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Les effets des nouvelles liées au coronavirus sur les sujets anxieux
Rayan AZIZ
Rayan Aziz est psychologue clinicien, doctorant à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
Josée HAYEK
Josée Hayek est psychologue clinicienne, doctorante à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth, Liban.
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Que se passe-t-il lorsque nous sommes exposés à des nouvelles négatives et menaçantes ? Une question qui, actuellement, est devenue très pertinente, surtout avec la propagation internationale de la pandémie du coronavirus. Dans cet article, de grandes théories associées à l’exposition aux nouvelles télévisées négatives sont présentées. Il s’agit d’explorer le modèle cognitif de l’anxiété et la manière dont il est activé à la suite d’une telle exposition qui ne reste pas sans conséquences sur la santé mentale du consommateur. Ainsi, l’article explorera les effets que les nouvelles peuvent avoir sur les personnes souffrant d’une anxiété pathologique, afin de mieux comprendre comment l’exposition à des informations, surtout négatives, influencent notre manière de percevoir le monde, dans un contexte particulier qui est la pandémie du coronavirus.
Les menaces liées au coronavirus
« Nous avons alors évalué que le coronavirus peut être qualifiable de pandémie ». C’est ce que le directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé, Tedros Ghebreyesus, annonça en conférence de presse le 11 mars 2020 de la situation mondiale.
En 2020, la propagation du coronavirus a changé le monde entier. La plupart des pays ont adopté des mesures de précaution, et ont renforcé leurs mécanismes d’intervention urgente et de confinement pour minimiser le nombre d’individus atteints par ce virus. Plusieurs millions de sujets ont été contaminés par le virus, et parmi eux, des centaines de milliers ont perdu leur vie. Les aéroports et les entreprises ont fermé leurs portes pendant plusieurs mois, ce qui a conduit à la perte de millions d’emplois. La propagation de ce virus a donc constitué une double menace : physique et économique, une menace réelle qui a mis un nombre significatif d’individus à risque. Ainsi, les mesures de confinement et de protection adoptées par plusieurs pays ont obligé les individus à rester chez eux pendant plusieurs mois. Ces individus, qui ont été privés de leurs activités quotidiennes et qui vivent un moment d’extrême incertitude, ont commencé à consommer les médias de plus en plus pour s’informer de la situation. D’ailleurs, plusieurs enquêtes ont montré que le recours aux nouvelles, surtout celles liées au coronavirus, a augmenté significativement depuis l’apparition du virus (Ofcom, 2021). Ceci ne peut-il pas avoir une influence négative sur la santé mentale de ces consommateurs ? Et, par conséquent, ne peut-il pas conduire à une augmentation au niveau de leur d’anxiété, surtout chez les personnes souffrant déjà de troubles anxieux comme l’anxiété généralisée ? De plus, que se passe-t-il chez ces personnes lorsqu’elles sont exposées à des nouvelles négatives ou menaçantes comme celles du coronavirus ?
Impact d’une exposition régulière et importante aux nouvelles
Pour un nombre important d’individus, la consommation de la télévision et des réseaux sociaux est une habitude qui se développe très tôt dans la vie et elle est maintenue jusqu’à sa fin. La télévision et les réseaux sociaux sont une source de socialisation et d’information qui est consommée par une audience hétérogène. Il devient donc légitime de se demander s’il y a des conséquences liées au fait de grandir et de vivre dans un environnement culturel dominé par la télévision et les réseaux sociaux.
Gerbner (1969) décrit un effet de la télévision sur la conception de la réalité sociale des consommateurs qu’il appelle « effet de cultivation ». Il stipule que plus les sujets passent du temps à regarder la télévision, plus leur conception du monde réel va correspondre à ce qu’ils voient sur l’écran. La télévision dépeint alors le monde d’une façon beaucoup plus menaçante qu’il ne l’est en réalité. En effet, une consommation importante de télévision conduit à des distorsions dans les croyances des consommateurs à propos du monde réel et affecte leur état cognitif et affectif. De plus, la congruence des messages médiatiques diffusés avec les expériences personnelles va renforcer la peur des consommateurs et amplifier l’effet de la cultivation (Gerbner et al., 1980). Ce phénomène se produit quand l’expérience directe correspond à l’image distordue de la réalité montrée sur la télévision ou dans les réseaux sociaux.
Puisque la télévision, et par extension les réseaux sociaux, ont une influence significative sur la manière dont les consommateurs perçoivent le monde (Diefenbach & West, 2007), il devient possible de dire que ces derniers apprennent en suivant les nouvelles. C’est à partir du contenu de ces nouvelles qu’ils vont développer leur propre perception du monde qui les entoure (Bryant & Oliver, 2009). Les informations négatives sur des crimes, des guerres, et actuellement le coronavirus, des informations qui éveillent des émotions telle la peur, la tristesse ou l’insatisfaction, sont diffusées au détriment d’informations plus positives. Par la suite, l’individu pourra percevoir le monde comme un endroit dangereux. Gerbner et ses collaborateurs (1980) ont appelé ce phénomène le syndrome du « monde méchant », un monde qui, actuellement, est envahi par le coronavirus. Les individus qui souffrent de ce syndrome suite à l’exposition régulière et continue aux nouvelles négatives ont plus tendance à présenter une peur, une appréhension et une insécurité (Gerbner, 1981). Cette exposition est souvent associée à une augmentation des symptômes à la fois anxieux et dépressifs (Bryant & Oliver, 2009).
Anxiété, vulnérabilité et nouvelles négatives
La peur, caractérisée par l’évaluation automatique d’un danger, est l’émotion de base qui est retrouvée dans tous les troubles anxieux. Elle a une fonction adaptative cruciale pour la survie de l’espèce humaine parce qu’elle prépare l’organisme à répondre aux dangers. L’anxiété, d’autre part, est un état de menace qui persiste plus longtemps et qui inclut la peur, ainsi que d’autres facteurs cognitifs comme la vulnérabilité. La peur et l’anxiété sont toutes les deux orientées vers le futur.
La vulnérabilité est le fait de percevoir un danger interne ou externe imminent qui échappe au contrôle du sujet et qui déclenche chez lui un sentiment d’insécurité (Beck et al., 1985). Dans les troubles anxieux, le sentiment de vulnérabilité accrue est perceptible dans les évaluations biaisées et exagérées des individus en réponse à des stimuli neutres ou inoffensifs. Quand ils sont confrontés à ces stimuli, ils vont juger que leur sécurité personnelle est menacée. La probabilité qu’un dommage se produise et la sévérité de celui-ci sont alors surestimées par ces sujets. Selon Rachman (2004), la tendance à surestimer l’intensité de la menace conduit à des comportements d’évitement chez les sujets anxieux. Ils n’arrivent pas souvent à distinguer les facteurs de sécurité des situations menaçantes, et ont tendance à sous-estimer leur capacité à faire face aux dommages anticipés. L’anxiété est déclenchée par l’évaluation primaire de la menace qui est associée à l’évaluation secondaire d’incapacité personnelle et de manque de sécurité. Cette sous-estimation (évaluation secondaire) amplifie la perception initiale de la menace. Si on étend la théorie de la cultivation de Gerbner, il devient possible de dire que plus l’individu suit les nouvelles négatives du coronavirus, plus il a tendance à avoir des estimations exagérées de la menace, plus il perçoit le monde extérieur comme menaçant et dangereux.
La vivacité des informations
Tversky et Kahneman (1973) affirment que quand les sujets font des jugements ou des généralisations, ils se basent sur les informations les plus accessibles en mémoire. Généralement, ils n’effectuent pas une recherche profonde dans leur mémoire pour trouver les informations pertinentes à ces jugements ou généralisations. Selon ces chercheurs, plus le sujet peut se souvenir facilement des informations pertinentes à la situation, plus il aura tendance à fournir des estimations exagérées à propos de sa fréquence et sa probabilité. Le fait de s’appuyer sur l’accessibilité de l’information pour faire des jugements conduit à des biais systématiques, et souvent se sont les informations les plus chargées émotionnellement, positivement ou négativement, qui sont les plus accessibles. En effet, les informations chargées émotionnellement sont généralement plus vivides et donc plus hautement accessibles que les informations relativement plus neutres. Pour cela, les individus qui forment des souvenirs émotionnels et vivides à partir d’expériences médiatiques dramatiques seront plus susceptibles d’avoir des croyances et des images mentales à propos de la réalité sociale qui reflète ces expériences médiatiques (Busselle et Shrum, 2003).
D’après Shrum (1996), quand les sujets font des jugements sociaux, ils ne pensent souvent pas à la source de leur information. Puisque les images diffusées par la télévision et les réseaux sociaux sont plus facilement accessibles cognitivement chez les grands consommateurs, ces derniers auront plus tendance à les utiliser en effectuant des jugements mentaux.
Donc, un sujet qui suit régulièrement les nouvelles pour rester au courant des dernières actualités à propos du coronavirus va avoir ces informations facilement accessibles en mémoire. Par la suite, il aura plus tendance à les utiliser en faisant des jugements à propos du monde, ce qui va conduire à une modification de sa perception du monde (par exemple, anxiété et peur de sortir de la maison).
Le système d’alarme
La perception d’un danger ou d’une menace, tel le coronavirus, déclenche un système d’alarme (combat ou fuite) caractérisé par des comportements primaux et des processus cognitifs et physiologiques, qui ont évolué avec le temps pour protéger l’espèce humaine. Dans le modèle cognitif, l’orientation initiale envers la menace implique un processus principalement automatique et préconscient. Un traitement stratégique et contrôlé se produit même durant cette étape de menace immédiate à cause de l’expérience consciente et subjective de détresse, qui est associée à l’évaluation de la menace. Durant la seconde étape d’évaluation, le traitement sera plus stratégique, contrôlé et élaboré, dépendamment de la présence ou de l’absence de sécurité (réelle ou perçue). Même durant cette seconde étape qui déclenche une réponse anxieuse soutenue, le traitement ne sera pas complètement stratégique, comme le montrent l’inquiétude et la rumination anxieuse (par exemple, un sujet peut se dire : « si je sors de la maison, est-ce que j’augmente mon risque de contamination ? »). Puisque l’intensité de l’anxiété dépend de combien l’individu pense qu’il est capable de faire face au danger, dans l’anxiété pathologique, les individus ont un sentiment d’impuissance accrue quand ils sont exposés à certaines menaces perçues.
Voici un exemple qui illustre comment l’évaluation se produit : un individu est en train de regarder un programme télévisé. Le programme est interrompu par des nouvelles de dernière minute ; le Premier Ministre annonce une procédure de confinement et insiste sur l’urgence de la mise en place de mesures de sécurité et de protection contre l’éclosion du coronavirus dans le pays. Il continue par communiquer le nombre de personnes atteintes, victimes du virus. Le sujet qui souffre d’une anxiété pathologique aura tendance à évaluer cette menace d’une manière exagérée. S’il juge qu’il est en danger en pensant qu’il ne pourra plus jamais sortir de sa maison, rencontrer ses amis ou aller au travail, son anxiété va augmenter significativement.
Les individus qui souffrent d’une anxiété pathologique présentent une suppression sélective des informations incompatibles avec le danger perçu (Beck et al., 1985). Tout ce qui est incompatible avec la menace sera filtré ou ignoré. Par la suite, toutes les informations qui peuvent corriger les pensées et les croyances dysfonctionnelles et qui peuvent réduire la valeur de la menace attribuée à la situation seront perdues, ce qui conduira à la persistance de l’anxiété.
Conclusion
En cette période de crise internationale, deux défis devront être relevés simultanément : (1) se protéger du coronavirus, (2) se protéger de l’anxiété associée à ce virus. Une stratégie qui peut être mise en pratique est la distanciation des médias. Afin de contrôler et d’arrêter la propagation du coronavirus, la distanciation sociale a été adoptée. Par contre, contrôler la propagation et l’amplification des symptômes anxieux déclenchés par le virus et tout ce qui en découle en diminuant la consommation des médias peut s’avérer efficace. Les médias et les bulletins de nouvelles qui sont majoritairement négatifs et liés au coronavirus, sont le moteur de pensées menaçantes. Certes, il est impossible d’empêcher ces pensées menaçantes de prendre surface, mais il est possible d’agir et trouver des stratégies pour calmer cette anxiété et y faire face. Par conséquent, la question qui reste : face à cette menace réelle qui est le coronavirus, sommes-nous prêts à réduire notre anxiété ?