Portrait

Marcelle Geber, une femme libre et solaire

et


Marion GÉRY

Marion GÉRY est psychologue clinicienne à Marseille.

Marie Rose MORO

Marie Rose Moro est pédopsychiatre, professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, cheffe de service de la Maison de Solenn – Maison des Adolescents, CESP, Inserm U1178, Université de Paris, APHP, Hôpital Cochin, directrice scientifique de la revue L’autre.

Pour citer cet article :

Géry M, Moro MR. Marcelle Géber, une femme libre et solaire. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2012, vol. 13, n°3, pp. 340-344


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/portraits/marcelle-geber-une-femme-libre-et-solaire/

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C’est à la Maison des adolescents de Cochin, Maison de Solenn, que le professeur Marie Rose Moro a remis la légion d’honneur le 2 juillet 2012 à Marcelle Geber, pédopsychiatre et pionnière dans le travail transculturel.

Deux discours suivis d’un témoignage et ce portrait ont rendu hommage à son travail et à son engagement.

Marcelle Geber naît en France à Pavillons-sous-Bois juste après la « der des der »1. C’est le temps des « années folles » qui expriment alors bien cette volonté de paix intérieure d’une société qui veut se réjouir très vite d’une paix retrouvée et qui entend profiter au maximum de la vie tant qu’elle le peut encore…

Mais l’épidémie de la grippe espagnole entre 1918 et 1919 contribue à augmenter gravement le nombre déjà énorme des victimes de la Première Guerre mondiale.

Marcelle Geber, cadette d’une fratrie de deux, grandit sereinement dans une province verdoyante en contact avec la nature, entre ses deux parents.

À l’âge où les enfants jouent et découvrent le monde en pleine lumière, alors qu’elle s’apprête à fréquenter l’école, le médecin de famille lui prescrit de rester pendant une longue période dans la pénombre afin de protéger sa vue.

Entourée d’une mère attentive et dévouée, la petite Marcelle s’y résout et ce n’est pas cela qui va l’empêcher de se projeter « médecin pour les enfants » dès ses huit ans…

Survient le désenchantement progressif d’une société durablement meurtrie, sans réelle protection sociale pour ceux qui sont revenus de la guerre invalides et qui peinent à se réinsérer.

Après un conseil de famille, Marcelle Geber quitte les siens à l’âge de dix-sept ans pour entreprendre ses études de médecine à Paris où elle pourra être hébergée chez sa sœur aînée.

Instabilité politique intérieure, déclin de la république, alliances nationalistes et durcissement économique acheminent alors tout doucement mais inéluctablement le pays vers une Seconde Guerre mondiale qui sera marquée à tout jamais pour Marcelle Geber et bien d’autres par les signifiants de camps, de déportations, de propagandes, d’exterminations.

À cette période, les rares rescapés de l’horreur nazie ne peuvent pas communiquer la détresse qu’ils ont connue : la leur, mais aussi celle de ceux qui ne sont jamais revenus.

C’est la confrontation avec l’indicible, l’impensable.

Une dimension matérielle, sociale que la réalité psychique n’épuise pas est aussi à prendre en compte.

C’est dans ce contexte que Marcelle Geber choisit de devenir psychiatre.

Elle se spécialise par la suite en pédopsychiatrie dans le service de Jenny Aubry qui a aussi la responsabilité des enfants placés de manière anonyme dans un petit hôtel particulier, la « Fondation Parent de Rosan », cette institution sera le point de départ de recherches sur les effets des carences maternelles chez les très jeunes enfants.

Tout en soutenant une thèse en 1950 sur « L’échec scolaire des enfants surdoués », choix en partie lié à la création en 1946 du centre Claude Bernard installé dans le lycée qui porte le même nom, Marcelle Geber découvre assez rapidement au cours de sa carrière la psychanalyse à laquelle Jenny Aubry, qui vient de rencontrer Anna Freud à Londres et qui est en pleine maturité professionnelle, commence à s’intéresser de près.

Une psychanalyse qui s’inscrit dans la complémentarité d’une approche médicale, psychologique, pédagogique mais aussi sociale.

Une psychanalyse qui permet que s’introduise l’écoute de l’inconscient dans la pratique médicale hospitalière.

Une psychanalyse qui œuvre à transformer de manière radicale le statut théorique du signifiant enfant, de telle sorte qu’on ne l’appréhende plus seulement par ses troubles, mais qu’on le considère comme un être en pleine construction psychique qui doit être introduit dans la symbolique de la parole et du désir pour advenir comme sujet afin de construire des liens suffisamment sécures avec son entourage pour ne pas risquer de s’effondrer en cas de séparations traumatiques.

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), dans les années 1950 s’intéresse aux relations mère/bébé et le rapprochement opéré entre Jenny Aubry et John Bowlby, qui exerce depuis 1946 à la Tavistock Clinic à Londres, auront permis que Marcelle Geber s’engage également sur ces enquêtes. Elle s’est passionnée toute sa vie ici et ailleurs pour la construction des liens mère/enfant.

Marcelle Geber partira travailler chaque année durant deux mois en Afrique pendant toute sa longue carrière tout en étant directrice de CMPP.

Ainsi se consacrera t-elle à l’étude des carences de soins maternels et à leurs incidences sur le développement du jeune enfant en milieu rural, mais aussi en milieu urbain, tout en assurant la responsabilité des trois centres de guidance infantile qu’elle a créés et dirige dans l’Aisne.

Elle sera sollicitée par l’OMS pour étudier la forme sévère et souvent mortelle de ces carences en Afrique sudsaharienne : le kwashiorkor. Le kwashiorkor est une maladie grave survenant brusquement après le sevrage. Repéré déjà depuis les années 1930 dans différents pays du monde, il est envisagé comme un ensemble de troubles liés à une insuffisance d’apports protidiques.

Les études des interactions mère-bébé l’amèneront à démontrer toute l’importance de la qualité des échanges verbaux et corporels qui protègent de la maladie.

Plusieurs missions vont ainsi lui permettre d’étudier le développement de l’enfant africain bien portant de différentes catégories sociales vivant en milieu rural et en milieu urbain et de comparer ces données à celles recueillies auprès des enfants atteints de kwashiorkor.

Des recherches inscrites dans la durée sont autant d’expériences de décentrage et d’immersion dans des systèmes culturels divers qui pensent différemment la nature de l’enfant, la maladie, mais aussi les techniques de soins et la construction du lien mère-enfant.

Une solide expérience qui a courageusement combattu avant l’ère transculturelle la tentation de l’ethnocentrisme et qui n’a pas renoncé devant la complexité. Discutant avec des collègues, elle tente et souvent réussit à changer leurs diagnostics teintés d’ethnocentrisme.

Des données précieuses qui tissent la trame d’une position souple, créative et d’une pratique fine de l’observation clinique chère au professeur Lebovici.

Marcelle Geber n’a pas eu peur de penser et de co-construire avec d’autres.

Elle n’a pas oublié non plus de se poser la question de la langue et de son utilisation dans un contexte transculturel, ce bain de langage qui humanise les enfants. Marcelle Geber est internationalement reconnue du fait de ses multiples communications dans les capitales du monde (soixante-seize pays).

C’est en pleine maturité que, traversée par l’art, Marcelle rencontre Ben Banay, un artiste israélien aux trois pays, aux trois noms, aux trois métiers (peintre, maître verrier et graveur) dont elle a écrit la biographie et avec lequel elle a partagé sa vie2.

Elle s’est mise aussi à son écoute ; il préférait conserver ses secrets et ses traumatismes tout en lui proposant de s’exprimer autrement, de naviguer en sa compagnie dans l’univers artistique, dans le monde de la l’art et de la création.

Il ne sera donc pas exagéré de prétendre que Marcelle Geber aura parfaitement su s’engager dans la démarche transculturelle. Et que le complémentarisme lui aura toujours permis de faire obstacle aux « bons sentiments » !

C’est pourquoi nous pouvons aujourd’hui (2 juillet 2012) la saluer chaleureusement en souhaitant qu’elle reste amusée par les manifestations surprenantes et parfois dérangeantes de l’inconscient qui la rendent si vivante. De telle sorte que nous puissions toujours l’entendre en rire avec malice.

Car Marcelle, c’est un mélange d’étonnement juvénile et de grande impatience, ce qui ne l’éloigne pas pour autant d’une parfaite lucidité. Marcelle naturellement contestataire sans jamais hausser le ton, sans agressivité.

Ah si vous aviez pu entendre toutes les questions et les doutes de Marcelle pourtant si déterminée… Amoureuse du soleil, de la mer… combien de fois a-t-elle voulu prendre le grand large en mettant le cap sur la Grèce qui l’apaise ?

Nous sommes si heureux de la compter dans notre entourage, si fiers de ses contributions et de son engagement dans la revue L’autre.

Entourée de ses amis, de ses collègues et de sa famille, je ne doute pas qu’elle se réjouisse d’avoir provoqué aujourd’hui notre rencontre.

Nous, qui sommes venus sans hésitation pour la saluer à l’occasion de sa nomination à l’ordre de « chevalier de la légion d’honneur ».

  1. Cf. L’autre 2003 ; 4(3).
  2. Ben Banay, artiste aux trois pays, aux trois noms, peintre, graveur, maître verrier. Editions les Equipages ; 2011. Marcelle Geber, Banay.