembre 2018, à une très forte majorité le pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, destiné à renforcer la coopération internationale en la matière.
Lors du scrutin, 152 pays ont voté en faveur du Pacte de Marrakech, qui avait été entériné au Maroc début décembre par 165 membres des Nations unies. Douze se sont abstenus et cinq ont voté contre. Et ce vote en faveur du Pacte mondial a été considéré par l’ONU comme une victoire du multilatéralisme et nous pourrions dire aussi, de la raison humaine mondiale.

La revue L’autre attire l’attention de nos gouvernants et de tous nos concitoyens sur ces questions auxquelles nous sommes particulièrement sensibles et pour lesquelles cette revue s’est engagée depuis sa création. Pour que le monde de tous soit plus libre, plus égalitaire et plus fraternel. Et les migrants font partie de ce monde !

Bordeaux, Paris, 17 janvier 2019

  1. En juin 2017, il est élu professeur au Collège de France sur la chaire « Migrations et sociétés » créée depuis le mois de mars. Il occupe la chaire depuis janvier 2018, tout en dirigeant l’Institut Convergences Migration. Voir college-de-france.fr/site/francois-heran/Biographie.htm
  2. Nous-mêmes l’avons fait dans plusieurs numéros de la revue L’autre, depuis 2000. Cf. par exemple, Comment sommes-nous devenus si inhospitaliers ? L’autre, 2005, Vol 6, n°3. revuelautre.com/articles-dossier/comment-sommes-nous-devenus-si-inhospitaliers/
  3. Nous rejoignons en cela la définition des droits de l’homme de Frédéric Worms, philosophe, membre du Comité consultatif national d’éthique, exprimée dans l’émission Répliques : https://www.franceculture.fr/emissions/repliques/philosophies-des-droits-de-lhomme
  4. Ils sont consultables à undocs.org/fr/A/CONF.231/3
  5. Mettre la lumière sur les femmes ne doit cependant pas précipiter les hommes dans plus d’exclusion, en « sauvant » les premières au détriment des seconds.
  6. parismatch.com/Actu/International/Antonio-Guterres-Le-temps-des-boucs-emissaires-est-revenu-1586240


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