Éditorial

© Yoram Mouchenik Source (CC BY 2.0)

L’international Black Lives Matter

, et


Claire MESTRE

Claire Mestre est psychiatre, psychothérapeute, anthropologue, responsable de la consultation transculturelle du CHU de Bordeaux, Présidente d’Ethnotopies, co-rédactrice en chef de la revue L’autre.

Gésine STURM

Gesine Sturm est psychologue clinicienne, MCF en psychologie clinique interculturelle, LCPI - EA 459, Université Jean Jaurès, Toulouse, membre du comité de rédaction de la revue L’autre.

Marie Rose MORO

Marie Rose Moro est pédopsychiatre, professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, cheffe de service de la Maison de Solenn – Maison des Adolescents, CESP, Inserm U1178, Université de Paris, APHP, Hôpital Cochin, directrice scientifique de la revue L’autre.

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Repéré à https://revuelautre.com/editoriaux/linternational-black-lives-matter/ - Revue L’autre ISSN 2259-4566

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Le 25 mai 2020, un homme noir dénommé George Floyd meurt sous le poids exercé sur sa nuque par le genou d’un policier blanc, nommé Derek Chauvin, en gémissant I can’t breathe. La mèche, chauffée par des décennies de haine raciale, prend feu et allume des foyers de révolte dans le monde entier. Floyd fait partie de la longue liste de personnes noires assassinées1 et les images qui tournent alors sur la toile ont des conséquences inédites : du côté des groupes discriminés, du côté des policiers, mais aussi des politiques et de toute la population. Toutes les couleurs de peau se sont rassemblées pour hurler leur colère et le refus des violences policières et du racisme. Black Lives Matter2 ne concerne désormais plus seulement les USA et le mouvement se répand comme une traînée de poudre à l’international. Les répercussions sont bruyantes en France où les dénonciations antiracistes s’unissent à celles contre les violences policières. Quelques voix se sont élevées également dans le champ artistique, comme celle de la chanteuse et comédienne Camélia Jordana qui a parlé de son expérience, le 23 mai 2020, à la télévision dans une émission grand public : « Je parle des hommes et des femmes qui vont travailler tous les matins en banlieue et qui se font massacrer pour nulle autre raison que leur couleur de peau, c’est un fait […]. Il y a des milliers de personnes qui ne se sentent pas en sécurité face à un flic et j’en fais partie. Aujourd’hui j’ai les cheveux défrisés, quand j’ai les cheveux frisés, je ne me sens pas en sécurité face à un flic en France. Vraiment. » Et ce constat n’est pas récent.

Cette impressionnante vague de contestations fait écho à d’autres, comme celle impulsée par le mouvement Mee Too3, qui a encouragé la prise de paroles des femmes victimes de viols, d’agressions sexuelles et/ou de harcèlements sexuels. Quels liens entre elles sinon le constat d’un monde qui craque sous le poids des inégalités sociales, raciales et de genre ?

Les voix des femmes et celles des populations racialisées, amplifiées par les médias et les réseaux sociaux, diffusent et disent leur refus d’un système qui les minore et les exclut : vexations quotidiennes, violences, meurtres sont en effet leur lot commun. Les racines de ces traitements différentiels n’ont certes pas la même histoire et la même intensité selon les contextes et les pays, leurs effets de hiérarchie et d’oppression sont pourtant les mêmes. Les révolutions féministes sont en route touchant le droit et les pratiques sociétales, les combats antiracistes grondent aussi, obligeant nos gouvernements et notre justice à évoluer pour l’instauration d’une véritable égalité. Les militants ne sont pas tous d’accord entre eux sur les causes à défendre ou sur les moyens à employer pour lutter contre l’oppression. Il reste nécessaire de bien analyser les mécanismes de la domination pour proposer des moyens de lutte adaptés à ces inégalités structurelles, à ces schémas d’exclusion comme aux errements individuels. Les féminicides révèlent en France, comme aux USA, que les femmes ne sont pas suffisamment écoutées par le système judiciaire quand elles arrivent à franchir les portes d’un commissariat. En cela, leur révolte rejoint celle des populations noires. C’est d’ailleurs ce qu’écrit la sociologue Eva Illouz4 : femmes et Noirs partagent la même condition d’un corps vulnérable, exposé à toutes sortes de violences, des plus insidieuses (le regard d’autrui malveillant) aux plus brutales (la mort). Selon elle, les propos de Ta-Nehisi Coates ou de James Baldwin, grands écrivains américains dénonçant dans leurs œuvres les violences et les discriminations subies par les Noirs Américains, pourraient également être dits pour les femmes.

En France, comme partout dans le monde, la crise sanitaire engendrée par la Covid-19 a mis en évidence et aggravé les inégalités. Les populations les plus touchées par l’épidémie sont aussi celles qui souffrent le plus de l’injustice sociale, de l’exclusion raciale et de la brutalité policière5. C’est ce qu’a montré la chercheuse de l’Institut Convergences Migrations Solène Brun6. En effet, c’est en Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de France et celui comptant la plus grande proportion de population immigrée, qu’a été constaté le plus fort taux de mortalité. Ce bilan nécessite des analyses fines du contexte de vie et de la prise en charge médicale des populations, notamment concernant les immigrés. Dans ce même département, le taux de personnes contrôlées et verbalisées pour non-respect du confinement a été près de trois fois plus élevé que la moyenne nationale, atteignant jusqu’à 900 contraventions dressées par jour, soulignant des pratiques discriminatoires dans le contrôle de la population. Nous pourrions aussi parler des familles à la rue, des mères précaires et sans logement qui accouchent et qui se retrouvent elles aussi à la rue car les foyers sont sur-occupés. La Covid n’a fait qu’accentuer ces difficultés. Nous sommes inégaux devant la maladie et encore plus devant les modalités pour s’en protéger. Une autre population a beaucoup souffert de cette épidémie : les Mineurs Non Accompagnés (MNA) toujours à la rue à l’acmé de l’épidémie, même mineurs, parfois enfermés dans des hôtels, sans suivis ni même la possibilité de sortir une heure, comme s’ils représentaient davantage une menace pour les autres dans la transmission du virus. On est loin des soins pour tous, quels que soient la couleur de peau, le sexe et le niveau social. L’accueil inconditionnel n’existe plus, les interprètes ne sont pas toujours sollicités et il est parfois difficile de recourir à leurs services. Quant aux médiations transculturelles, elles sont bien difficiles à mettre en place7. La pandémie révèle aussi les lacunes d’un système de soins affaibli. Le système psychiatrique souffre. Les conséquences de son indigence, causée par l’indifférence de nos gouvernements, se mêlent à la violence d’Etat pour nos patients étrangers.

Pourtant, cette crise dit aussi de nous que nous avons besoin du monde, des autres, et qu’il ne faut pas que nous l’oubliions. En effet, le confinement planétaire a obligé beaucoup d’entre nous à se recentrer sur le foyer et sur son petit monde. Mais le grand monde, le monde public comme dit encore Eva Illouz8, et les échanges qu’il crée, nous ont tellement manqué. Comme nous l’avons dit, cette crise a creusé et révélé les inégalités. Il y a ceux qui sont aux marges, ceux qui n’ont pas de foyer ou un foyer tellement exigu, inconfortable ou insécure qu’il ne protège pas. Ceux qui doivent continuer de travailler coûte que coûte, qui viennent de loin, qui prennent les transports et se lèvent très tôt pour nettoyer les hôpitaux ou les rues… Toutes ces personnes étaient invisibles, peut-être le sont-elles moins désormais, elles nous rappellent que nous sommes dépendants les uns des autres, dépendants de ceux qui nous soignent, de ceux qui nous nourrissent, de ceux qui éduquent nos enfants ou de ceux qui nettoient les lieux où l’on travaille… Cette crise dit cette interdépendance et cette nécessaire solidarité pour que nous puissions résister, combattre et inventer de nouvelles modalités de vie et pas seulement de survie. C’est sans doute pour cela que cette crise et ce qu’elle met en lumière, ajoutée aux violences policières et au racisme provoquent autant de fureur !

Chaque vie compte… Notre revue le revendique haut et fort.

Bordeaux, Paris, Toulouse

  1. Voir l’éditorial : Mestre, C., Moro, MR. (2017). Colère noire et « destins raciaux » de l’après Obama. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 18(1), 5-8.
  2. Black Lives Matter (qui se traduit en français par La vie des Noirs compte) est un mouvement politique né aux Etats-Unis en 2013 pour dénoncer le racisme et les violences policières contre les Noirs.
  3. Mee Too est un mouvement social né en 2007 et lancé par Tarana Burke qui milite contre les violences sexuelles à l’encontre des femmes. Le mouvement est particulièrement connu depuis l’affaire Weinstein en 2017 qui révèlent publiquement les agressions sexuelles commises par le producteur de cinéma et il est désigné depuis sur les réseaux sociaux par le hashtag #MeeToo. Le mouvement connait un retentissement mondial et donne lieu en France en 2017 à  #Balancetonporc. Voir l’éditorial : Mestre, C., Moro, MR. (2018). Me Too, femmes exilées et d’ici, femmes du sud et du nord, femmes blanches et noiresL’autre, cliniques, cultures et sociétés, 19(2), 133-136.
  4. Illouz, E. (2020, 22 juin). Black Lives Matter et MeToo, ou la politique des corps vulnérables.  BIBLIOBS, https://www.nouvelobs.com/idees/20200622.OBS30357/black-lives-matter-et-metoo-ou-la-politique-des-corps-vulnerables-par-eva-illouz.html
  5. Meyerfeld, B. (2020, 8 mai). « On est habitués à être négligés par l’Etat » : la mobilisation des favelas du Brésil face au Covid-19. Le Monde, https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/05/08/on-est-habitue-a-etre-negliges-et-rejetes-par-l-etat-la-mobilisation-des-favelas-face-au-covid-19_6039047_3234.html
  6. Brun, S. (2020, 9 juin). Les immigrés et leurs descendants sont en moins bonne position pour affronter le Covid-19. Le Monde, https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/06/09/solene-brun-les-immigres-et-leurs-descendants-sont-en-moins-bonne-position-pour-affronter-le-covid-19_6042208_3232.html
  7. L’équipe de Marie Rose Moro a rédigé une série de kits transculturels sous forme de bandes dessinées accessibles à tous sur le site de la Maison de Solenn, à l’usage des enfants et des adolescents, enfants de migrants, pour leurs familles, pour les professionnels qui s’occupent d’eux et pour tous ceux qui les aiment. De grands auteurs comme Emmanuel Guibert, Fiamma Luzzati, Aurélia Aurita ou des plus jeunes mais très talentueux comme Elliott Royer nous ont aidé : http://www.mda.aphp.fr/missions/transculturel/
  8. Illouz, E. (2020). La fin de l’amour : enquête sur un désarroi contemporain. Paris  : Le Seuil.


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Entretien avec Yvonne Knibiehler

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