Éditorial
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Je veux d’abord vous faire part d’une réflexion de femme… Simone Veil nous manque déjà
Publié dans : L’autre 2017, Vol. 18, n°3
Marie Rose MORO
Marie Rose Moro est pédopsychiatre, professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, cheffe de service de la Maison de Solenn – Maison des Adolescents, CESP, Inserm U1178, Université de Paris, APHP, Hôpital Cochin, directrice scientifique de la revue L’autre.
Claire MESTRE
Claire Mestre est psychiatre, psychothérapeute, anthropologue, responsable de la consultation transculturelle du CHU de Bordeaux, Présidente d’Ethnotopies, co-rédactrice en chef de la revue L’autre.
Pour citer cet article :
Moro MR, Mestre C. Je veux d’abord vous faire part d’une réflexion de femme… Simone Veil nous manque déjà. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2017, volume 18, n°3, pp. 265-267
Lien vers cet article : https://revuelautre.com/editoriaux/je-veux-dabord-vous-faire-part-dune-reflexion-de-femme-simone-veil-nous-manque-deja/
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Simone Veil, on vous aime, comme l’a dit élégamment Jean d’Ormesson lors de votre entrée à l’Académie française. La revue L’autre, comme toute la France et bien au-delà aimait Simone Veil. Je1 l’ai croisée à plusieurs reprises et j’ai toujours été frappée par sa détermination, sa force transgressive qui contrastait avec son allure de femme « bourgeoise », sa beauté et sa grande gentillesse. Elle a répondu méthodiquement à toutes les demandes que je lui ai faites pour notre revue sauf une, elle n’a pas accepté d’être interviewée car déjà trop fatiguée par la maladie au moment où je lui ai proposé.
On aime toutes les facettes de cette femme, l’adolescente déportée d’Auschwitz-Birkenau qui a réussi à se battre pour sa mère, sa sœur, sa famille, les siens et tous ceux qui ont été déportés. Et lorsqu’on a connu l’horreur des camps de si près, se battre ensuite pour des valeurs positives, des valeurs de progrès, des valeurs de liberté, des valeurs de paix et de construction européenne par exemple, c’est la preuve d’une force singulière, exceptionnelle, d’une lucidité et d’une bienveillance qui redonne foi en la vie. Simone Veil incarne comme le dit le romancier Marc Dugain, des valeurs de la contre-culture née dans les années soixante, elle n’incarne pas seulement la valeur de la survie mais selon sa belle expression, celles de la « vie plus juste ».
Marceline Loridan-Ivens, l’amie et « jumelle contradictoire » rencontrée dans le camp d’extermination, dit d’elle à son enterrement qu’elle était la mieux « roulée » de toutes les jeunes filles arrivées à Auschwitz-Birkenau… expression provocante pour rappeler qu’elles étaient avant tout des jeunes filles, qui, comme toutes les jeunes filles de toutes les époques, aimaient à se regarder et être coquettes. D’ailleurs la beauté et le goût des beaux habits ont joué un grand rôle dans sa vie : sa beauté, elle ne la brandissait pas comme une arme de séduction, mais elle l’a protégée et on l’aimait aussi pour cela. Elle évoque dans sa biographie cet émouvant souvenir d’avoir eu pour don, par une prisonnière à Auschwitz, de deux robes, l’une pour elle, remplaçant ses guenilles, et l’autre qu’elle offrit à une amie.
On aime bien sûr la féministe qui a été détestée pour les mêmes raisons que Simone de Beauvoir dira Elisabeth Roudinesco. Les deux Simone se sont battues pour que les femmes disposent de leur corps, qu’elles ne meurent pas de vouloir assumer ou pas un enfant, qu’elles choisissent le moment de la filiation et qu’elles exercent leur liberté. Les femmes ont un corps, une liberté, elles choisissent de faire des enfants ou pas et elles ne peuvent revenir en arrière sur cette liberté. Elle avait un grand sens de l’histoire et considérait que le droit à l’avortement qu’elle avait défendu en 1974 n’était pas une victoire mais un progrès. Et je suis prête à penser qu’elle pensait cela de toutes les avancées du féminisme. Ce n’était pas un féminisme de combat contre les hommes mais un féminisme de progrès pour toute l’humanité, hommes et femmes compris.
C’était un féminisme pragmatique, dont elle dit elle-même2 qu’il a grandi avec le temps : de la négociation avec son mari pour être magistrat et non avocate, à la « militante de leur cause », elle affirmait clairement être pour « toutes les mesures de discrimination positive » susceptibles de réduire les inégalités, quelles qu’elles soient.
On aime aussi son rapport à la mémoire et à l’histoire, sa défense d’une vérité juste, non enjolivée ni manipulée, respectueuse des victimes juives et tziganes de spoliations et de pertes monumentales, qui fut le dernier combat de l’une des dernières témoins de la Shoah qu’elle était.
On aime enfin pêle-mêle son rapport à la laïcité, à la liberté, à la politique, à l’Europe, à la fraternité, à la parentalité… Bien qu’elle avait une vie publique forte et intense, elle gardait un souci permanent pour ses enfants petits et grands, puis ses petits-enfants. Elle aimait leur parler et leur raconter la petite et la grande histoire. Qui sait combien c’est difficile pour nous les femmes de concilier toutes ces parcelles essentielles de notre vie de femme, d’épouse et de mère ! On ne peut que penser qu’elle a été une pionnière révolutionnaire dans ce domaine. D’où lui venait cette force si grande ? D’une enfance heureuse ? Du personnage maternel qui lui indiqua la voie de l’indépendance et du courage ? De l’enracinement dans une vie familiale et de l’accompagnement par son mari Antoine ? Tout cela, sans doute, et pas seulement, car Simone Veil dès son plus jeune âge a manifesté un caractère trempé et entier. Il n’y avait pas pour elle, de petits ou de grands engagements, mais une vie debout et assumée.
On aime encore l’amour qu’elle portait à sa sœur, partie trop tôt, une partie d’elle-même, comme toutes les sœurs. Et malgré tous ces grands malheurs collectifs et privés, elle restait capable de participer à un monde plus égalitaire et fraternel plutôt que de choisir des valeurs d’un camp politique. C’est pour cela qu’on pouvait toutes se projeter en elle, s’appuyer sur elle. Elle croyait à la vie et à la liberté, elle croyait aux valeurs qui la fondent et à la nécessité de co-construire des histoires et des liens, seule manière de s’opposer à la violence, seul antidote à la haine.
On aime encore la femme ministre, la femme écrivaine qui rentra à l’Académie française. Elle est maintenant au Panthéon mais à condition d’y rentrer avec son mari Antoine, demandèrent ses proches, car les liens humains comptaient pour elle par dessus tout.
Dans le panthéon des grands ancêtres de la revue L’autre, elle rejoint aussi Germaine Tillion, qu’elle a croisée dans ses combats, notamment auprès des prisonniers algériens dans l’Algérie en guerre des années 50.
Un mot résume Simone Weil selon son ami Guy Konopnicki « dignité » et un modèle pour notre génération de femmes. Nous sommes toutes des petites sœurs de Simone Veil.
Paris, le 18 juillet 2017