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Note de terrain

© Tim, HIDE Cleveland Urban Exploring goes Graffiti Hunting. Source (CC BY 2.0)

Femmes recevant des ovocytes à l’étranger

Approche transculturelle

Marie GRAMME-THANASACKMarie Gramme-Thanasack est psychologue clinicienne dans le service de psychiatrie périnatale du CHU de Lille.

Amalini SIMONAmalini Simon est Psychologue clinicienne, Hôpital Avicenne, Doctorante, Université de Paris 13.

Mohand AMEZIANE ABDELHAKMohand AMEZIANE ABDELHAK est Psychologue clinicien, service de psychopathologie de l’enfant, de l’adolescent, et de psychiatrie générale, Hôpital Avicenne (APHP), Université Paris 13 EA3413.

Marie Rose MOROMarie Rose Moro est pédopsychiatre, professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, cheffe de service de la Maison de Solenn – Maison des Adolescents, CESP, Inserm U1178, Université de Paris, APHP, Hôpital Cochin, directrice scientifique de la revue L’autre.

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Gramme-Thanasack M, Simon A, Abdelhak M. A, Moro MR. Femmes recevant des ovocytes à l’étranger. Approche transculturelle. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2022, volume 23, n°3, pp. 326-335

Le recours au don d’ovocytes est rarement envisagé en première intention par les couples. Il fait souvent suite à un long parcours de PMA (procréation médicalement assistée) avec des échecs répétés de FIV (fécondation in vitro). Il peut aussi être proposé en cas de ménopause précoce, d’insuffisance ovarienne ou de risque de transmission d’une maladie génétique. Dans tous les cas, il faut retenir que le couple doit faire face à un parcours du combattant semé d’échecs avant d’en arriver au don d’ovocytes.

Ainsi, avoir recours au don d’ovocytes est un choix du couple qui montre à la fois leur volonté de devenir parent et leur désespoir face à la situation d’infertilité. De même, il est vrai que le côté médical de l’acte prend beaucoup de place et que la question de l’impact psychologique n’est pas assez prise en compte.

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C’est au détour de la formation transculturelle dans le cadre du DU (Diplôme universitaire) de psychiatrie et compétences transculturelles et en partant de notre pratique clinique au sein d’un service de psychiatrie périnatale que nous nous sommes interrogés sur le cheminement des femmes devenues mères suite à un don d’ovocytes et plus particulièrement lorsque celui-ci a lieu à l’étranger. La littérature sur le sujet (Weil, 1987 ; Raoul-Duval, 1991 ; Canneaux, 2009) s’est davantage centrée sur le vécu des femmes qui reçoivent des ovocytes lors d’un parcours de PMA en France. Il y a très peu d’écrits sur les parcours PMA à l’étranger. Cet article est loin d’être l’aboutissement d’une recherche mais bien des questions qui ont émergé dans notre pratique. Dans le cadre des suivis en maternité, nous avons
l’habitude de rencontrer les mères hospitalisées, en général, en suites de couches soit à leur demande ou à la demande de l’équipe. Dans ce contexte, nous avons reçu plusieurs femmes ayant eu un parcours de PMA, c’est à la suite de ces rencontres qu’est née notre réflexion.

En effet, à partir de la littérature et de nos rencontres cliniques, nous faisons l’hypothèse que la démarche d’aller à l’étranger peut s’avérer particulièrement insécure pour la future maman et pour le couple. Elle majorerait le sentiment d’étrangeté dans la représentation du bébé à venir. Reprenons ainsi ce parcours afin de mieux en comprendre les enjeux psychiques.

La PMA et le don d’ovocytes

Les couples infertiles engagés dans un parcours de PMA expriment être blessés dans leur intégrité corporelle et psychique. Ces techniques, considérées comme invasives, sont vécues comme une intrusion. Aussi, le recours à la médecine et son intervention au sein de la scène originaire les met grandement à l’épreuve. Ceux-ci oscillent entre l’espoir et le renoncement à devenir parents un jour. Vassiliki (2012) a étudié ces mouvements psychiques et parle d’un « état de deuil permanent ou impossible à accomplir » (ibid., p. 64).

Le bébé tant attendu est souvent idéalisé. Il est celui qui doit venir panser leurs blessures, notamment celle de la stérilité. Il est le support d’un investissement libidinal important, qui pousse les futurs parents à aller toujours plus loin dans leurs démarches pour se sentir accomplis. C’est cette quête d’enfant à tout prix qui les amène à envisager le recours à un don d’ovocytes, quitte à renoncer, provisoirement ou définitivement, pour la mère, à porter un bébé qui serait biologiquement le sien.

La possibilité d’accueillir un ovocyte est très souvent amenée par le corps soignant qui présente cette idée comme étant l’étape « d’après » ou l’étape « ultime », dans ce parcours très structuré, sous-tendu par un climat d’urgence. Les progrès de la médecine repoussent les limites de ce qui est possible en matière de procréation, afin de pallier le manque et tenter de répondre toujours plus aux attentes de ces couples. Il nous semble, au final, que la réception d’ovocyte peut être comprise comme un non-choix pour ces couples plus qu’un choix délibéré, à proprement parler. Cela leur permet probablement d’espérer s’accomplir et retrouver une place active dans ce parcours.

En France, le don d’ovocytes existe depuis 1987. Il est encadré par la loi de bioéthique depuis 1994. Il est anonyme, gratuit et volontaire. La publicité pour l’encourager est interdite. En 2011, selon l’agence de biomédecine, le nombre de donneuses était de 402 pour 1806 couples inscrits. La donneuse d’ovocytes doit répondre à des critères précis (Avoir moins de 37 ans, être majeure et en bonne santé) et subir des examens médicaux conséquents. (Stimulation ovarienne, prises de sang, échographies et ponction folliculaire sous anesthésie.) Pour augmenter leurs chances de recevoir un don d’ovocytes, les couples sont encouragés à trouver une donneuse, qui donnera ses ovocytes à un autre couple. Au vu du manque de donneuses en France, les couples français sont de plus en plus nombreux à avoir recours au don à l’étranger en particulier à cause du délai d’attente mais aussi du fait qu’il y a moins de restrictions (situation du couple, âge, etc.).1 En effet, en France pour avoir recours au don d’ovocytes il faut être âgé de moins de 43 ans, depuis 2021, cela est accessible aux femmes seules, en couple (hétérosexuel ou homosexuel) et une démarche notariale est nécessaire.

Pour toutes ces raisons, la loi bioéthique française est perçue comme l’une des plus rigides au monde aussi bien par les professionnels que les familles. En effet, le Pr Frydman2, un spécialiste de la reproduction et du développement de l’assistance médicale à la procréation en France, dit lors d’un entretien pour le journal Les Échos, le 18 février 202é3 : « On est d’ailleurs le seul pays à avoir fait quatre lois de bioéthique ! À chaque fois, ce sont des problèmes politiques, des alliances et des mésalliances qui sont rejouées, sans compter que la culture française est très imprégnée d’une réflexion religieuse ». Ces couples sont amenés à la transgresser car certaines pratiques ne sont pas autorisées sur le sol français. Celles-ci sont interdites, tout en pouvant être prises en charge financièrement par la sécurité sociale (si elles remplissent les conditions légales dans le pays de réception du don). De nombreux professionnels dont le Pr Frydman, dénoncent ce paradoxe. En effet, les pays dans lesquels ces futurs parents se rendent n’ont pas tous le même cadre légal, en termes de critères de sélection ou de confidentialité. Ce sont d’ailleurs les professionnels de santé qui proposent aux couples d’essayer hors de France pour deux raisons principales : la limite de l’âge, dans un premier temps et la possibilité d’avoir accès à des ovocytes compatibles avec leur couleur de peau (au phénotype) dans un second temps. En effet aujourd’hui, pour différentes raisons, les couples décident d’avoir des enfants tardivement, en général après 30 ans. Quand ce désir n’est pas réalisé de manière naturelle, un parcours de PMA se met en place et cela peut durer plusieurs années (4 cycles complets de FIV sont remboursés) puis ensuite vient la décision de recevoir un don d’ovocytes. En général, les femmes ont autour de la quarantaine, ainsi l’âge est un facteur limitant pour les démarches en France. De plus en France, le don étant anonyme et gratuit, il y en a peu, mais surtout un faible nombre de dons avec les facteurs de diversité génétique. Ainsi, un couple avec une couleur de peau foncée aura très peu de chance de trouver un donneur proche de son identité génétique en France. C’est la deuxième raison qui pousse beaucoup de couples à chercher les dons à l’étranger. En effet, plusieurs pays comme l’Espagne, la Grèce, la Roumanie, etc., développent tout un marché autour du don d’ovocytes, ce qui est loin d’être le cas en France qui protège avant tout les donneurs et les receveurs.

Effectuer cette démarche à l’étranger suppose de faire confiance à la médecine locale. Ces couples ne contrôlent aucunement les conditions de procréation et parfois n’ont qu’une brève compréhension de ce qui se passe. En effet, ils arrivent dans un pays qu’ils ne connaissent pas, sans forcément parler la langue. Ils y restent pour peu de temps, sans repères. Ils s’en remettent à la médecine, pour la chose la plus importante à leurs yeux, avec tous les enjeux que cela comporte. Ils peuvent dire à quel point ils ont peur que la médecine se trompe. Les femmes disent qu’elles sont effrayées à l’idée de porter un bébé qui serait d’une couleur de peau différente de la leur (Fortier, 2011). Elles font souvent des cauchemars en imaginant un bébé malformé ou un bébé totalement « autre ».

Tout ceci n’est pas sans conséquence dans le vécu de ces couples qui ont souvent des craintes. Cela peut engendrer un sentiment d’illégitimité, voire d’illégalité. Les femmes que nous avons rencontrées dans notre clinique, nous disent qu’elles ont l’impression d’avoir « volé » un bébé, ou de l’avoir « déraciné ». Le fait de devoir se rendre à l’étranger pour effectuer un parcours de PMA fait partie, entre autres, de ce qui a été qualifié de « tourisme procréatif » ou de « tourisme médical ». Ces appellations nous semblent banalisantes et ne laissent pas de place à la prise en compte de la souffrance des couples, ni à leurs rêves et à leurs espoirs. Elles la minimisent ou la dénient.

Ces couples sont prêts à effectuer un voyage, hautement chargé en symbolique, pour aller chercher ailleurs ce qu’ils n’arrivent pas à obtenir chez eux : un enfant, une parentalité, une identité, une part d’eux-mêmes. Ce voyage pourrait être qualifié d’initiatique, avec l’idée que ces personnes puissent renaître « autres » après cette expérience.

Ceux-ci doivent faire face à un véritable « parcours du combattant » afin de réaliser leur désir : recherche de cliniques, allers/retours fréquents entre la France et l’étranger, réservations de billets d’avion, d’hôtel, programmation de congés, disponibilités qui coïncident avec le temps médical… Cet investissement, coûteux à différents points de vue (temporel, financier…), pourrait être perçu comme un temps d’appropriation du projet qui permet une mobilisation psychique.

Aussi, à l’instar de Mehl (2012) qui a qualifié ces couples de « migrants de l’assistance médicale à la procréation », nous pourrions qualifier ce souhait de « projet migratoire temporaire ». Nous faisons le parallèle avec le voyage migratoire des personnes qui doivent quitter leur pays pour s’installer ailleurs et/ou se sauver. Ces femmes peuvent d’une certaine manière, être aussi dans un refus ou une fuite de leur condition : la stérilité. Elles semblent parfois désespérées et prêtes à tout, en quête d’un ailleurs qui sera meilleur et qui pourra enfin les réaliser. La migration est permise par une pulsion de vie très forte qui les anime, tout comme pour les migrants, avec l’idée qu’elles effectuent un voyage qui les transformera à vie.

Ce projet est parfois bien élaboré, mais il peut aussi s’apparenter à un passage à l’acte. Celui-ci est facilité par la rapidité des démarches qui ne permet pas toujours une réalisation des enjeux psychiques conscients et inconscients de cette recherche et de l’accueil de cet ovocyte. Dans le cadre du suivi à la maternité, certaines femmes nous ont même confié « ne plus savoir ce qu’elles avaient dans leur ventre » suite à un don à l’étranger, et en particulier une qui a été jusqu’à effectuer une interruption volontaire de grossesse (IVG) tant cela était étrange et vécu comme source d’inquiétude pour elle. Le travail clinique ne consisterait-il pas alors à aider à l’émergence de cette temporalité comme constitutive d’une appropriation du projet ? Ne faudrait-il pas un accompagnement spécifique dans le cadre de don d’ovocytes à l’étranger dès lors que ce choix est exprimé ?

La donneuse

La question du don d’ovocytes à l’étranger fait également émerger chez ces mères des fantasmes à propos de la donneuse d’ovocytes. Qui est-elle ? A-t-elle de « bons » gènes ? Est-elle en bonne santé physique et psychique ? À travers ces interrogations, s’exprime l’envie de transmettre du bon pour leur bébé. Cela peut être aussi vécu comme une tentative de contrôler leur situation. Leur désir étant de créer des liens avec leur futur bébé sur des bases un minimum connues. Pour d’autres couples, le fait de ne pas avoir beaucoup d’informations est protecteur. Cela contribue à la déshumanisation de la donneuse, en minimisant son rôle et en la réduisant à du « matériau biologique » (Weil, 2007). Dans nos rencontres, nous constatons que les mères oscillent entre l’envie d’en savoir plus sur cette donneuse et la nécessité de ne rien savoir pour se protéger.

Par ailleurs, certains pays indemnisent les donneuses en les rémunérant. Certains parents racontent qu’ils ont l’impression d’avoir « payé » pour avoir leur bébé, ce qui peut poser des questions éthiques. Cela peut aussi interroger sur la condition de la femme qui effectue ce don en l’assimilant à une véritable activité professionnelle (Fortier, 2011). Le risque étant de tomber dans une marchandisation ou une exploitation des corps. Quelles sont ses réelles motivations ? Pourrait-elle mentir pour de l’argent ? Dans quelles conditions vit-elle ? Comment a-t-elle été sélectionnée ?  Jordana (2011) quant à elle, pense que la rémunération du don permet « aux gamètes de garder leur place de produits détachables et renouvelables du corps humain […], ce qui éviterait ainsi d’attribuer aux donneurs une place de parents » (ibid., p. 39). Par ailleurs, le fait de payer permettrait probablement de ne pas se sentir en dette envers cette femme donneuse, pourvoyeuse du matériau qui leur fait défaut. La question est également de savoir comment s’acquitter de cette dette si la donneuse est inconnue ? Si celle-ci est connue, comme cela est autorisé dans certains pays, existe-t-il une manière (financière ? symbolique ?) suffisamment à la hauteur de ce don de parentalité et de ce don de vie ? Sinon, serait-elle à inventer pour cristalliser et offrir un espace de résorption possible du sentiment de culpabilité ?

Aussi, ces futurs parents éprouvent une certaine ambivalence : c’est grâce à cette « donneuse-sauveuse » qu’ils vont pouvoir s’accomplir mais cela peut raviver leur blessure narcissique avec un sentiment d’infériorité voire de rivalité. En effet, sur le plan symbolique, aux yeux de la femme qui accueille cet ovocyte, ce bébé peut être perçu comme le fruit d’un adultère entre son propre compagnon et la donneuse. Sur ce point, les hommes ont tendance à minimiser le rôle de celle-ci et les femmes s’en défendent lorsque cela est trop coûteux pour elles, notamment lorsque cette femme représente une « image maternelle toute puissante et indépassable » (Canneaux et al., 2013, p. 90). Finalement, « plus la donneuse fait l’objet de représentations inquiétantes, plus il est difficile pour ces femmes de rendre familier l’enfant à venir » (ibid., p. 88).

Les centres de PMA effectuent ce qu’on appelle un « appariement » entre les caractéristiques de la donneuse et celles la receveuse afin qu’il y ait le plus de ressemblance physique possible entre les deux. Ils partent du principe qu’en cas de dissemblance, il puisse y avoir des difficultés d’attachement, pour les parents mais aussi pour la famille plus élargie qui n’est pas forcément au courant du don d’ovocytes. La question des ressemblances est au cœur des préoccupations de ces femmes car le désir de bébé est d’ordre narcissique, celui-ci étant vécu comme le prolongement de soi-même. Pour Fortier (2011), cette question est centrale pour compenser le manque de lien biologique entre elles et leur bébé. Ces femmes expriment très souvent leurs craintes de ne pas se reconnaître en lui. D’après Canneaux et al. (2013) « il s’agit du désir conscient d’avoir un enfant qui lui ressemble ou la nécessité de projeter des images familières sur le fœtus afin de diminuer son étrangeté » (ibid., p. 83).

Au final, on pourrait faire l’hypothèse que la médecine a bien perçu cette inquiétante étrangeté, et propose une réponse exclusivement somatique et expérimentale qui semble rassurante pour tout le monde, à la fois pour les « appariteurs » et pour les futurs parents. Même si cette homologie parfaite est bien sûr illusoire, car il y a tant de choses qui échappent lorsqu’il est question de transmission… La psychologie clinique vient apporter une part complémentaire au processus de réassurance des futurs parents.

Le vécu de la grossesse

C’est souvent pour vivre une grossesse que la femme « préfère » avoir recours au don d’ovocytes plutôt qu’à l’adoption. La grossesse est un temps de remaniements physiques et psychiques qui permet à la femme enceinte de devenir mère de son bébé. Nous partons du postulat qu’il en est de même pour les femmes qui ont bénéficié d’un don d’ovocytes à l’étranger, et que cela est une étape particulièrement attendue, voire idéalisée, pour se sentir enfin mère. « La métaphore de la grossesse comme travail de gestation et comme lieu originaire actif, qui transforme l’embryon étranger en un enfant est toujours très investie par les femmes et leurs compagnons. » (Weil, 2011, p. 32). Cette grossesse peut être réparatrice car elle permet un temps d’actualisation des conflits plus anciens, et elle peut permettre de les revisiter et de les dépasser si elle est bien accompagnée sur le plan psychologique. En effet, ce qui compte pour ces femmes, c’est de porter ce bébé, de le sentir bouger, de le mettre au monde et de l’élever. Elles s’appuient sur l’idée que « le lien biologique n’est ni nécessaire, ni suffisant pour devenir parent » (P. Lévy-Soussan, 2002, p. 40). D’ailleurs en France, sur le plan juridique, ce qui fait une mère, c’est l’accouchement. Cela permet de ne pas les différencier des autres mamans. Celles-ci sont souvent très fières de mettre en avant ce ventre et cette grossesse, qui viennent attester de leur fécondité et de leur fertilité (Canneaux et al., 2013).

Tout cela contribue à mettre de côté leur parcours ou à l’oublier, mécanismes de défense à l’appui, ce qui peut être protecteur pour beaucoup de femmes. Raoul-Duval (1991) parle de déni du don d’ovocytes, alors que Weil (2007) parle de dénégation, celle-ci étant « nécessaire au maintien d’un calme libidinal qui permet une mise à distance des fantasmes trop dangereux » (ibid., p. 125). Cette dénégation pourrait également jouer un rôle dans « l’affiliation des parents à leur enfant en évacuant la question du tiers », selon Ségade et al. (2017, p. 46). 

En revanche, pour d’autres, la blessure narcissique est telle qu’elle rend difficile la « greffe » entre la mère et son fœtus. Certaines peuvent dire qu’elles ont l’impression d’être une mère porteuse.

Bébé étrange et étranger

Toute grossesse a une part de mystère. Le foetus se développe en dehors de tout contrôle, même si la société et la médecine tentent de s’en approcher avec notamment les progrès du diagnostic anténatal. La femme enceinte porte en son sein un fœtus qui peut susciter en elle une « inquiétante étrangeté » au sens freudien (Freud, 1919). Il a identifié « cette sorte de l’effrayant qui se rattache aux choses connues depuis longtemps, et de tout temps familières » (ibid., p. 163). Cette notion est reprise notamment par Bydlowski (2000) et Missonnier (2006) en période périnatale du fait de l’entre-deux de la grossesse (entre réactualisation du passé et projection dans le futur) et de la fragilité que ces remaniements psychiques peuvent engendrer.

Pour Soubieux et Soulé (2005), chaque enfant porte en lui à la fois quelque chose d’étranger et de familier. Cette étrangeté se perçoit parfois au détour d’entretiens, dans ce qui n’ose pas toujours se dire, même si nous pouvons la pressentir. Elle peut par exemple prendre corps lorsque le bébé est porteur d’une malformation, ou lorsqu’il naît très prématurément. Certains parents nous disent qu’ils ne se reconnaissent pas en ce bébé car il ne correspond pas au bébé imaginaire qu’ils s’étaient représentés pendant la grossesse. Pour permettre son investissement, ceux-ci sont à la recherche d’une continuité entre le bébé rêvé et le bébé réel, et ils ne la trouvent pas toujours.

Cette étrangeté peut également se révéler lorsqu’un couple infertile fait appel à un don de gamètes. Par exemple, lorsque la femme reçoit des ovocytes suite à un don, celle-ci porte en elle un bébé qui ne partage pas son patrimoine génétique, c’est-à-dire qui lui est biologiquement étranger. Cela suppose qu’une autre femme, qu’elle ne connaît pas, et qui est dotée de ce qu’elle n’a pas, donne ses ovocytes, qui seront fécondés avec les gamètes de son compagnon, dans le cadre d’une FIV. Cela vient questionner le statut de cette femme, de ce don, et la place que chaque couple lui accorde, en fonction de leurs projections et leur histoire. La femme qui accueille cet ovocyte engage donc un travail psychique considérable, au risque de se retrouver seule dans cette élaboration.

La rencontre avec le bébé

Nous avons vu que ces femmes mettent en place des mécanismes de défense importants durant la grossesse pour construire leur sentiment maternel et ainsi pouvoir tisser la relation avec leur futur bébé. Il en est de même lorsqu’elles le rencontrent au moment de la naissance, lorsqu’elles sont confrontées à sa réalité. Alors que ces questionnements autour des ressemblances, de l’attachement, du sentiment de légitimité maternelle prennent enfin corps lorsqu’elles font connaissance avec lui, dans les interactions précoces, qu’en est-il alors de cette inquiétante étrangeté ? Qu’éprouvent-elles lorsqu’elles regardent leur bébé ? Lorsque celui-ci les regarde avec intensité ? À quel point vont-elles attendre de leur bébé qui les rassure sur leur maternité et leurs compétences ? Sur quoi s’appuient-elles pour projeter sur lui un peu de familier, sur le plan physique ou comportemental ?

Au final, Karpel et al. (2005) affirment que « quelle que soit la dissemblance de l’enfant, elle rappelle le recours au don de gamètes et la stérilité. Si celle-ci est vécue comme une tare, une honte à effacer, toute trace de différence chez l’enfant pourrait provoquer une réaction de colère ou d’agressivité de la part des parents à son égard. » (Ibid., p. 564).

Du geste à la parole clinique

Dans notre pratique, nous constatons la difficulté pour ces mamans à exprimer leur vécu. Certaines ne peuvent pas en parler du tout. Il est fort à penser que cette « omission » autour du don soit aussi contagieuse, car il arrive que les équipes soignantes n’y portent pas attention. Ce peut être aussi une réaction en écho à ce que ces femmes leur montrent. En effet, la plupart renvoient une image très positive, de mamans particulièrement investies, voire idéales (Canneaux, 2013), mettant de côté les aspects les plus ambivalents de la relation avec leur bébé. Il est aussi probable qu’elles soient dans une surcompensation face au manque de lien génétique avec leur bébé.

L’identification et le respect de la temporalité de ces défenses sont des attentions importantes dans le processus de la rencontre avec ces mamans. Les premiers temps passés avec leurs bébés sont des moments sacrés et délicats, que nous respectons en étant très précautionneux dans ce qui va être dit et renvoyé, à l’instar de ce que Dolto (1995) nommait « les paroles autour du berceau ». Finalement, que reste-t-il de cette « préhistoire » ? Quelles sont les traces qui vont être laissées par ce parcours et ce voyage singulier ? Quels sont les fantasmes liés à la donneuse et au pays d’origine ? Dans quelle mesure ceux-ci vont-ils nourrir cette relation mère-bébé ? Dans ces situations, l’inné et l’acquis sont questionnés, avec l’idée que ce bébé pourrait porter en lui les traits de cet autre pays, de cette autre culture (Fortier, 2011). Une jeune maman, qui venait de bénéficier d’un don d’ovocytes en Espagne, nous confiait qu’elle espérait que son enfant n’aime pas la paëlla, n’appréciant pas elle-même ce plat. À travers cet exemple se jouent toutes les attentes de cette mère qui espère que son bébé lui ressemblera plus qu’il ne ressemblera au pays qui lui a donné l’ovocyte.

Nous pouvons faire le parallèle avec l’adoption, pour laquelle la culture d’origine de l’enfant adopté est identifiée et même encouragée. « Alors même que ces enfants adoptés partagent depuis tout-petits la culture de leurs parents adoptifs, ces derniers leur prêtent, du fait de leur différence physique, un besoin de connaître cette autre culture ethnique dont leur corps porterait la trace. » (Op cit., p. 299). Cela est permis car l’adoption fait l’objet d’une reconnaissance par la société, avec des rites qui permettent l’inscription de l’enfant dans la lignée familiale.

A contrario, le don/ l’accueil d’ovocytes reste confidentiel voire tabou, à la fois pour la société, pour les proches et également pour les soignants qui les accompagnent. Partant du principe que la mère a porté son bébé, il est difficile d’évoquer le fait qu’il y a eu un apport génétique et donc difficile aussi bien pour le couple, la famille ou les soignants de partager cette question du don d’ovocytes et l’existence d’une donneuse génétique. Cet accueil groupal faisant office de contenant ne peut donc se faire, et ce qui nous interroge, c’est la solitude probable dans laquelle ces femmes peuvent se trouver. C’est ce qu’elles expriment lorsqu’on leur en donne la possibilité, car elles n’ont pas d’autres espaces où ces questionnements peuvent trouver leur place. Karpel et al. (2005) expliquent à ce propos que « l’inquiétant chez cet enfant, ce n’est pas uniquement le différent en lui, mais aussi ce que l’on a cherché à cacher à son propos et qui menacerait de refaire surface : la stérilité de la mère et l’existence d’une donneuse réelle inconnue. » (Ibid., p. 564).

La place de psychologue clinicienne à la maternité est une place privilégiée. Elle accompagne les parents effectuant leurs premiers pas à la rencontre de leur bébé. Nous sommes donc au cœur de l’intime, penchés autour des parents et du berceau, à l’écoute de ce qui se conte. Nous sommes attentifs à ce qui se dit, mais aussi à tout ce qui se tait, et qui s’inscrit malgré tout dans l’histoire du bébé.

De proche et de loin : l’étrangeté du bébé en question

C’est dans l’après coup de rencontres cliniques avec ces femmes à la maternité, à l’occasion de la naissance de leur bébé, que nous nous sommes questionnés ; sur le décalage entre ce parcours particulièrement coûteux psychiquement et le fait que ça ne puisse pas s’exprimer, même si cela affleure dans les paroles des patientes parfois. En effet, accéder à ces représentations est difficile. Leur mise en récit est parfois évitée. Les jeunes mamans sont donc très peu nombreuses à effectuer une demande d’entretien psychologique ou de psychothérapie de soutien, mais nous les rencontrons parfois autour d’un symptôme autre. Ce peut être par exemple pour des difficultés autour de l’allaitement. Aussi, une patiente exprimait le plaisir qu’elle avait à enfin rencontrer ce bébé tant attendu. En revanche, elle pouvait dire que son mari était raciste. Cet homme semblait être en difficulté pour se représenter ce bébé « étrange », voire être dans un rejet de cette altérité chez sa petite fille qui avait une couleur de peau légèrement plus foncée que la sienne. L’écoute clinique permet de repérer ces éléments de vulnérabilité et d’être attentif aux enjeux de cette rencontre pour l’avenir du bébé, de la triade et de la famille.

Conclusion

Pour les couples ayant recours à un don d’ovocytes à l’étranger, un accompagnement psychique en psychothérapie de soutien nous semble indispensable à l’inscription du futur bébé dans cette histoire singulière. Cet espace d’élaboration psychique ne sera possible que s’il est intégré au parcours de soin somatique et, porté par les équipes, dans une pensée pluridisciplinaire. Son déploiement est un des enjeux de notre travail d’articulation et de collaboration avec les soignants au quotidien. Pour que cela puisse se mettre en place, il est nécessaire et indispensable que les équipes du soin psychique et de prévention, soient sensibilisées et formées sur le sujet, afin de mesurer les enjeux et la portée de leur accompagnement. Si ces couples, au moment du séjour à la maternité, se sentent alors autorisés à en parler à des soignants prêts à les écouter, et suffisamment sécures pour aborder ces questions, il est fort à penser que leur vécu d’inquiétante étrangeté pourra, dans un second temps, s’élaborer et se transformer.

Enfin, cela vient questionner le suivi médical de grossesse qui est proposé aux couples ayant ce parcours de don d’ovocytes à l’étranger. Les pratiques actuelles en obstétrique vont dans le sens d’une prise en charge plutôt « classique » s’il n’y a pas de complication médicale, ce qui contraste avec l’hyper médicalisation du parcours de PMA tant décriée par les patients. N’y aurait-il pas un entre-deux à chercher pour que cette grossesse, si singulière sur le plan psychique, fasse l’objet d’une préoccupation un peu plus conséquente ?

  1. La question de « l’indemnisation » des donneuses à l’étranger augmente significativement le nombre de donneuses. En France, le temps d’attente moyen pour recevoir un don est de deux à trois ans alors qu’en Espagne ces délais peuvent être réduits à deux mois.
  2. Le Pr Frydman est celui qui a permis la naissance du premier « bébé éprouvette » français ainsi que celles des premiers bébés français à partir d’ovocytes congelés.
  3. Interview Les Échos du 18 février 2022 www.lesechos.fr/weekend/perso/rene-frydman-le-desir-denfant-justifie-t-il-tout-1387953
Résumé

Femmes recevant des ovocytes à l’étranger. Approche transculturelle

C’est en accueillant régulièrement le concept d’inquiétante étrangeté au sein de notre travail clinique en psychologie périnatale que nous nous sommes interrogés sur le vécu particulier de la femme qui bénéficie d’un don d’ovocytes à l’étranger. Celle-ci porte en elle un bébé qui lui est génétiquement étranger. Les techniques de l’assistance médicale à la procréation permettent désormais à des femmes infertiles de devenir mères, et parfois les couples sont amenés à aller dans un pays étranger pour réaliser leur désir de parentalité. Néanmoins, cette démarche ne laisse pas le couple et en particulier la mère, indemnes. C’est en explicitant le parcours migratoire de ces femmes en quête d’ovocytes que nous mettrons en lumière les fantasmes associés à cette histoire singulière. Nous nous demanderons dans quelle mesure ces enjeux psychiques sont-ils actifs dans le vécu de la grossesse et quelle place prennent-ils lors de la rencontre avec leur bébé au moment du séjour à la maternité.

Abstract

Women who receive oocytes from abroad: a transcultural approach

In the light of the concept of the “Uncanny” in the context of our clinical practice in perinatal psychology, we sought a better understanding of the psychological experiences that women go through when receiving oocytes from abroad. These women bear babies who are genetically foreign to them. Today, assisted reproduction technology enables infertile women to become mothers.  Couples sometimes have to travel abroad to fulfil their desire for parenthood. Nevertheless, this approach does not leave couples and in particular mothers unscathed.  By exploring the migratory trajectory of women seeking access to oocytes, we attempted to shed light on the fantasies associated with their singular experience. We wondered to what extent psychological issues played an active role in these women’s experiences of their ensuing pregnancy and what place these issues held when they met their baby for the first time during their stay in the maternity ward.

Resumen

Mujeres que reciben ovocitos en el extranjero. Enfoque transcultural 

En nuestro trabajo clínico en psicología perinatal nos hemos cuestionado la experiencia particular de las mujeres que se benefician de la donación de óvulos en el extranjero. Este cuestionamiento pasa por frecuentes referencias al concepto de extrañeza inquietante. Estas mujeres llevan en ellas un bebé que les es genéticamente ajeno. Las técnicas de Procreación Médicamente Asistida permiten que las mujeres infértiles se conviertan en madres, y en ocasiones las parejas tienen que ir a un país extranjero para cumplir su deseo de paternidad. Sin embargo, este proceso no deja indemne a la pareja y en particular a la madre. Es explicando el viaje migratorio de estas mujeres en busca de ovocitos que clarificamos las fantasías asociadas a esta singular historia. Nos preguntaremos en qué medida estas cuestiones psíquicas están activas en la experiencia del embarazo y qué lugar ocupan en el encuentro con su bebé durante la estancia en la maternidad.

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