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Note de terrain

Séminaire transculturel francophone à Abidjan

L’inceste ici et ailleurs • 3-13 Février 2025

Daniel DELANOËDaniel Delanoë est psychiatre, psychothérapeute, anthropologue, responsable de l’Unité Mobile Trans-Culturelle, EPS Barthélemy Durand, 91152 Étampes, Chercheur associé INSERM Unité 1018, Fellow Institut Convergences Migrations (2021-2025) Maison de Solenn, Maison des Adolescents, Cochin, Paris.

Claire MESTREClaire Mestre est psychiatre, psychothérapeute, anthropologue, responsable de la consultation transculturelle du CHU de Bordeaux, Présidente d’Ethnotopies, co-rédactrice en chef de la revue L’autre.

Clavier B. (2022). Ils ne savaient pas, pourquoi les psy ont négligé les violences sexuelles. Payot.

Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (CIIVISE) (2023). Rapport public : « Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit » https://www.ciivise.fr/le-rapport-public-de-2023.

Dassa SK, Sylla A. (2009). Les facteurs liés à l’inceste en Afrique subsaharienne. J. Rech. Sci. Univ. Lomé (Togo), 2009, série D, 11(1) : 1-5.

Delanoë, D. & Mestre, C. (2024a). Un séminaire de clinique transculturelle à Abidjan (9-13 Octobre 2023). L’Autre, 25, 117-121. https://doi.org/10.3917/lautr.073.0117 https://revuelautre.com/notes-de-terrain/un-seminaire-de-clinique-transculturelle-a-abidjan-9-13-octobre-2023.  

Delanoë, D. & Mestre, C. (2024 b).  (21 novembre 2024). L’inceste, anthropologie et clinique en migration.  Colloque APPM-CREFSI/ Revue L’autre, 29ème colloque de la Revue L’autre. Grenoble 21-22 Novembre 2024 Couple, Parentalité, Famille Travail des cultures et processus de changement

Dussy D. (2021). Le Berceau des Dominations, anthropologie de l’inceste. Pocket (Première édition 2013).

Henderson, D. J. (1974). Incest. Dans AM Freedman et HI Kaplan ed, Comprehensive textbook of psychiatry, William & Wilkins. p. 1536

Kouchner C. (2021). La familia grande. Seuil

Kamgaing Pierre-Claver. L’inceste dans les pays d’Afrique subsaharienne. Analyse sociojuridique d’un tabou. Revue Lexsociété, 2023. hal-03953321. In Callemein G. (dir.), L’inceste face au droit et à la justice : regards croisés des sciences sociales, Université Côte d’Azur, 2022

Marie, A. (2003). La violence faite à l’individu (La communauté au révélateur de la sorcellerie). Politique africaine, 91, 13-32.

Ndonko P, Tchokote EC, (2023). Viol et inceste au Cameroun. Journal des psychologues, 2023/Hors-série N°1, 1-9.

Van der Kolk B. (2018). Le corps n’oublie rien. Le cerveau, l’esprit, le corps dans la guérison du traumatisme. Pocket (Edition originale en 2014).

 

Associations

À Abidjan:

Akwaba Mousso. Prise en charge médicale, psychosociale, juridique, judiciaire et hébergement pour femmes et enfants victimes de violences basées sur le genre https://www.akwabamousso.org/

Association Imagine Le Monde. https://www.imaginelemonde.org/

Stop au chat noir. Ensemble contre les Violences Sexistes et Sexuelles (VSS) https://stopauchatnoir.org/

Après le premier séminaire sur la clinique transculturelle d’octobre 2023 (Delanoë & Mestre 2024), un deuxième séminaire interdisciplinaire a eu lieu à Abidjan du 3 au 13 février 2025, cette fois sur le thème de l’inceste. Il a été organisé par le Groupe de Réflexion Anthropo-Psychologique Abidjanais (GRAPA), l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan-Cocody, l’Association Ethnotopies, l’Association Internationale d’Ethnopsychanalyse. Il a fait l’objet d’une convention entre l’Université Félix Houphouët-Boigny et l’Établissement Public de Santé Barthélemy Durand (91152 Etampes).  Le séminaire a été animé par Claire Mestre, Daniel Delanoë, ainsi que Denis Komenan Dagou et Marie-Chantal Cacou, enseignants au département de psychologie de l’Université Félix Houphouët-Boigny, Thérèse Verger, et en présence de Charlotte Grison, Marie-Ange Keita, Bernard Kouassi Amany, Claire Nouvel, Céline Ouali et Eléonore Rémy. Le séminaire a réuni une quarantaine de participants, psychologues universitaires et libéraux, travailleurs sociaux, étudiants pendant 5 journées.

Depuis le surgissement du mouvement #MeTooInceste en 2021, suite à la parution du livre de Camille Kouchner (2021), puis la création de la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (CIIVISE) une prise de conscience de la réalité de l’inceste a émergé : le viol d’un enfant par un consanguin est fréquent (un enfant sur dix), les effets en sont graves et prolongés, et il existe de grandes insuffisances des prises en charge et protection aux niveaux policier, judiciaire, thérapeutique et social. Ici et ailleurs, les cliniciens sont désormais interpellés par ce résultat des trois premières années de travail de la CIIVISE envers l’enfant : « Je te crois, je te protège » (2023).

Qu’en est-il en Côte d’Ivoire ? Nos interlocuteurs, professionnels ou non, ont pour la plupart, comme souvent lorsque nous abordons ce sujet ici ou ailleurs, commencé à justifier qu’il y avait une tradition de mariage entre « cousins » en Côte d’Ivoire, qui renvoyait à différentes définitions du mariage incestueux selon les sociétés. Comme lors du colloque de L’autre à Grenoble (Mestre et Delanoë 2024), nous avons rappelé que l’objet du séminaire et des rencontres portait sur les viols d’enfants par des consanguins, un phénomène dissimulé et non sur les mariages interdits, un phénomène public.

Dans ce pays en évolution rapide, la protection de l’enfance dispose de très peu de moyens, la structure familiale élargie reste le milieu dont l’enfant dépend entièrement, et la famille passe avant l’individu. L’attitude générale des professionnels de la police et de la justice devant une plainte pour inceste est de conseiller de régler l’affaire en famille. Les cliniciens ont souvent la même attitude, le recours à la justice offrant peu de possibilités de protection. Il s’agit d’éviter que l’agresseur et toute la famille soient stigmatisés par la révélation publique de l’abomination de l’inceste.

D’après ce que nous avons pu reconstruire, ce sont les dignitaires, c’est-à-dire le groupe des hommes murs qui détient le pouvoir de décision dans le village ou le quartier, convoquent l’agresseur, souvent un oncle ou un cousin. Ils lui intiment l’ordre de cesser ses agissements et de s’excuser auprès des ancêtres. La victime est éloignée, chez une tante ou envoyée à la ville avec sa mère, où elles peuvent se trouver en grande difficulté. Si l’agresseur continue, il peut être banni du village ou éliminé physiquement. Ceci hors de tout cadre judiciaire. Parfois un rituel de purification est imposé à l’agresseur et à la victime.

Le psychologue clinicien, une profession apparue récemment, apparaît comme un professionnel soumis au secret, à qui on peut se confier (c’est une nouveauté) et qui pourra accompagner la victime et ses proches et peut-être à trouver une solution. Les psychologues exercent en libéral ou dans des ONG courageuses, venues présenter leur travail au séminaire. Dans ces ONG, avec des travailleur.e.s sociaux, les psychologique accueillent, accompagnent et soutiennent des victimes d’inceste : Akwaba Mousso, Association Imagine Le Monde, Psy trotteurs et Stop au chat noir (Le “Chat Noir” est une pratique d’abus sexuel, assimilée au viol. Elle consiste à parvenir à un acte sexuel, sans le consentement de la personne, pendant que celle-ci dort. Quand les autres dorment « Il rampe sur la natte jusqu’à moi, se met derrière moi, je ne peux rien faire »).

Il y a assez peu de travaux sur l’inceste en Afrique (Dassa & Sylla 2009, Kamgaing 2022, Ndonko & Tchokote 2023). Les anthropologues et sociologues s’étant centrés sur la question des mariages interdits, le viol d’un enfant par un adulte consanguin est resté largement un impensé, là-bas comme ici. Les psychologues sont à même de recueillir des récits qui conduisent au cœur du système inceste et qui pour la plupart seraient restés dans le secret familial (Dussy 2021).

Diverses situations ont été décrites. L’agresseur.e est toujours plus âgé.e que la victime, sauf dans un cas de viol avec soumission chimique d’un fils adulte sur sa mère. La situation de loin la plus fréquente est l’inceste père-fille : 10 sur 21. Seulement deux situations oncle sur nièce, alors qu’elle est souvent évoquée dans la littérature. Il y a 4 situations d’incestes entre adelphes : frère sur sœur, sœur sur frère, cousine sur cousin. Deux situations d’inceste de femme sur petit frère ou cousin ont été rapportées. Il n’a pas été décrit d’inceste entre personnes de même sexe.

 

Types d’incestes décrits
Milieu urbain Milieu rural
Père sur fille 9 1
Oncle sur nièce 2
Cousine sur cousin 1
Grande sœur sur petit frère 1
Grand frère sur petite sœur 2
Fils adulte sur mère 1
Beau-père sur belle-fille 1 1
Beau-frère (mari de la sœur ainée) sur la sœur 1 1
Total 17 4

La moitié des incestes décrits sont des incestes de pères sur leur fille, 10 sur 21.

Et la majorité ont lieu en milieu urbain, où exercent les intervenants du séminaire.

L’inceste de l’oncle sur la nièce, souvent cité dans la littérature, n’apparaît que deux fois.

Il n’y a pas d’inceste homosexuel.

Daniel Delanoë

Daniel Delanoë a situé le présent séminaire d’Abidjan sur l’inceste dans l’histoire récente ouverte par #MetooInceste, et le silence de la psychanalyse sur cette question. Claire Mestre et lui ont alors organisé le séminaire « Les dominations, un impensé de la psychanalyse ? » dont la première séance a été consacrée à l’inceste, avec Eva Thomas, la première personne à dénoncer publiquement l’inceste qu’elle avait subi, dans son livre paru en 1986 Le sang des mots et avec Bruno Clavier, psychanalyste qui a récemment parlé des incestes qu’il avait subis et a repris l’histoire de l’abandon de la théorie de l’inceste par Freud et dans la psychanalyse depuis 1897 (Clavier 2022)

Claire Mestre

Claire Mestre a exposé des cas d’incestes relatés en consultation transculturelle de Bordeaux par des femmes migrantes venues d’Afrique de l’ouest et du centre. Il s’agit de viols ou de mariages imposés par des oncles sur leur nièce. L’oncle est le frère d’un parent ou un parent plus lointain, un « tonton ». Mais il n’a pas été mentionné de viols de pères sur les enfants. L’abuseur est souvent présenté comme un être de toute puissance, capable de provoquer la malédiction et la mort, même à distance, du fait justement du rapport de parenté.  Les femmes en ont une peur intense même dans la migration. Les retombées de leur insoumission sont pensées en termes de sorcellerie.

Bernard Kouassi Amany

Bernard Kouassi Amany, psychologue à Abidjan a exposé un cas d’inceste père-fille dans une famille de classe aisée. Elle a été abusée depuis ses 14 ans jusqu’à ses 17 ans où elle vient consulter. Ni sa mère ni le curé n’ont voulu l’entendre. Le père finit par venir consulter le psychologue. Il explique qu’il est amoureux de sa fille. Quelques mois plus tard, il accorde son indépendance à sa fille.

Bernard Kouassi Amany a également exposé les rites traditionnels de réparation du viol incestueux au pays Baoulé dans les années 1990. Les ‘’femmes sages’’ du village vont voir l’oracle du village pour organiser une cérémonie qui consiste à dévoiler l’auteur de la souffrance psychique de la fille. Tout le village se rassemble sur la place publique la nuit. L’oracle révèle au public que la fille a subi un acte contre-nature. Cet acte provoquera sa mort si l’auteur ne se dévoile pas. Toute la famille du fautif sera décimée et le fautif mourra à son tour, le dernier. Mais si ce dernier se dévoile, une cérémonie de purification sauvera aussi bien la victime que l’auteur. Sur ce, l’auteur se dévoile. Après le rituel, les beaux-parents retirent ses enfants au père incestueux, il ne doit plus les approcher et doit exercer sa parentalité envers eux par l’intermédiaire d’un oncle maternel désigné à cet effet. Son épouse doit divorcer d’avec lui. Il a 7 ans pour récupérer sa famille (si sa femme consent à revenir avec lui).

En général, dénoncer le père c’est la honte, c’est comme si elle tue son père. Toute la société se retourne contre la fille et la mère pour lui reprocher.

Denis Dagou

Denis Dagou, maître de conférence à la faculté d’Abidjan a présenté une synthèse sur le concept d’incestuel initialement proposé par Paul-Claude Racamier. Il a également fait part d’une observation dans un village baoulé. L’inceste est nommé Ploplo. Est considéré comme inceste toute relation sexuelle entre frère et sœur, entre un homme et deux sœurs, entre une femme et deux frères, entre parents et descendants directs. Cette relation sexuelle est bannie. Elle engendrerait des malédictions dans les familles. Un rituel sacrificiel était imposé aux deux personnes, qui le subissent nus, en public, ce qui peut les conduire à quitter le village à jamais. Actuellement, les deux personnes incriminées doivent manger un animal sacrifié et préparé avec des ingrédients médicamenteux.

Céline Ouali

Céline Ouali, psychologue à Abidjan, a présenté trois situations d’inceste, abordées en psychothérapie. Une femme de 45 ans a été violée par son père entre 9 et 15 ans. Les parents étaient séparés et elle était allée vivre chez son père à l’âge de 9 ans, à l’étranger. Un homme de 23 ans a été très perturbé par le fait que son grand frère a fait des attouchements sur sa nièce. Il a lui aussi subi des attouchements de la part d’une cousine plus âgée quand il avait 7 ans. Un homme de 24 a des grandes difficultés dans ses relations amoureuses et fait des cauchemars. A l’âge de 7 ans, il a été abusé par sa grande sœur âgée de 17 ans.

Assita Coulibaly

Assita Coulibaly, psychologue dans l’ONG Association Imagine le Monde, a relaté l’histoire d’un inceste fils-mère qui s’est produit dans un village. Agé de 22 ans, le fils faisait boire des somnifères à sa mère et la violait pendant son sommeil. Il se vengeait, d’elle, disait-il, car elle refusait qu’il se marie avec une femme de son choix. La mère s’en rendit compte quand elle tomba enceinte. Il y eut un rituel de purification puis le jeune fut banni du village.

Prince Tra Bi

Prince Tra Bi, Diana Toan, Emmanuel Kayap, Maureen Grisot, de l’association Akwaba Mousso, Abidjan, ont présenté la situation d’une fille de 14 ans, violée pendant plusieurs mois par son beau-père. Une grossesse en est résultée, et elle a été accueillie au foyer à 7 mois de grossesse avec son enfant. L’équipe du foyer l’a accompagnée vers une procédure judiciaire, qui est en cours. C’est le seul cas présenté dans le séminaire où une plainte a été déposée.

Thérèse Verger

Thérèse Verger, psychologue libérale à Abidjan, a suivi une femme de 30 ans, en grande souffrance, qui a subi un inceste vers l’âge de 5 ans de la part d’un grand frère, puis entre 11 et 14 ans de la part d’un autre grand frère. Une thérapie de plusieurs années a permis à cette femme de sortir de son état post-trauamtique.

Laurence Yapi

Laurence Yapi, professeure de psychologie à Abidjan, psychanalyste, a discuté de la question de l’inceste entre adultes et présenté la situation d’une femme violée par son père quelques mois après avoir eu 18 ans. Ses sœurs plus âgées lui disent qu’elles ont sont toutes passé par là et lui disent : « Oui au début ça fait bizarre et après ça passe ». Elles lui recommandent de céder pour qu’il lui fiche la paix. Elle se retrouve en conflit avec le groupe familial : appartenir au groupe c’est mourir à soi et participer à la consolidation d’un lien pathologique du sexuel familial et sortir du groupe c’est rompre les liens et peut-être dénoncer l’acte et l’omerta. C’est ce que Laurence Yapi appelle tabou.

Marie-Chantal Cacou

Marie-Chantal Cacou, professeure de psychologie à Abidjan présente deux situations d’inceste père-fille. Dans un cas, la fille va habiter chez une tante, dans l’autre chez sa mère. Dans les deux cas le père paie les frais d’éducation. La victime demeure toujours suspecte. La loi du groupe veut qu’on purifie l’enfant incesté. Mais on ne lui pardonne pas d’avoir attaqué le groupe. Quand elle arrive au village, tout le monde la regarde. Dans quelle mesure aller devant la justice permet de réparer le sujet ? Le plan national de santé mentale de Côte d’Ivoire est axé sur la femme et l’enfant.

Aïda Seri, psychologue, ONG Stop au Chat noir

Aïda Seri a présenté l’ONG Stop au Chat noir, qui gère un foyer de 6 places accueillant des victimes d’inceste. Des jumelles de 6 ans dont les parents sont séparés et vivant chez leur père présentent des troubles importants. L’examen pédiatrique révèle des violences sexuelles. La mère veut les reprendre, mais refuse de porter plainte et refuse un suivi psychologique en disant que c’est pour les Blancs. Une autre situation est celle d’une femme de 18 ans, violée par le mari de sa sœur ainée chez qui elle vivait. Sa sœur l’a frappée et chassée. Elle a fait une tentative de suicide. L’ONG l’a accompagnée au commissariat. Elle abandonne la procédure, et poursuit une psychothérapie.

Kouakou Ossel

Kouakou Ossel, professeur de psychologie, a présenté les résultats d’une enquête menée par l’ONG SOS Violences sexuelles et EPAT International une ONG contre l’exploitation des enfants, basée en Thaïlande. L’enquête menée à Kougourou, dans l’intérieur du pays. Si le père est condamné, c’est un problème pour la famille, c’est par la victime que le malheur a frappé. S’il y a eu une médiation, il n’y a pas de condamnation, l’ONG intervient pour réinsérer la victime dans sa famille.

Amandine Sahoué Trana

Amandine Sahoué Trana est officier de police et étudiante en psychologie. Elle a exposé les procédures de dépôt de plainte et les brigades spécialisées protection enfant et femme. Une consultation médicale est possible avec certificat médical, et des preuves biologiques en cas de viol. Après dépôt de plainte et enquête, le procureur décide de saisir le juge. La loi de 2019 contre les Violences Basées sur le Genre prévoit des peines lourdes et n’autorise aucune médiation. Une participante témoigne de conditions réelles de l’accueil des victimes. Elle a accompagné au commissariat une femme à qui on a volé l’ordinateur. A côté une femme déposait une plainte pour viol. Les policières lui reprochaient d’être la cause du viol.

Makan Keita

Makan Keita, anthropologue a présenté une réflexion intitulée : « L’échange symbolique et l’inceste. Un regard chez les Malinkés » à partir de plusieurs adages : Une parole donnée aux morts ne peut être reprise ; la mort est préférable à l’humiliation ; l’incesteur se croit toujours victorieux jusqu’au moment où sa dénonciation le couvre d’humiliation mortelle ; l’incesté toujours perdant, cache son humiliation qui le poursuit mortellement. L’initiation inscrit la parole donnée dans le corps, les mots, les échanges comme ce qui protège contre les transgressions des interdits.

Les actes du séminaire seront prochainement disponibles.

Séminaire transculturel à la Facultés des Sciences humaines, Université Houphouët Boigny, Abidjan, 5 février 2025

Table ronde

Le 11 février, une table ronde ouverte au public a été organisée au Centre de Recherche et d’Action pour la Paix (CERAP) de l’université Jésuite d’Abidjan sur le thème « Entre tradition et modernité : quels enjeux de santé mentale pour les familles à Abidjan ? » avec Médard Koua, professeur de psychiatrie et directeur du programme national de santé mentale, Denis Dagou, professeur de psychologie, Claire Mestre, Daniel Delanoë. Elle a été animée par Adrien Yobou du GRAPA.

Médard Koua a rappelé qu’il existe 540 structures privées en lien avec la santé mentale en Côte d’Ivoire, qui s’inscrivent parfois dans des formes de métissage thérapeutique. Les tradipraticiens ont aussi une légitimité sociologique Mais les pays africains ont surtout misé sur la santé somatique et ont mis de côté la santé mentale. Il existe ainsi un obstacle institutionnel majeur au niveau de la compréhension de la santé mentale. Au point que l’on pourrait parler d’analphabétisme en santé mentale. Des efforts sont faits depuis cinq ans, mais restent insuffisants. Il existe un numéro d’appel gratuit, le 143, destiné à la population, qui est géré par un pool de psychologues.

L’hôpital psychiatrique de Bejerville (Abidjan) a autrefois collaboré avec le Prophète Atcho, qui était influent, mais on assiste à une rupture de la transmission de ces expériences. D’autant que de nouveaux mouvements religieux absorbent les souffrances individuelles.

La question des migrants de retour après un échec du projet migratoire se pose également, mais ils n’ont pas de demande de soins psychiques, trop pris par la simple possibilité de survie. Il existe en effet une culture de la migration dans les villes, des groupes financent les départs, des pasteurs les encouragent en disant : « Cette fois ça va marcher ! ». Le retour au pays conduit à une véritable mort sociale, les familles sont en souffrance et désinvesties et les filets sociaux ne fonctionnent plus.

Des étudiants reviennent aussi d’Europe après une expérience de solitude, d’incompréhension : là-bas, on ne lui dit pas : « Bonjour », on ne lui lave pas ses habits, il doit se motiver tout seul pour aller à l’école. Le risque d’addiction ou de décompensation psychotique au retour est important car ils ont aussi perdu les codes de leur pays.

Denis Dagou a abordé le concept de parentalité.

Claire Mestre a abordé les consultations transculturelles et les soins psychiques aux migrants.

Daniel Delanoë a exposé l’histoire et les concepts de la psychotraumatologie de l’enfant, une discipline récente. Les psychotrauma de l’enfant sont encore méconnus et souvent non diagnostiqués, alors que des prises en charge spécifiques ont montré leur efficacité.

Table ronde au CERAP, Abidjan, 11 février 2025
De gauche à droite : Daniel Delanoë, Médard Koua, Claire Mestre, Denis Dagou

En conclusion, ce séminaire très riche nécessite une suite. Il s’agira d’aborder plus précisément les violences faites aux enfants et les moyens de les en protéger.

Entretiens à Daloa

Nous avons également été reçus deux jours à Daloa, une ville située au centre de la Côte d’Ivoire, plaque tournante de la migration par voie terrestre, où nous avons poursuivi notre enquête sur les réalités et les représentations de l’inceste, grâce à Madame Jacqueline N’gbe Socko, médiatrice culturelle en France et en Côte d’Ivoire qui a organisé plusieurs rencontres avec différentes personnalités. Nous sommes un petit groupe de 7 européens, six femmes et un homme, un ivoirien, plus Mme Socko.

Les adjoints au maire

Nous avons ainsi été reçus par le premier adjoint au maire, M. Enza Silla, avec la seconde adjointe au maire, Mme Aminata Traore Boyondé et leurs collaborateurs. Après avoir évoqué le mariage entre cousins, on nous dit que l’inceste se règle en famille, pour éviter le déshonneur sur la famille et le village.

Réception à l’Hôtel de ville de Daloa. 7 février 2025

La directrice de la prison civile

Nous avons également été reçus par la directrice de la prison civile de Daloa, Mme ? ? qui nous a fait visiter le quartier des filles mineures de la prison civile de Daloa. A la question : « En cas de viol d’une mineure au sein de la famille, que se passe-t-il pour la victime et l’agresseur ? » un éducateur nous répond : « On arrange ça en famille. Il est très rare que ça aille jusqu’à la justice ».

Réception à la prison civile de Daloa, 8 février 2025

Deux ONG

Nous avons aussi rencontré deux ONG qui accueillent des filles et des jeunes femmes victimes de violences basées sur le genre. Espérance de vie, est dirigée par Jacqueline N’gbe (www.espérancedevies.org). Basée à Gagnoa, l’association est engagée dans la lutte contre la traite humaine des filles, la délinquance juvénile, l’immigration clandestine, pour l’accès aux soins, la scolarisation, la réinsertion sociale des filles, l’accueil des personnes en situation de précarité, l’amélioration des conditions de vie des filles vulnérables.

Lors de discussions informelles, on nous raconte un cas d’inceste : dans les années 1990, au village, un oncle a violé sa nièce, la fille de son frère. On les a lavés nus tous les deux dans le fleuve. Mais les frères de la mère de la victime l’ont tué à bout portant avec un fusil de chasse. Les oncles maternels de la victime ont été emprisonnés pour quelques mois, puis relâchés. Un oncle violera plutôt la fille de son frère que la fille de sa sœur, car le lien de consanguinité est plus certain avec la fille de la mère qu’avec la fille du frère.

8 février 2025

L’ONG Gnowieta (Aie longue vie, https://www.facebook.com/Gnouwieta ) est dirigée par Josiane Kouame. Elle est engagée sur les questions de droits humains et genre, santé, VIH/sida, IST, Paludisme, cancers du col et autres, santé sexuelle et reproductives, autonomisation des femmes. Nous sommes accueillis par des chansons, par la devise nationale, et une phrase reprise en chœur : « Il faut respecter son mari ! » L’association accueille des jeunes femmes, avec leurs enfants. Le travail vers l’autonomie se fait par la couture, la peinture, l’alphabétisation.

Gertrude Odi, assistante sociale dans l’ONG, très mobilisée pour l’autonomisation des femmes nous dit : « Il n’y a pas d’inceste dans la loi, mais il est possible de porter plainte pour viol. Et là, il peut y avoir des sanctions. Les assistantes sociales accompagnent les plaignantes au centre social. Mais, finalement souvent ça se règle en famille. Le problème c’est que l’agresseur peut continuer à agresser d’autres victimes ». Josiane Kouame ajoute : « Un chef, même un intellectuel, ne peut pas s’opposer à la tradition, sinon il affronte la sorcellerie ».

Elles aident des femmes en situation de prostitution : Des femmes font cela en secret pour avoir un peu d’argent. Ce sont des mères célibataires, des femmes violées qui ne trouvent plus de mari. C’est difficile d’imposer aux hommes le préservatif masculin et féminin. Elles ne peuvent pas refuser. Elles prennent un traitement antiviral.

Réception à l’association Gnowieta, 8 février 2025

Rencontre avec deux chefs de quartier

Dans les locaux d’Espérance de vie, nous avons eu une longue discussion avec deux chefs de quartier, un Baoulé et un Guerré. Ils nous ont dit que l’inceste n’existe pas dans leur communauté, mais qu’ils ont connaissance de cas dans d’autres communautés.

Rencontre avec la communauté Djimini de Daloa

Lors de notre séjour à Daloa, Mme Fatoumata Koné, conseillère municipale que nous avons rencontrée à la mairie de Daloa, a organisé une rencontre avec la communauté Djimini de Daloa le samedi 8 février 2025.

Nous avons été reçus par le président, M. Daouda Touré, inspecteur de l’Education nationale en SVT, le vice-président, M. Abdoulaye Ouatara, Inspecteur de l’Education nationale en français, et le secrétaire M. Abdoulaye Coulibaly. Les dignitaires des hommes, et les dignitaires des femmes étaient présents. Les Djimini font partie du groupe Sénoufo et sont originaires de Dabakala, dans le nord-est de la Côte d’Ivoire. Ils viennent à Daloa depuis les années 1930 et forment un des plus importants groupes de la ville. Après les présentations chaleureuses, nous avons abordé la question de l’inceste, l’objet de notre rencontre.

Tout d’abord, le mot inceste n’existe pas chez les Djimini. On parle d’un acte, de viol, d’abus sur mineure, de relations de jeunes gens entre eux. Mais, nous dit-on, entre père et fille ça n’existe pas. On nous parle du mariage entre cousins, qui existe dans la tradition : une fille va se marie avec le fils de la sœur du père.  Comme ça, tout le monde se connaît. Maintenant, avec les facilités de déplacement, cette pratique diminue. On demande maintenant à la jeune fille si elle est d’accord pour le mariage. C’est fini le mariage sans son accord.

Nous avons l’impression que nos interlocuteurs anticipent une condamnation morale du mariage entre cousins. Nous précisions alors que nous nous intéressons surtout à l’inceste comme viol d’un enfant par un consanguin plus âgé. Un dignitaire déclare que si le mot inceste n’existe pas dans la tradition, c’est que l’acte n’existe pas. C’est dans la société en mutation, avec les droits de l’homme que l’inceste existe.

Nous demandons alors comment l’inceste est puni, s’il se produit. L’inceste est formellement interdit. Chez les animistes on parle de Poro, l’école des choses de la vie. La sanction est le bannissement du village.

En cas de viol, en brousse, il y a une sanction publique, et une forte amende. Les relations sexuelles ne peuvent avoir lieu que dans un lieu déterminé par un rituel : on trace une ligne et on peut y dormir. Même pour un campement. En dehors de ce cercle, c’est interdit et dangereux. On nous dit aussi qu’en cas d’inceste, la femme doit être réhabilitée, l’agresseur doit demander pardon, et parfois l’agresseur épouse la femme. S’il y a une grossesse l’agresseur est tenu de reconnaître la grossesse et de s’en occuper. L’enfant est donné à la famille de la femme ou de l’homme.

Le viol est une faute grave. Si un jeune homme viole une femme et si on le découvre, on lui donne 100 à 200 coups de fouets, Il paie une amende, fait une réparation publique et il est banni. Mais avec les droits de l’homme, on a peur de la justice. Alors on fait juste le bannissement. On ne va pas à la police. La femme parle à ses parents, elle peut se plaindre, c’est les droits de l’homme. On demande réparation. C’est important pour la famille et même le village puisse continuer à marier ses filles.

Bernard Amany recentre la question : « Mais quand c’est un abus sur une fille par son père ou par son oncle ? » mais la discussion ne va pas plus loin. Il est plus facile de parler du viol non incestueux que du viol incestueux.

Fatoumata Koné nous explique que chez les Djimini, la femme doit être mariée vierge. Si un jeune cousin ou un oncle abuse d’elle, alors on chicote l’homme et on lui dit de demander pardon à la victime ou bien on le fait sortir du village. Elle accepte pour son honneur à elle, car personne ne voudra la marier. Le problème est réglé en famille. Il peut y avoir une plainte contre le cousin. Aujourd’hui le père ou la mère peut porter plainte si on ne veut pas de solution en famille.

Le Dr Coulibaly, universitaire, en biologie, nous accompagne sur le chemin du retour.

Nous parlons un peu sur le chemin du retour. Il nous redit que l’inceste n’existe pas du tout chez Djimini, mais qu’il y avait d’autres types de déviations. Une relation en dehors du village, en brousse est condamnée. S’il y a une rareté des pluies, on va rechercher la cause de façon culturelle. On découvre qu’un acte est arrivé. On ramène les deux personnes impliquées dans la brousse pour des rituels. L’homme fait des dons, poulets, cabris. On chicote l’homme. Et ils quittent le village. L’inceste n’existe pas.

(Nous tenons à remercier toutes les personnes qui nous ont reçu.e.s et nous ont consacré de leur temps pour réfléchir ensemble sur cette question difficile. Nous remercions aussi Mme Jacqueline N’gbe Epse Sakho qui a organisé ces rencontres, Mme Fatoumata Koné, qui a organisé notre réception chez les Djimini et la communauté Djimini pour leur accueil chaleureux et leur hospitalité généreuse).

Conclusion provisoire

Il ressort de l’ensemble de ces rencontres dans divers cadres, professionnels, académiques, associatifs que l’inceste est bien considéré en Côte d’Ivoire comme une transgression majeure, essentiellement de pères, d’oncles ou beaux-pères sur des filles de la génération suivante ou de frères sur les sœurs plus jeunes. Les psychologues cliniciens en ont une certaine connaissance par leur accueil de la parole des victimes. En revanche dans les discours profanes, l’inceste est représenté comme rare, voire inexistant « chez nous », et très stigmatisant pour le groupe familial. Ce déni rejoint celui que nous connaissons dans notre société et semble donc être commun à toutes. Ainsi, en 1974, un manuel de psychiatrie états-unien affirmait que « L’inceste était extrêmement rare. Seule une femme sur 1,1 million est concernée » (Henderson, 1974, p. 1536, cité par Van der Kolk, 2018, p. 324).

Dans certains groupes ethniques de Côte d’Ivoire, toutefois, la pratique de rituels de punition et de purification observés dans les années 1990 atteste de la reconnaissance de son existence. Dans les familles et dans les institutions, il semble que la préservation du groupe familial élargi passe en général avant la sanction du coupable et la protection de la victime : « Il faut régler ça en famille ». Probablement en lien avec les relations de forte interdépendance à l’intérieur de groupe familial élargie que décrit Alain Marie (2003).

Réception dans la communauté Djimini, à Daloa, 8 février 2025. Le bureau de l’association.

Réception dans la communauté Djimini, à Daloa, 8 février 2025. A gauche, les dignitaires.

Réception dans la communauté Djimini, à Daloa, 8 février 2025. Les représentantes des femmes

Autres Notes de terrain

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