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À la recherche du « vote latino »

Voter aux Etats-Unis, quand on est hispanique

Lola MARTIN-MOROLola Martin-Moro est étudiante en Droit, Université Paris 2, Panthéon-Assas.

Shaw T, DeSipio L, Pinderhughes D, Travis TMC. Uneven Roads. An Introduction to U.S. Racials and Ethnic Politics. Washington, DC : CQ Press ; 2015.

Martin-Moro L. À la recherche du « vote latino ». Voter aux Etats-Unis, quand on est hispanique. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2016, volume 17, n°2, pp. 249-251

Si vous suivez la politique américaine, vous avez sans doute entendu parler du supposé « vote afro-américain » ou encore du « vote latino ». Le discours médiatique porte en effet une certaine essentialisation des groupes culturels, notamment des minorités. L’idée serait que l’appartenance à des groupes culturels dits minoritaires serait la variable lourde la plus déterminante dans l’orientation du vote.

Sans prétendre résumer à cela l’extrême cosmopolitisme de la société étasunienne, les auteurs de Uneven Roads1 identifient quatre grands groupes parmi ceux que l’on appelle les minorities : Natifs d’Amérique, Asio-américains, Afro-américains et Hispano-américains. Cet essai de classification est bien entendu incomplet. Ce sont toutes des citoyennetés à « traits d’union ». Les Hispano-américains représentent aujourd’hui non seulement le groupe culturel le plus étendu mais également celui qui croît le plus rapidement au sein de la population totale.

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Comment sont identifiés ces groupes ? Les distinctions sont basées sur l’idée que les différences physiques observées entre les individus peuvent être catégorisées et, que ces catégories sont à la fois utiles et pertinentes pour décrire la société. C’est ce qui pousse les auteurs d’Uneven Roads à écrire : « la race est bien plus une idée ou une série de suppositions et de pratiques qui trouvent leurs racines dans notre histoires qu’une réalité physique pouvant être vérifiée par les scientifiques ». Ce que définit la communauté hispanique c’est une identité physique, mais aussi une culture similaire et des pratiques sociales. Mais ce groupe existe surtout parce qu’on le fait exister au travers des discours produits par des individus internes au groupe, mais aussi externe (typiquement, les hommes politiques, ou les journalistes).

On peut d’ores et déjà noter que le groupe des Asio-Américains désigne autant les descendants d’immigrants japonais que les descendants d’immigrants indiens. De plus, ces désignations ne prennent pas du tout en compte la date d’arrivée sur le territoire.

Il existe des discours politiques adressés directement aux minorités. Ces discours peuvent être porteurs d’une idéologie essentialiste et qui tend à la racialisation du sujet, la réduction à son groupe supposé. Il n’est pas de plus bel exemple, actuellement, que celui de Donald Trump, le candidat du Parti Républicain. Ses paroles à l’encontre des Hispaniques ont été relayées dans le monde entier – et c’est notamment ce qui a fait longtemps dire à toute une partie de la critique qu’il ne pourrait jamais être élu. Le discours de Donald Trump est l’image même de l’essentialisation. Il défend l’idée qu’il faut construire un mur entre le Mexique et les Etats-Unis afin d’empêcher les illégaux de rentrer, lesquels sont des violeurs et des trafiquants – sous-entendant au passage que c’est le cas de beaucoup d’Hispaniques. Ces sous-entendus montrent bien combien de l’essentialisation au racisme, il n’y a qu’un pas, très petit qui plus est. A l’occasion du Cinco de Mayo2, ce même D Trump a fait circuler sur son profil Twitter une photo de lui en train de manger un Taco Bowl, se fendant d’un « I love Hispanics » non moins essentialisant. Ce sont donc ces multiples esclandres, qui ont fait dire aux commentateurs, que D Trump ne parviendrait plus jamais à attirer le « latino vote ».

Pourtant cette idée mérite d’être nuancée sur plusieurs points. Nous devons interroger la pertinence de ce raisonnement. En effet, dire que les remarques manifestement racistes de D Trump vont forcément détourner les électeurs considérés comme eux-mêmes Latinos n’est-ce pas là une réflexion relevant également d’une forme de « racialization »3 ? L’identification au groupe est-elle un automatisme ?

Il est statistiquement prouvé que le vote de tous les groupes dits minoritaires précédemment évoqués tend à pencher vers les Démocrates (donc plutôt vers la gauche). De la même façon, l’élection et la réélection de Barack Obama (2008 et 2012) ont été en grande partie dues au soutien extrêmement marqué des minorités. Néanmoins, cet a priori est à nuancer. Le parti républicain a su attirer de nombreux électeurs hispano-américains, si bien qu’en 2004 Georges W. Bush avait tout de même remporté 44 % des voix parmi les électeurs identifiés dans ce groupe. Un récent sondage Fox News Latino a ainsi mis en évidence que, près de 23 % des Hispano-américains interrogés voteraient pour D Trump. Il se murmure dans les couloirs de rédaction que ce chiffre pourrait même atteindre 30 %. Or ces résultats sont tombés bien après ses premières interventions sur les immigrants et après avoir menacé de déporter les onze millions de migrants sans-papiers présents sur le territoire, dont une immense partie est hispanique.

En réalité, une analyse plus fine de la répartition du vote, montre qu’au sein d’un même groupe, prétendument homogène, les différences sont importantes. Le terme d’hispano-américain ne saurait être une expression qui à elle seule pourrait résumer les comportements de toute une partie de l’électorat. En réalité, cette appartenance culturelle est diversement vécue et acceptée – et les facteurs de richesse et d’éducation pour ne citer qu’eux, ont une influence non moins importante sur le vote. Ainsi, les Hispano-américains du sud du pays sont beaucoup plus portés au vote républicain que ceux du nord.

De la même manière Victoria Defrancesco Soto réfléchissant à l’élection de 2016 pose la question suivante4 : le message de D Trump n’est pas perçu par ceux qui le soutiennent comme un message de haine, au contraire mais comme une forme d’espoir. Beaucoup ont envie de lui ressembler. Alors pourquoi les électeurs hispaniques devraient-ils forcément être immunisés contre ce message de pouvoir et de sécurité ?

En effet, il ne faut pas oublier que tout comme les Afro-américains, ceux que l’on appelle les Hispano-américains ont été présents dès les origines de la construction du pays. Les vagues d’immigrations se succèdent depuis plus de deux cents ans et continuent encore aujourd’hui. Rien que cette année, 1,2 millions d’Hispaniques ont obtenu leur carte de citoyenneté et sont donc de potentiels électeurs. Certains viennent de familles installées depuis des dizaines, voire des centaines d’années – des familles souvent métissées. Or, il n’est pas sûr que ces individus s’identifient forcément aux migrants illégaux stigmatisés par D Trump. Ainsi, son discours n’agit pas forcément comme repoussoir.

Il est donc évident que l’essentialisation du discours produit des incohérences et tend à limiter une bonne compréhension d’un paysage politique complexe, bien qu’il n’y ait que deux partis vraiment présents aux élections présidentielles (les autres remportent moins de 0,5 %). Le cas des électeurs hispaniques est particulièrement intéressant parce qu’ils sont sans cesse sollicités et analysés dans les discours politiques.

L’identification est subjective : elle doit être acceptée et n’est pas vécue par tout le monde de la même façon. Pour autant, il ne s’agit pas de négliger une expérience commune. Dire que ces groupes sont plus hétérogènes qu’il n’y parait, et que leur usage est parfois non pertinent, ne doit pas nous conduire à supposer que les minorités n’ont pas une expérience particulière de la citoyenneté. En effet, si les discours sociaux ont une très forte résonnance au sein de l’électorat hispano-américain, c’est que le taux de chômage y est deux fois plus élevé que pour les Américains blancs, et les individus sous le seuil de pauvreté sont également beaucoup plus nombreux. La discrimination à l’emploi, mais aussi géographique (qualité de l’éducation environnante), le racisme d’une partie de la société sont des expériences que nombre d’Hispano-américains ont vécues, créant, bien malgré eux peut-être, une conscience de groupe. On reprendra les mots de B. Obama lors d’une conférence de presse sur Trayvon Martin5 assez éclairante mais concernant, cette fois, la communauté afro-américaine : « Je crois qu’il est important de reconnaitre que la communauté afro-américaine regarde cet évènement au travers d’une série d’expériences et une histoire particulière qui ne passe toujours pas. ». 

Ce qui est déterminant, c’est que les Hispano-américains souffrent beaucoup plus des inégalités de salaires et d’accès à l’éducation. Ainsi, les commerçants hispaniques qui sont très nombreux dans le Sud accordent bien volontiers leur vote aux Républicains, malgré la montée d’un discours raciste précédant D Trump – parce que leur situation socio-économique les fait tendre vers des positions plus conservatrices.

Il y a donc un juste milieu, peut-être, entre le fait de considérer que l’appartenance d’un individu détermine son orientation et celui de dire que tous les citoyens ont les mêmes expériences, quelles que soient leurs origines. Aux Etats-Unis, les nationalités à « trait d’union » ne sont pas une fiction. Mais elles sont diversement acceptées, prises en compte, par les principaux intéressés. L’identité est une construction subjective qui se décline sous plusieurs formes – ce que ne révèle pas les discours politiques génériques en quête d’un supposé « latino vote ».

  1. T. Shaw, Louis De Sipio, Dianne Pinderhughes et Toni-Michelle C. Travis (2015).
  2. Littéralement « Cinq Mai » : fête d’origine mexicaine très populaire aux Etats-Unis commémorant la victoire des forces du gouvernement républicain sur les forces du gouvernement conservateur.
  3. Au sens de Shaw, DeSipio, Pinderhighes et Travis (2015).
  4. http://www.nbcnews. com/news/latino/opinion-think-trump-won-t-get-latino-voters-not-so-n580861
  5. Jeune homme de dix-sept ans assassiné alors qu’il n’était pas armé, par le coordinateur de la surveillance de voisinage.

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