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© Myriam Harleaux, Lofoten, 2011 Source D.G.

Parler aux enfants des catastrophes et des drames

Hélène ROMANOHélène Romano est Docteur en psychopathologie, psychologue clinicienne référente de la cellule d’urgence médico-psychologique du Val de Marne et de la consultation spécialisée de psychotraumatisme du CHU Henri Mondor, Créteil.

Bailly L. Traumatisme psychique chez le jeune enfant et théories sociales infantiles. In: Baubet T, Lachal C, Ouss-Ryngaert L, Moro M. Bébés et traumas. Grenoble: La Pensée sauvage; 2006. p. 59-65.

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Baubet T, Leroch K, Bitar D, Moro MR, éditeurs. Soigner malgré tout. Vol. 2: Bébés, enfants et adolescents dans la violence. Grenoble: La Pensée sauvage; 2003.

Baubet T, Lachal C, Ouss-Ryngaert L, Moro M. Bébés et traumas. Grenoble: La Pensée sauvage; 2006.

Cyrulnik B. Un merveilleux malheur. Paris: Odile Jacob; 1999.

Delage M. Aider à la résilience familiale dans les situations traumatiques. Thérapie familiale 2002; 23 (3): 269-287.

Manciaux M. La résilience: mythe ou réalité. In: Cyrulnik B. Ces enfants qui tiennent le coup. Paris: Hommes et perspectives; 1998. p. 109-120.

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Romano H. Parler aux enfants des catastrophes et des drames. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2011, volume 12, n°3, pp. 352-356

Lors de catastrophes et de drames particulièrement médiatisés, limpact sur la population peut être important et les enfants peuvent en devenir des victimes collatérales. Cet article propose une réflexion sur les modalités de communication auprès denfants exposés à des événements traumatiques.

Lactualité récente vient en quelques semaines de confronter la population à une accumulation de drame : assassinats familiaux, trois jeunes sœurs fauchées sur lautoroute, 35 morts sur un bateau de croisière, 28 morts dans un bus scolaire de retour dun centre de vacances, enlèvement et assassinat denfants, tuerie de militaires en pleine rue et exécution de trois enfants et dun adulte dans un établissement scolaire à Toulouse. Ces situations dramatiques ont pour spécificité dentraîner une couverture médiatique importante et de véritablement contaminer les personnes informées de tels drames. Des enfants ont été victimes directes de ces drames : tués, blessés, témoins visuels, enfants endeuillés par la mort dun parent ou dun frère ou dune sœur. Dautres ont été exposés, via les modalités aux images et à la violence de ces événements.

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Comment parler à l’enfant ?

Il est ici essentiel de rappeler quun enfant seul nexiste pas. Pour grandir, se sentir en sécurité, comprendre le monde extérieur, lenfant a besoin de lautre et tout particulièrement de ses proches. Les prises en charge denfants exposés directement à des événements traumatiques nous permettent de constater que ce nest pas tant la gravité du drame qui fait impact traumatique dans la vie psychique de lenfant que les réactions de son entourage. Quand lenfant se sent incompris, rejeté, abandonné par celui censé le protéger, leffondrement psychique peut être majeur et venir majorer les troubles post-traumatiques éventuels. Il sagit pour ladulte de rester disponible psychiquement pour lenfant, cest-à-dire dêtre en capacité de contenir sa détresse, de le soutenir, de le rassurer, de le protéger, de ne pas tenter de dénier la violence de ce quil a pu ressentir et de laccompagner. Mais lévénement traumatique a une valeur désubjectivante et rester disponible pour lenfant peut être difficile, voire totalement impossible, lorsque ladulte est lui-même exposé à lévénement traumatique et psychiquement blessé. Du côté des proches moins exposés et des professionnels, la principale difficulté est liée à la méconnaissance des conséquences psychotraumatiques sur lenfant (Bailly 1996), en particulier pour le bébé et les très jeunes enfants qui nont pas les mêmes modalités dexpressions post-traumatiques que les plus grands (Baubet & Moro 2005 ; Romano 2010) ; cela peut conduire à une banalisation, voire à un déni de la réalité de lexistence du trauma chez lenfant, comme en témoignent les réflexions du type : « Il est trop petit pour comprendre », « il va oublier », « Cela ne sert à rien de lui en parler, il ne peut pas comprendre » (Romano 2010). Lenfant, aussi jeune soit-il, nest pas un mollusque. Même sil na pas les capacités cognitives et la maturité affective dun adulte, il perçoit les bouleversements de son entourage et peut être durablement blessé psychiquement par les réactions de son entourage.

Face à un événement traumatique, lenfant a besoin de retrouver la confiance en lui et en lautre à un moment où tous ses repères, toutes ses croyances ont été mis à mal, voire anéantis par lévénement (Cyrulnik 1999 ; Manciaux 1998 ; Romano 2010). Les termes le plus souvent utilisés pour désigner ces adultes sont ceux de tuteurs de résilience, de développement, dadultes transitionnels. Lorsque lenfant bénéficie de proches en capacité de rester psychiquement disponibles pour lui, il peut se réinscrire dans un réseau dappartenance humanisant où son histoire traumatique sera un temps de sa vie, mais ne réduira pas sa vie à cet événement, aussi dramatique soit-il (Delage 2002 ; Romano 2011).

Nous avons déjà présenté les modalités de prise en charge des enfants exposés à un événement traumatique (Romano 2006, 2009, 2011) et nous souhaitons ici centrer notre propos sur la prise en charge des enfants directement témoins. Pour illustrer notre propos, nous prendrons lexemple de ce qui sest passé suite aux tueries de Toulouse et de Montauban. Limpact émotionnel a été très fort lorsque des enfants ont été tués et lorsquils lont été dans une école, lieu de vie et non de mort. Même si cet établissement était confessionnel, lidentification projective a été massive, et les témoignages de nombreux parents habitant à des centaines de kilomètres en ont témoigné : « Cela aurait pu arriver à nos enfants ». La couverture médiatique sans précédent a conduit à un contexte de terreur et dinsécurité, à grand renfort de détails morbides des tueries. Elle a entraîné un court-circuitage élaboratif, linformation étant donnée en temps réel, sans aucun recul de la part des journalistes, conduisant parfois à des précipitations explicatives (Romano & Crocq 2010). Le sujet, pour comprendre, a besoin de temps, despace pour traduire des informations et en faire un récit ; et ce, dautant plus, quelles paraissent impensables. Limmédiateté de la transmission dimages et de témoignages détruit tout espace réflexif pour les spectateurs, qui les subissent, passifs derrière leur écran. Si les adultes sont en difficulté pour comprendre les images et supporter leur violence, lenjeu est dautant plus important pour les enfants qui nont pas les mêmes ressources cognitives et représentationnelles que ladulte. Des milliers denfants sont restés face aux écrans et radios, allumés sans fin dans les domiciles. Les adultes bouleversés nont pas toujours réalisé limpact que ces images pouvaient avoir sur leurs enfants. Pour exemple, pour les petits, qui nont pas les capacités cognitives des adultes, ce nest pas un tueur mais des centaines de tueurs quils ont vus, comme autant dimages diffusées. Pour les plus grands, laccumulation dinterviews et davis, parfois contradictoires sur le contexte, le profil du mis en cause et ses motivations, ont pu entraîner une réelle confusion et une insécurité sur « Qui croire ? Que croire ? ». Sans compréhension des faits, aucun décryptage nest possible et limage peut devenir traumatique en tant que telle et créer une intrusion psychique durable. Elle peut aussi réactiver dautres événements traumatiques personnels antérieurs ou dautres expériences de désastre relationnel vécues par lenfant.

Linstauration dune minute de silence, si elle peut sentendre pour les adultes, dans un tel contexte démotion collective pour restaurer une cohésion nationale, reste discutable pour les enfants, en particulier les plus jeunes. Linstaurer par une injonction politique, imposée sans aucun repère aux professionnels pour les aider à la mener à bien, peut conduire à des non-sens et majorer la détresse denfants et dadolescents confronter aux difficultés de leur enseignant chargé de leffectuer.

Si le jeune enfant ou ladolescent reste seul face aux images et aux procédures imposées, si aucun adulte ne prend le temps de lui en parler, de les décrypter AVEC lui, il restera seul face à ses croyances, ses interrogations et ses peurs. Selon ses ressources antérieures, il pourra ou non résister et ne pas seffondrer face à la violence des faits ou des images. Sans adulte pour prendre soin de lui et sajuster à lui, lenfant naura dautres recours, pour survivre psychiquement, que de tenir à distance les faits traumatiques. Ce clivage résilient se traduit par le fait quune partie de lenfant tient compte du réel, tandis que lautre le dénie. Face à la banalisation, voire au déni de son entourage, ce processus adaptatif, très coûteux, permet à lenfant de ne pas seffondrer psychiquement face à un environnement incapable dentendre sa détresse. Il survit au prix du silence sur son passé. Ceux qui semblent se dégager plus facilement de limpact traumatique ont bénéficié dun entourage qui a su rester disponible, cest-à-dire qui a pu reconnaître la réalité de leur vécu, ne pas la réprimer et ne pas les condamner au clivage résilient.

À éviter…

  • linjonction à parler : labréaction en immédiat peut être hautement traumatogène si la parole est forcée et lenfant obligé de parler ;
  • la déculpabilisation compassionnelle (« Ce nest pas de ta faute », ce qui revient à dénier la croyance de lenfant et ce quil tente de mettre en place pour donner sens à lévénement. Cela détruit le lien de confiance quil y avait avec ladulte, lenfant constatant que ladulte ne le comprend pas) ;
  • la fausse réassurance (« Ne tinquiète pas ça va aller ») ;
  • la banalisation (« Il y en a eu dautres avant toi ») ;
  • la dramatisation (« Cest horrible, cest une tuerie ») ;
  • le déni (« Il est trop petit », « Il ne peut pas comprendre », « Il ne faut pas lui en parler pour ne pas le traumatiser davantage »).

À privilégier…

  • Il sagit avec beaucoup dhumilité et dattention, de sajuster à lenfant, cest-à-dire partir de ce quil a compris de ce qui sest passé, sans se précipiter sur nos propres interprétations et certitudes :
  • sassurer que lenfant nest plus directement exposé à ce qui peut lavoir traumatisé ;
  • avoir du temps et prendre tout le temps nécessaire pour ne pas mettre de pression sur lenfant ;
  • adapter son vocabulaire avec des mots simples, rester factuel, sans chercher à aggraver le caractère dramatique de la situation ;
  • si lenfant pose une question, ne pas se précipiter pour lui répondre, mais lui demander ce quil pense lui (aucune question nest gratuite, lenfant a toujours élaboré une théorie et si lautre se presse à lui répondre sans chercher à comprendre ce quil a élaboré comme croyances, il sera bien souvent totalement à côté de ce que lenfant a compris ; ce non-ajustement à lenfant conduit au fait que ladulte nest plus alors capable de le comprendre ;
  • demander à lenfant ce quil a compris, ce quil a vu, ce quil pense, sans lobliger à parler sil ne le veut pas ;
  • rester disponible car il est fort possible que lenfant souhaitera en parler plus tard ;
  • restaurer le sentiment dappartenance en parlant des autres enfants sans cibler demblée sur lenfant concerné (« Quand je pense à ce qui test arrivé, je pense à dautres enfants qui ont vécu de choses comme toi, et je me disais que »). Parler de lautre peut permettre à lenfant davoir un support élaboratif plus accessible que sil était contraint de parler de lui ;
  • mettre des mots sur ses propres émotions pour permettre à lenfant de comprendre quil nest pas responsable de la détresse de ses proches, mais que celle-ci est liée à lévénement. Mettre des mots sur ses propres émotions permet de les contenir et autorise aussi lenfant à sexprimer ;
  • Comprendre que beaucoup denfants adoptent une attitude en faux self, hyperadaptée aux attentes de ses proches, cest-dire quils veillent à ne pas les inquiéter davantage, à ne pas sexprimer par crainte de ne pas être crus, dêtre jugés pour ce quils pensent ;
  • Proposer aux parents des espaces pour échanger avec des professionnels formés à la question du psychotraumatisme de lenfant et qui pourront leur apporter des éléments de repérages en immédiat, en différé sur des troubles éventuels.

Conclusion

Pour « soigner malgré tout » (Baubet & Moro 2003), rester un « parent malgré tout », il nous semble essentiel de sajuster à lenfant exposé à lévénement traumatique, quil soit directement exposé ou indirectement via les médias. Sans cet accompagnement, le risque est que lenfant reste seul face au trauma avec dinévitables conséquences sur la qualité de ses relations avec ses proches et sur son devenir.

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