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Actualité

© Claire Lecœuvre, À l’école de l’imaginaire, Burundi Source

Des ateliers d’écriture pour des enfants congolais réfugiés au Burundi

Claire LECŒUVREClaire LECŒUVRE est journaliste scientifique. Elle lance le projet À l’école de l’imaginaire en juin 2014 en partenariat avec Bibliothèques sans Frontières (BSF) après un an d’animation bénévole d’ateliers d’écriture dans un centre d’accueil de Chennevières. Formée au conte (Centre Méditerranéen de Littérature Orale d’Alès) et à l’animation d’ateliers d’écriture (BSF), cette ancienne animatrice suit les idées pédagogiques quant à l’imagination de Gianni Rodari.

Lecœuvre C. Des ateliers d’écriture pour des enfants congolais réfugiés au Burundi. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2015, volume 16, n°2 , pp. 247-250

Travailler sur l’imaginaire avec des enfants en situation de crise humanitaire s’avère un bon moyen pour eux d’exprimer nombres de sentiments douloureux et parfois violents. 

 

Écrire des histoires fictives est un moyen de faire transparaître la réalité. Pour les enfants, cela les aide à mettre des mots sur ce qu’ils ressentent et à exprimer des choses dont ils n’ont pas l’occasion de parler autrement. Tel était le but du projet de l’association À l’école de l’imaginaire effectué durant trois mois dans deux camps de réfugiés congolais au Burundi. Il ne s’agissait pas ici d’appliquer concrètement l’expressive writing de Pennebaker, utilisée en thérapie. Néanmoins, ce travail a permis de faire ressortir des éléments qui occupent l’esprit des enfants. Les ateliers d’écriture étaient proposés à des enfants de 8 à 15 ans dans l’enceinte de l’Ideas Box de Bibliothèques sans frontières (BSF), une médiathèque en kit mettant à disposition entre autre des livres, des tablettes et un accès à du contenu numérique. Huit groupes de 10 à 15 enfants ont ainsi été formés, quatre dans chaque camp.

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Le camp de Bwagiriza, ouvert depuis mai 2009, accueille environ 9 200 personnes dans 1770 maisons. Les populations sont en majorité des Banyamunlenge, qui ont fuit le Sud-Kivu. On trouve ensuite des Bachi, des Babembe, etc. Une grande partie vit au Burundi depuis avant 2009. Ils vivaient déjà avant dans le camp de Gihinga, fermé à la suite d’un massacre, ou bien à Bujumbura. Le camp de Kavumu a pour sa part été ouvert en avril 2013 et ne cesse de recevoir de nouveaux convois de réfugiés, à raison de 2 par mois, soit environ 200 personnes. Il comptait 6600 personnes en janvier 2015 sur une capacité de 13.000. La plupart des réfugiés arrivent du Sud-Kivu mais les ethnies sont plus variées qu’à Bwagiriza. Différence manifeste, les personnes de Bwagiriza sont plus sujets à la réinstallation dans d’autres pays. Tandis que seulement six personnes ont une procédure en cours pour Kavumu. Cela est dû au temps passé dans le pays par les réfugiés, les réinstallations actuelles étant ouvertes pour les personnes présentes depuis avant 2008.

Méthodologie

Pour qu’ils puissent exprimer plus facilement leurs pensées et sentiments, les enfants choisissaient la langue dans laquelle ils voulaient écrire, le kiswahili étant conseillé. L’atelier s’effectuait toujours avec un animateur de l’Ideas Box, parmi les réfugiés congolais qui assurait la traduction en swahili. Chaque atelier de 1h à 1h30 n’avait pas toujours pour but une production écrite car cela s’installait dans un programme progressif de 9 ateliers, au cours desquels était travaillées la structure d’une histoire, la description.

Les premiers ateliers permettaient de faire des jeux d’imagination ainsi que de travailler la structure d’une histoire et le vocabulaire. Dès le départ, plusieurs enfants ont manifesté le fait de vouloir parler de différentes thématiques, parmi les plus récurrentes : l’amour, la famille, la guerre… Les derniers ateliers étaient dédiés à la création d’une histoire commune puis de textes personnels.

Dès qu’il s’est agi d’inventer une situation, d’imaginer par exemple ce qui, selon eux, se passerait si les plantes parlaient, les enfants ont été en difficulté. « C’est de la magie », « c’est un miracle » sont les premières réactions. Ensuite il leur a été très compliqué de faire sortir une idée. Et les seuls qui l’ont fait sont restés très terre à terre. Ainsi dans le même jeu : « que se passerait-il si les adultes disparaissaient ? », les réponses ont été : « On irait les chercher dans le reste du monde.

Mais s’il n’y en avait plus dans le monde entier ? Alors on se réunirait et on s’organiserait pour se protéger. Et ensuite ?

Les réponses ne venaient pas. Et de même, lorsqu’ils lisaient les textes des enfants français, ce n’était pour eux que magie ou miracle. Étonnamment, ils n’arrivaient pas à dépasser cette idée. Cela se mêlait pour eux à un sentiment de dépréciation. « Les blancs ont l’habitude d’inventer des choses. Ce sont eux qui ont inventé toutes les machines. Nous on ne sait pas faire  », Boss, 14 ans. On sent partout resurgir les effets de la colonisation. Lorsqu’ils ont imaginé leurs propres histoires, les idées collaient à leur réalité, avec d’ailleurs des détails bien précis mais pas d’invention fantastique. La magie s’y intégrait parfois mais de manière normale, cela faisant parti de leur environnement normal et non d’un monde imaginaire aux possibilités infinies. Ces histoires ont révélé plusieurs éléments importants, prégnants dans leur environnement et construction.

Violence et pardon

Tout d’abord la plupart des groupes (5 sur 8) ont choisi un enfant pour personnage principal qui se trouvait soit abandonné dans la forêt, soit seul car sa mère était morte. On ne trouve que très peu de notion du père d’ailleurs. La mère pouvait mourir tuée et violée par des brigands ou dans un accident. À ce niveau-là, aucune crainte, aucun problème pour parler de la mort et de violences terribles alors que ce sujet reste encore souvent tabou en France par exemple. Mais cette normalisation de la violence reste plutôt inconsciente chez les enfants. Si l’on cherche à savoir pourquoi les brigands tuent et violent, aucune réponse. C’est comme ça. Un état de fait. Arrive alors très vite la vengeance. Dans l’un des textes, L’histoire de Kadogo, cet enfant croit que les villageois ont tué sa mère. Alors il se cache dans la forêt, fabrique un arc et tue tous les habitants qui passent. Il ne s’arrête qu’après avoir tué un grand nombre de personnes puis se dit qu’il s’est peut-être trompé. C’est le sorcier qui lui confirme son erreur : en réalité un tigre est responsable de la mort de sa mère. Le nombre de morts « suffisants » pour qu’il comprenne son erreur a été sujet à débat. Certains réfléchissent que vingt suffisent, d’autres allant jusqu’à plusieurs centaines. Comme s’il était tout à fait normal qu’autant de personnes meurent sous la main d’un être humain.

Il se trouve que seules quelques filles se sont opposées à la violence des textes. Dans L’histoire de Masogo, l’enfant adopté par le chef du village est jalousé par tous mais, selon Naomie, il était intelligent différemment, sensible et ne prêtait pas attention à ces racontars. C’est ainsi qu’il a gagné l’amitié des plus vieux. Cette même histoire a permis de parler de la séparation des familles, un sujet qui est revenu souvent dans les textes individuels. Beaucoup ont témoigné dans leurs écrits de cette destruction des familles.

Les enfants ont débattu de la possibilité pour les parents et les enfants de retrouver le reste de la famille selon les situations de migration. L’un d’entre eux donnait l’exemple d’une mère qui avait quitté la RDC pour le Burundi. Celle-ci allant finalement au Rwanda a retrouvé son fils par hasard parmi un groupe de jeunes. Précisons là que le Haut comité des réfugiés (HCR) et les organisations gouvernementales recensent et regroupe dès que possible les familles. Tous les enfants le savent bien. Mais la séparation est souvent sans retour puisque beaucoup des membres sont morts comme le redit Rashidi Juma : « Et ici, nous ne sommes pas complet parce que beaucoup de gens de ma famille sont morts dans la guerre de chez nous, au Congo ».

La vengeance part d’un grand besoin de justice. Cela est aussi bien présent dans les textes. Dans L’histoire de Makurata, le personnage principal, une chèvre, fuit sa maîtresse qui ne la nourrissait pas bien et la battait. Dans un texte intitulé « Les deux docteurs » les villageois se mobilisent pour sauver leur docteur qu’ils aiment et qui travaille bien. L’injustice est ressentie dans presque tous les actes des ONG, des Nations Unies et du gouvernement burundais. Injustice pour ceux qui ne sont pas choisis pour aller vivre aux Etats-Unis ou dans les autres pays d’accueil. Injustice pour la distribution des vivres, des médicaments et des soins (un médecin par camp), etc.

La vengeance et la violence contrastent avec les paroles empreintes de volonté de paix, de réconciliation entre gens, ethnies, peuples. Il semble que les enfants ne font pas le lien entre leurs paroles –la norme, une pensée sage- et les mots voire les actes violents. Car eux-mêmes peuvent être violents dans leurs réactions. Et s’ils veulent la paix, c’est malheureusement un sentiment d’impuissance qui prend le dessus. Dominique, 14 ans, écrit dans un texte : « Le but de mes études est de devenir au moins le président de mon pays. Mais par malchance, on avait fui la guerre quand j’avais 12 ans ». Pour la plupart, la seule chance de s’en sortir reste l’école pour avoir « une bonne vie » et que sa famille vive bien. Bienvenu raconte : « J’étais l’esclave des gens du village. […] Mes habits sont déchirés. Quand j’étais un bébé de 8 ans, papa m’a dit : « Mon enfant il faut aller à l’école ». J’ai négligé ce que mon père a dit et puis je suis resté pauvre. C’était très dangereux parce que pour manger c’était difficile, je demandais aux gens du village. Puis j’ai pensé à ce que mon père avait dit. Je trouve que c’est bien. J’ai arrêté d’être l’esclave des gens du village. Je terminerai l’école primaire. Je serais gentil. Mais je ne suis pas bon. J’ai avancé avec l’école secondaire. Je termine les études secondaires. Je deviendrais patron, je vivrais une bonne vie ». Tous veulent réussir, devenir médecins ou enseignants, mais ils se sentent nuls. Ce même sentiment d’infériorité revient comme pour l’incapacité à imaginer. De nombreuses fois les enfants l’expriment : « On n’est pas bon, on va rater nos examens ». Le contexte est difficile puisque beaucoup ont raté des classes durant leur fuite et, pour certains, leur vie comme réfugiés urbains à Bujumbura. Certains ont ainsi perdu jusqu’à quatre années de scolarisation.

Les textes et la violence se terminent par le pardon et le retour. Tout semble alors se résoudre par un pardon fabulé, simpliste. Comme un coup de baguette magique. Kadogo a tué vingt villageois mais il suffit qu’il vienne demander pardon pour qu’ils puissent vivre avec les autres. Tous les enfants abandonnés retournent finalement dans la famille, le village ou avec un groupe d’hommes en tout cas. Après les difficultés les personnages qui se retrouvent seul dans la forêt ou un endroit difficile tendent à retrouver leur normalité – dans la société humaine.

L’ensemble du travail permet de comprendre comment la guerre et la fuite marquent ces enfants réfugiés tout en leur permettant de s’exprimer, de se libérer de cette situation.

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