Le 12 mars 2020 à 20h00, le président de la république s’adresse aux français.e.s. La pandémie du Covid-19 menace. Les écoles ferment. Suit, quasi immédiatement, le confinement de la population pour tenter de limiter la propagation du fléau. Ce que l’on appelle aujourd’hui « crise du Coronavirus » est, en réalité, une catastrophe. Il s’agit d’une catastrophe mondiale au sens du mathématicien Thom, cité par Evelyne Kestemberg dans un symposium international sur l’adolescence qui a réuni à Genève, les 30 et 31 mars 1984, des grands psychanalystes, spécialistes de l’adolescence : « Est catastrophe ce qui, dans un ensemble complexe d’éléments, remet en cause les liaisons préalablement établies qui permettaient l’équilibre de ces éléments ». Au décours de cette période difficile, les éléments préalablement mis en place, équilibrés entre eux, se trouveront rompus en leurs liens et tellement bouleversés qu’ils devront donner place à une organisation nouvelle. La plupart de ces spécialistes avaient vécu la Seconde Guerre mondiale en tant que professionnel et, après cela, leur approche des souffrances des bébés, des enfants et des adolescents, s’en est trouvée profondément modifiée. Après la catastrophe du Coronavirus, des changements s’opèreront également dans la société. La vie reprendra, mais pas comme avant.

Un changement soudain touche tous les domaines de la vie, le jour comme la nuit. Les espaces familiers sont à réexplorer. Les rêves et toutes les productions se modifient.

Ce que le président Emmanuel Macron a appelé « guerre » ne ressemble, toutefois, pas aux guerres habituelles. Compte tenu de l’agresseur, un petit organisme, un virus contre lequel aucun missile, fût-il cybernétique, aucune bombe, pas même les armes dites de destruction massive ne peut quelque chose. L’ennemi est invisible. Tout le monde est suspect, potentiellement dangereux pour soi, et court le risque d’être désigné comme bouc émissaire.

Le virus touche les hommes et les femmes de toutes conditions et de toutes origines.
Les combattants sont les soignants sans munition, sans masque, nus au sens commun car ne disposant pas de quoi se protéger. Ils sont exposés comme à ce virus l’est l’humanité toute entière.
Les armées conventionnelles sont impuissantes et reléguées à l’arrière-plan, laissant les personnels des hôpitaux, agents d’entretien, brancardiers, aides-soignants, infirmiers, médecins, étudiants, mais aussi soignants exerçant en libéral et bénévoles en première ligne, pour lutter contre ce fléau à nul autre comparable. Ils se trouvent souvent seuls, confrontés à leurs peurs et à leur précarité. Malgré tout, ils tentent de faire famille pour leurs patients, le visage caché mais le regard expressif.

Et que comprennent les enfants et les adolescents de la situation ? Comment vivre avec l’insouciance ou l’impétuosité juvénile dans ces temps difficiles ? La providence semble les protéger. Ils résistent mieux que les grands-parents à l’attaque du virus.

Les victimes, parfois confrontées à un sentiment de mort imminente, se trouvent seules, sans visite. Les familles séparées, confinées, restent loin de leur proche souffrant, en réanimation, parfois mourant. Elles n’ont que leur tristesse et des ruminations, tels des exilés.

La précarité que connaissent les migrants en temps de « paix », ceux qui, encore aujourd’hui, sont livrés à eux-mêmes en Méditerranée, ou ailleurs, et qui sont en attente de solidarité, est partagée par un grand nombre de personnes.

Pour la première fois, migrants, réfugiés ainsi que ceux qui les accueillent ici, ceux qui travaillent dans le social comme on dit, partagent réellement les mêmes difficultés et sont touchés pratiquement de la même façon. Toutefois, la pénurie n’est pas comparable à ce qu’il se passe durant l’exil, ou parfois avant, les denrées alimentaires ne manquent pas encore.

Tout se passe comme si nous étions devenus migrants chez nous-mêmes, pourtant sans nous déplacer, sans voyager car, comme eux, notre cadre culturel externe s’est brutalement modifié tout comme notre cadre culturel interne est malmené.

Les rituels funéraires et ceux autour de la naissance sont escamotés et, d’une manière générale, les rapports entre soignants et malades se trouvent profondément modifiés.

Les nouvelles technologies, comme les smartphones, trouvent une justification mais ont leurs propres limites. Cette situation, qui est un vrai retournement, doit conduire à une réorientation de la société et de l’économie. Nous devons, par exemple, produire plus de masques et de matériel médical et moins d’avions de guerre.

Il faudra nécessairement modifier nos pratiques après cette catastrophe

Cette rupture des cadres externes et internes exige que nous adaptions nos pratiques psychologiques, en nous appuyant sur l’expérience acquise sur les terrains de guerre par les équipes formées aux approches des psycho-traumatismes, ainsi qu’à celles qui, comme par exemple, autour des Professeurs Marie Rose Moro et Thierry Baubet¹ prennent soin des réfugiés et des migrants.

La psychiatrie et la psychologie de demain seront transculturelles ou ne seront pas, en raison de cette catastrophe mondiale due au Covid-19.

1. Baubet T, Moro MR. Psychothérapie transculturelle. Paris : Masson ; 2013 (deuxième éd.).