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© DisobeyArt - Group of young people waiting for going inside a shop market while keeping social distance in line during coronavirus time Source D.G.
Le confinement : quel impact sur notre vécu temporel ?
Josée HAYEK
Josée Hayek est psychologue clinicienne, doctorante à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Rayan AZIZ
Rayan Aziz est psychologue clinicien, doctorant à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Layla TARAZI-SAHAB
Layla Tarazi Sahab est Professeure à l’Université Saint Joseph (USJ-Liban), chercheuse au Laboratoire de Paris 13 (Villetaneuse-France), psychanalyste.
Acier D., Pilet, J.-L., Chaillou C., Bertin D., Broussard M. & Facy F. (2016). Élaboration et validation du Test d’Orientation Temporelle (TOT). Psychologie française, 61, 177-190. http://dx.doi.org/10.1016/j.psfr.2015.03.003
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Le temps, tout d’abord mesure chronologique universelle, demeure un cadre référentiel omniprésent à toute expérience de vie. Pour un individu, la manière de vivre ce temps physique est souvent personnelle et chargée de sens. Ceci donne au temps une deuxième dimension subjective, cruciale pour la survie et la navigation d’une manière adaptée du monde extérieur (Suddendorf & Corballis, 1997). L’impact que peut avoir le vécu de confinement suite à la pandémie du coronavirus sur le vécu temporel des personnes s’avère être un objet de recherche transculturel. En effet, bien que le sujet puisse voir le temps comme une construction noire et blanche avec des règles dictant son fonctionnement, la manière dont il le recherche et l’interprète reste unique et peut varier d’un individu à un autre en fonction du contexte dans lequel il se trouve (Gana et al., 2013 ; Wang et al., 2011). Le vécu du temps, particularité fondamentale de l’expérience humaine et forme primaire de la subjectivité humaine (Colonnello et al., 2016), est particulièrement prégnant dans les temps actuels. En tant qu’humains, nous devons apprendre à y faire face non seulement objectivement, en termes de gestion de minutes et d’heures, mais aussi en tant qu’expérience personnelle. Ceci peut aboutir à différentes manières de vivre le confinement et peut constituer un objet de recherche pertinent pour la santé mentale.
Vécu de confinement
Suite à l’annonce de la pandémie du coronavirus en mars 2020 par l’Organisation Mondiale de la Santé, la plupart des habitants du monde ont été obligés à suivre des mesures de confinement relativement strictes. Ces individus, en majorité, sont forcés à passer des semaines voire des mois dans leurs domiciles dans le but de contenir autant que possible la propagation du virus. Les mesures de confinement adoptées par les pays ont sans doute modifié la façon dont les individus menaient leur vie, leurs habitudes et leurs activités. Les sorties sont désormais limitées à des courses absolument nécessaires. Se rendre au travail, à l’école, chez des amis ou des proches ne sont plus possibles, menant à un quasi-isolement du monde externe. Même le toucher et les échanges de poignées de mains sont devenus presque inexistants. Dans ce temps de confinement, plusieurs individus ont développé une peur du virus qui s’est rapidement transformée en une peur de l’autre et une peur de l’avenir, chose à la fois dangereuse et imprégnée d’incertitude.
Cette réalité menaçante du confinement peut être semblable à la réalité d’incarcération. Comme en prison, l’accès au monde externe est limité. Et comme les prisonniers, les individus confinés tendent à perdre le contact avec le monde externe. Ils sont dépourvus du droit de sortir, de se déplacer et d’avoir des interactions sociales (excluant celles qui ont lieu en ligne). Dans ces deux situations, la présence de l’autre pose un danger et la maison, comme la cellule, devient une prison aussi physique que mentale.
En effet, le confinement, marqué par la permanence d’un même cadre de vie architectural, organisationnel et d’une distanciation et d’un repli relationnel et social, similaire au cadre de vie en prison, exerce une emprise et laisse une empreinte sur les personnes confinées. La perte de contrôle de son environnement peut favoriser le sentiment d’étrangeté à soi-même et à l’écoulement du temps (Lhuilier, 2007). Les personnes confinées semblent totalement soumises au rythme imposé par le confinement ; un calendrier qui trahit l’importance d’une perception réelle et objective de l’écoulement du temps. La métrique du temps devient basée sur un quotidien monotone ; et tout comme le vécu en prison, le vécu de confinement commence à contribuer à l’apparition de signes caractérisés par une perte de repères spatio-temporels. Bien que les conséquences d’une telle perte dépendent de la structure de la personne incarcérée – voire confinée, la perte de repères spatio-temporels tend, d’une part, à faire assimiler le cadre de vie à un milieu naturel peu ou non contrôlable (Trouillard, 2006) ; et cette perte de la capacité d’initiative, d’autre part, se traduit par une sorte de résignation ou encore une sorte de « robotisation » (Lhuilier, 2007) dont parlent les personnes confinées, sous-tendu par une obéissance contrainte, parfois acceptée face aux injonctions du nouveau cadre et nouvelles conditions de vie. Certaines personnes confinées disent ainsi que demain n’est pas un autre jour mais un jour de plus.
Attitudes face au confinement
Progressivement, et avec la persistance des sentiments de peur (peur de perdre son emploi, de perdre sa vie ou de perdre un proche) et d’incertitude chez les personnes confinées, nous assistons à un changement d’attitudes. D’ailleurs, ce vécu d’anxiété et ce climat de peur instaurés dans le monde entier en période de confinement en sont la raison. Les médias nous informent de manière journalière du nombre d’individus atteints du coronavirus et de la mort d’un nombre élevé de personnes. Beaucoup d’employés ont été congédiés et beaucoup d’entreprises ont fermé leurs portes définitivement.
Les individus réagissent de manière multiple à cette situation. Ainsi, afin de maintenir un certain équilibre psychologique sans, toutefois, trop exacerber leur anxiété face au futur inconnu de la pandémie, certains individus choisissent de vivre au jour le jour et de s’investir dans le présent. Pour ces personnes, leur temps ne peut être orienté que vers le présent, une sorte de défense qui pourrait alors se traduire par une attitude de nature hédoniste, insouciante et détachée des circonstances ambiantes, ou bien de nature fataliste, une soumission aux circonstances ambiantes (Zimbardo & Boyd, 1999). Et, effectivement, nous parlons de défense puisque le fait de s’investir dans le présent peut réduire la peur du futur. Ainsi, un sujet qui adopte une attitude de nature hédoniste fera des activités qui lui fournissent du plaisir et des sensations agréables, tout en prenant des risques. Par conséquent, il peut choisir d’ignorer certaines mesures de protection et de confinement, dépenser plus d’argent que d’habitude pour son plaisir ou abuser de substances psychoactives. Cela se double d’une recherche de sensation à travers de nouvelles expériences et la difficulté à rester dans un fonctionnement de monotonie ou de routine (Acier et al., 2016) que nous retrouvons pour certains lors du confinement.
Une autre alternative est que le sujet développe une attitude d’ordre fataliste. Dans ce temps incertain et face aux évènements incontrôlables qui ont lieu chaque jour, chaque individu ne peut alors qu’être un observateur plus ou moins passif. Par la suite, il peut développer la croyance que la vie est une destinée et qu’il ne peut pas contrôler les situations auxquelles il fait face. Ces personnes, suite au confinement, seront bloquées dans un moment présent en se croyant sans espoir et sans avenir – sauf pour ceux qui se confient à une volonté divine protectrice – puisque le futur semble suspendu à une volonté externe et que les projets personnels sont difficilement atteints.
Dans les deux cas, les personnes se retrouvent dans une certaine atemporalité pour éviter de penser ou se projeter dans un devenir ou un futur incertain. Ceci peut cependant créer une illusion temporelle : nous sombrons dans une impression du moment qui passe (Pauchet, 1984), un vécu temporel complexe et multiple.
Un triple vécu temporel
Le vécu de confinement semble faire naître chez les personnes confinées un triple vécu du temps : un vécu de suspension (rupture), un vécu de perte (dépossession) et un vécu d’apathie (lenteur, ennui, routine). Ces vécus temporels peuvent aussi coexister parfois chez un même individu confiné.
Le vécu de suspension est caractérisé par le ressenti que le temps se fige dans sa durée. Le confinement devient une sorte de présent immobile ; une interruption dans un parcours de vie, une discontinuité par rapport au passé et au futur. Cette suspension du temps mène à la délimitation bien définie de deux réalités temporelles : le passé et le futur auxquels les individus confinés se réfèrent pour parler respectivement des périodes qui se trouvent être avant et après le confinement. Le temps paraît donc suspendu ou cristallisé parce que les processus ou les évènements qui se déroulent durant le confinement sont peut-être répétitifs.
Le vécu de perte, de sa part, se caractérise par une temporalité qui s’écoule et le sujet perd contrôle. Là aussi, l’individu confiné assiste à l’écoulement du temps mais cherche à le remplir. Il cherche à ajuster son temps personnel à l’intérieur de sa maison, à trouver des activités à faire, à essayer et apprendre de nouvelles choses, voire adopter de nouvelles habitudes et routines.
Enfin, le vécu d’apathie semble quant à lui plonger le sujet dans une sorte de soumission. Ce dernier subit le temps sans pouvoir l’animer et assiste à son écoulement lent sans pouvoir se familiariser avec lui. Pour ces personnes confinées, la temporalité se ralentit et devient inconsistante.
Pour chacun des vécus, l’emploi du temps quotidien est dirigé par une répétition d’événements mise en place par l’individu, une routine qui régit la durée de confinement et qui le plus souvent s’impose à la personne confinée. Mais, dans un même temps, la durée de confinement dépend aussi des décisions gouvernementales, du système médical et de l’évolution de la pandémie, chose qui échappe au contrôle de la personne confinée. Néanmoins, ces vécus n’empêchent pas certaines personnes d’avoir une perception positive du temps de confinement. Ce sont des personnes que nous pouvons qualifier d’actives : elles cherchent à produire une différence, à profiter de leur temps en confinement, à avoir recours à des activités à l’intérieur de leurs maisons ou même à travailler sur elles-mêmes. En organisant, planifiant et structurant son environnement et ses activités, l’individu pourra maximiser le contrôle et la prévisibilité des résultats actuels et futurs (Fortunato & Furey, 2010).
Quid de l’après-confinement et des suites des contraintes sanitaires ?
Une question à laquelle nous ne pouvons pas échapper : comment serait la vie après le confinement ? À quoi ressemblera-t-elle ? Pourrait-on s’y adapter facilement ? Quelles sont les difficultés à rencontrer ? Des questionnements qui ressemblent aux préoccupations qu’une personne incarcérée tend à avoir en période de fin d’incarcération. Tout comme la période de fin d’incarcération, la période de fin de confinement peut être considérée comme un moment de la vie où l’individu sortant tenterait de compléter ce qu’il est et ce qu’il a été (Dancoine et al., 2016). Ce dernier sera probablement confronté de façon brutale à l’extérieur. Bien que les jalons perceptivo-sensoriels tels que la télévision, le téléphone, l’accès à l’internet et aux réseaux sociaux soient préservés pour la majorité confinée, ces repères perceptivo-sensoriels vécus ont été modifiés et semblent, pour l’instant, faire simplement l’effet d’une « fenêtre sur l’extérieur » (Dancoine et al., 2016).
Puisque pour certaines personnes confinées le temps semble s’arrêter ou est perçu comme suspendu, la période de post-confinement peut devenir une confrontation à une nouvelle réalité souvent angoissante tant au niveau du rapport à l’extérieur qu’au niveau du rapport à soi-même. La projection dans le futur pourra se manifester comme un moment de changement qui contribuera à un nouvel équilibre du fonctionnement de la personne à la fois physique et psychologique. Le futur sera peut-être surinvesti comme un nouveau possible et sera un moment de mobilisation psychique sans doute opportun à un réaménagement des mécanismes de défense de la psyché. Il sera intéressant, dans certains cas, que la personne confinée puisse rencontrer une attention autre que simplement factuelle et que les chercheurs tentent de l’aider à inscrire son temps de confinement dans une perspective plutôt évolutive. D’ailleurs, ce vécu de confinement serait davantage menaçant si la personne confinée se trouvait engluée dans un temps sans horizon ni limite.
Avec, en filigrane, une question importante : quelle valeur nouvelle aurait le temps après le dénouement du confinement ?