© Jack Ketcham Family 20 décembre 2015 Source (CC BY-SA 2.0)
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Dans l’actualité des mouvements migratoires que notre époque connaît, en tant que chercheur dans le champ de la psychologie interculturelle, nous nous questionnons sur ce que le migrant laisse derrière lui lorsqu’il quitte son pays d’origine, de gré ou de force, sur ce qu’il oublie ou au contraire tient à conserver, mémoriser, transmettre à l’autre contemporain mais aussi, et peut-être surtout, aux générations à venir. Parfois à son insu, des traces viennent s’inscrire, en soi… mais également sur des supports physiques qui, sans pour autant être des sources historiques, pourront un jour servir de médiation mémorielle (Scopsi, 2018), individuelle et collective, de l’histoire migratoire.
Dans le cadre de ce présent article, nous souhaitons revenir sur une situation rencontrée au cours de nos travaux de recherche (Oulahal, 2019). Plus particulièrement, nous investiguons les interactions possibles entre le processus d’interculturation (Clanet, 1990) et les processus de construction mémorielle autobiographique. À travers le recueil de récits de vie, nous abordons la question du souvenir que laisse une situation interculturelle chez le sujet qui en fait l’expérience au cours de son existence (Oulahal, 2021 ; Oulahal & Denoux, 2018). Plus précisément, c’est au travers de la mémoire autobiographique (Conway, 2005) que nous analysons l’articulation de la construction identitaire et mémorielle en relation avec une expérience de vie en situation interculturelle, qu’elle soit dans un environnement multiculturel, une migration vers un nouvel environnement culturel, une pluralité d’appartenances culturelles ou tant d’autres configurations que le monde actuel présente et pour lesquelles le contact de cultures est mis au premier plan (Oulahal, Denoux & Teyssier, 2018 ; Oulahal, Guerraoui & Denoux, 2018).
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Nos travaux de recherche nous amènent ainsi à réaliser des entretiens non directifs de recherche centrés sur le récit de vie auprès de sujets âgés ayant vécu une expérience interculturelle. C’est à cette occasion que nous rencontrons Warda, une dame de 60 ans ayant vécu une expérience migratoire et souffrant aujourd’hui de troubles neurocognitifs caractérisés principalement par une altération de la mémoire, et sa fille Rajae qui aura elle aussi fait l’expérience migratoire dans le sens inverse de sa mère cette fois. Ces deux rencontres, à une journée d’intervalle, nous permettent de penser l’impact des troubles neurocognitifs dans le récit de soi en situation interculturelle mais également dans la transmission intergénérationnelle d’une histoire migratoire.
En particulier, nous aborderons le rôle de la photographie comme support à la construction mémorielle de la migration autant qu’à la transmission intergénérationnelle, intentionnelle ou non, de cette expérience interculturelle.
Warda réside dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et présente des troubles neurocognitifs principalement caractérisés par une altération de la mémoire. Elle est âgée de 60 ans seulement lorsque nous la rencontrons et vit déjà en institution depuis près de dix ans. Elle parle peu le français mais utilise tout de même autant le français que la langue arabe (dialecte marocain) lors de notre rencontre. Nous n’avons pas eu accès au dossier médical de cette résidente mais sa fille nous indiquera qu’un diagnostic orientant vers l’hypothèse d’une maladie d’Alzheimer a été établi pour sa mère.
Cette rencontre avec Warda a été pour nous très singulière et cela explique peut-être pourquoi nous avons souhaité en faire part. En effet, du fait de ses troubles neurocognitifs, Warda n’est pas en mesure de donner son consentement pour notre rencontre et, pour cela, son établissement d’accueil nous demande de prendre contact avec sa fille, Rajae, qui réside dans une autre ville, à plusieurs centaines de kilomètres du lieu de résidence de sa mère.
Nous prenons donc contact avec Rajae qui se montre très coopérative pour contribuer à une recherche et accepte que nous rencontrions sa mère pour réaliser un entretien centré sur le récit de vie. Rajae nous indique également qu’elle sera présente quelques jours dans la ville où sa mère réside et que nous pourrons la rencontrer à cette occasion. Cette proposition nous paraît intéressante car nous y voyons là la possibilité de procéder à deux entretiens afin d’en comprendre la relation : un entretien autour du récit de vie de Warda en vue d’analyser ce qu’elle en restituera à travers ses troubles neurocognitifs puis un entretien avec sa fille autour de l’histoire de vie de sa mère afin d’analyser les processus de transmission et de réappropriation de l’expérience migratoire au-delà des troubles neurocognitifs. Il s’est ainsi agi de comprendre ce qui reste du sujet ayant vécu une histoire de vie interculturelle lorsque ces troubles neurocognitifs apparaissent et ce qui peut se transmettre alors. Nous avons donc convenu d’un rendez-vous avec Warda au sein de l’établissement dans lequel elle réside puis d’un autre rendez-vous avec sa fille Rajae lors de son séjour, le lendemain, dans une salle de réunion au sein de notre ins-titution.
L’entretien avec Warda s’est fait en Français et en langue arabe (dialecte marocain). Il s’agit donc d’un entretien centré autour du récit de vie. Malgré les troubles neurocognitifs de Warda, l’entretien nous permet de retracer un parcours de vie. Toutefois, au long de l’entretien, Warda parle au présent et il nous est difficile de classer les éléments de son discours sur un plan chronologique, ni même de savoir si certains éléments sont encore contemporains.
Warda est originaire du Maroc et elle nous indique, dès le début de l’entretien, qu’elle a été très malade lorsqu’elle était plus jeune. Elle nous dit avoir été asthmatique et avoir suivi plusieurs traitements pour cette maladie. Elle nous parle de sa famille, de son père auquel elle tenait beaucoup et qui est maintenant décédé et de sa mère qui elle est encore en vie. Son père aurait eu six épouses au cours de sa vie et la mère de Warda a été la dernière et s’est mariée avec lui alors qu’elle était plus jeune que lui. Warda parle de ses frères et sœurs, certains résidant encore au Maroc, d’autres étant venus s’installer en Europe. Elle nous indique que tous ont une vie qu’elle qualifie de plutôt réussie sauf l’un d’entre eux qui vit avec sa mère au Maroc et qui présente une addiction à l’alcool. Elle fait état de situations difficiles, voire violentes, que sa mère doit vivre du fait de l’addiction de ce frère. Cette situation la peine beaucoup et elle a alors un avis définitif sur ce frère : elle aurait souvent conseillé à sa mère de le mettre à la porte.
Elle nous parle ensuite de sa situation maritale. Elle se serait tout d’abord mariée, alors qu’elle vivait encore au Maroc, avec un cousin germain mais ce mariage n’a pas fonctionné et le divorce a rapidement été prononcé. À la suite de cela, elle part vivre chez une tante qui réside en Belgique. Elle y restera un an puis cette tante avec laquelle elle entretenait des liens forts décède. Warda retourne alors vivre au Maroc jusqu’à ce qu’une autre tante, qui est alors mariée et installée en France, lui propose de venir vivre avec elle. Warda accepte et vient ainsi vivre en France quelques temps. Elle nous indique ne pas garder de bons souvenirs de cette expérience car elle dit avoir vécu dans le domicile de cette tante sans pouvoir sortir. Elle nous précise que cette tante était mariée avec un homme d’origine française et qui n’était pas de religion musulmane. Le discours de Warda est très empreint de formules religieuses. Elle a un avis très strict quant à la dépendance à l’alcool de son frère, elle indique manger strictement halal au sein de l’établissement dans lequel elle réside. Lorsqu’elle évoque le cas de sa tante, Warda précise qu’elle n’aurait quant à elle jamais accepté pour sa part de se marier « avec un français ».
La vie devient difficile chez cette tante et la relation entre les deux femmes se dégrade. Sa tante lui propose alors de se marier et lui présente un homme, d’origine algérienne, que Warda accepte. Elle nous indique qu’il s’agissait là d’un choix de raison mais que cela lui a toutefois apporté beaucoup car c’est ainsi qu’elle a pu connaître la ville dans laquelle elle a vécu par la suite. Elle dit qu’il s’agissait d’un homme bon et précise plusieurs fois, avec nous semble-t-il une sorte de persévération, qu’il ne lui a jamais fait de mal. Warda fonde alors une famille avec cet homme et ils auront trois enfants. Cet homme décédera rapidement, la laissant seule avec ses enfants en bas âge. Elle indique que, malgré tout, elle aura tout fait pour s’occuper de ses enfants seule, et qu’elle est aujourd’hui très fière de ce qu’ils sont devenus. Elle nous parle de son fils qui s’est marié il y a peu et de sa fille Rajae : « elle est très belle, mais elle ne veut pas se marier », ajoutant ensuite « elle me dit qu’elle travaille, mais je pense qu’elle n’a pas de travail ».
Cette histoire de vie que nous recueillons n’est pas sans soulever plusieurs questions qu’il nous faut ici présenter pour une meilleure compréhension de notre analyse. Nous sommes nous-mêmes d’origine marocaine et avons été sensibles à la situation de cette femme qui aurait donné tant d’effort à l’éducation de ses enfants et qui se retrouve seule avec ses troubles neurocognitifs dans cet établissement. Warda a tout juste 60 ans et cela fait déjà quelques années qu’elle a été placée en institution. Cela vient renforcer chez nous une forme d’incompréhension ou peut-être même un jugement et une colère au regard de cette situation. Une question nous accompagne en effet tout au long de cet entretien : « où sont ses enfants ? », y voyant là un mouvement contre-transférentiel de « déformations qui affectent la perception et les réactions de l’analyste envers son patient » (Devereux, 1980), même si notre rencontre avec Warda n’a pas lieu dans un cadre psychanalytique ni même psychothérapeutique.
En France, la question du vieillissement des sujets âgés issus de l’immigration a longtemps été éludée par les institutions qui avaient initialement pensé que ces personnes retourneraient dans leur pays d’origine au moment de la retraite. Pourtant, nombre de ces vieux immigrés sont restés en France, avec parfois un va-et-vient dans leurs pays d’origine (Attias-Donfut, 2006), rendant nécessaire la considération de leur singulière situation tant pour les ins-titutions que pour les familles elles-mêmes. Car ces dernières tiennent souvent à prendre en charge leurs aînés et font encore peu appel aux institutions (Jacquat & Bachelay, 2013 ; Samaoli, 2000, 2007). Il semble par exemple être tacitement reconnu que les familles d’origine maghrébine ou de confession musulmane prennent en charge le vieillissement de leurs aînés, les chibanis et chibanias comme on les appelle parfois. Et cela serait en premier lieu lié à la place de la culture et de l’écart culturel. En effet, beaucoup de questions se posent quant à l’alimentation, la langue, la pratique religieuse, les relations familiales de ces sujets âgés au sein d’institutions. Pour notre part, ayant compris que deux enfants de Warda vivaient dans la même ville qu’elle, nous nous interrogions sur les raisons qui auraient poussé ces enfants à laisser leur mère au sein d’une institution. « Où sont ses enfants ? », cette question restait présente à notre esprit à l’issue de notre rencontre avec Warda.
Le lendemain, nous rencontrons Rajae, la fille de Warda.
Dès le début de l’entretien, Rajae nous indique être venue avec des photographies de sa mère encore jeune femme et qu’elle a récemment obtenues. Nous n’avions pas prévu la présence de ces photographies car l’objectif était avant tout de réaliser un entretien non directif de recherche centré sur le récit que se faisait Rajae du parcours de vie de sa mère. Rajae nous indique que la découverte de ces clichés, que sa grand-mère lui a transmis lors d’un voyage au Maroc avec sa mère un an auparavant, lui a fait comprendre que sa mère « avait été une autre personne ». Nous percevrons alors l’importance que ces photographies prennent pour Rajae dans le contexte de notre entretien et l’étayage qu’elles lui procurent dans l’élaboration et la mise en mots d’une figure maternelle.
Il nous faut malgré tout quelque temps avant de réaliser ce que Rajae présente. Elle nous montre une photo de son père et nous indique : « c’est mon père, mais il aurait pu être mon grand-père ». Nous comprenons alors que Warda s’est mariée avec un homme plus âgé qu’elle et Rajae indiquera que son père avait 60 ans lorsqu’elle est née. Rajae nous confirmera que son père est décédé alors que les trois enfants étaient en bas âge. Elle se souvient du décès de son père alors qu’elle avait 4 ans : « Il était dans la cuisine et a demandé un verre d’eau. Puis il est tombé. Il a eu une crise ».
Rajae nous explique ensuite que la situation de sa mère s’est dégradée progressivement : elle serait tombée malade avec l’apparition de troubles de la mémoire et la garde de ses enfants lui a finalement été retirée.
Rajae nous apprend que ses frères et elle n’ont que très peu vécu avec leur mère. Chaque enfant a été placé séparément, soit au sein de familles d’accueil, soit au sein de MECS (Maisons d’Enfants à Caractère Social). Avant ces placements définitifs, les enfants auront alterné les hébergements en foyer départementaux de l’enfance et au sein du réseau familial. Le récit de Rajae permet d’appréhender une nouvelle configuration familiale avec une mère placée sous tutelle et trois enfants grandissant séparément au sein de structures d’accueil. Cette séparation d’avec leur mère à un âge précoce, de même que l’apparition des troubles neurocognitifs avec une altération de la mémoire chez Warda, n’avaient pas permis à Rajae et ses frères de comprendre l’histoire de leur mère et peut-être même de la connaître tout simplement. « Où sont ses enfants ? », la question qui avait émergé la veille à la suite de l’entretien avec Warda prend alors une nouvelle dimension dans cet entretien avec sa fille Rajae, comme peut-être en écho avec une autre question, « où sont mes enfants ? », que Warda se serait posée.
Lorsque les altérations de la mémoire sont devenues trop importantes, entravant son autonomie, Warda, qui n’avait pas 60 ans, a été placée au sein d’un premier EHPAD où elle a vécu quelques temps. Mais cet établissement était éloigné et n’était pas desservi par les transports en commun, aussi les enfants ont décidé de choisir un nouvel établissement pour leur mère dans la ville où nous l’avons donc rencontrée. L’entretien réalisé avec Rajae laisse quelques zones d’ombre car nous manquons de précisions quant aux événements qui ont abouti au placement des enfants. Les troubles de la mémoire semblent en être à l’origine mais l’entretien ne nous permet pas de savoir si les enfants ont pu par la suite voir leur mère régulièrement. Rajae indique simplement qu’une fois devenus majeurs, elle et ses frères sont retournés vivre près de leur mère et ont souhaité recréer du lien entre eux et avec leur mère. Rajae réussit alors à obtenir la tutelle de sa mère et les enfants pourront la faire changer d’EHPAD pour un autre plus proche de leur lieu de résidence.
Au cours de cet entretien, Rajae évoque son père et indique qu’il était un homme violent. Elle nous parle d’un souvenir où elle l’accompagnait dans le bus. Son père qui la portait dans ses bras aurait alors reconnu une personne lui devant de l’argent. Il décida de descendre du bus au même arrêt que cette personne puis l’aurait menacée avec un couteau pour qu’elle lui rende cet argent. Rajae nous confie avoir eu très peur lors de cet événement et en garde un souvenir très fort. Elle évoque par ailleurs des violences conjugales au sein du couple parental, ce qui vient nous donner une autre perspective aux propos que sa mère indiquait la veille. Ainsi, l’entretien que nous réalisons avec Rajae vient faire écho à celui auquel nous avons procédé la veille avec Warda. Parfois dans une contradiction complémentaire, ces deux entretiens nous permettent de mieux appréhender l’histoire de vie de Warda et la question du trouble neurocognitif et de la transmission mémorielle d’une histoire migratoire.
L’absence de transmission apparait centrale dans cette situation mais son origine se doit d’être pensée, entre le décès du père alors que les enfants sont en bas âge et les troubles neurocognitifs de la mère entraînant une impossibilité de prendre en charge ses enfants. Ces éléments sont liés dans cette situation. Suite au décès du père, Warda a de réelles difficultés pour s’occuper de son foyer ainsi que de ses enfants, ce qui amènera au placement de ces derniers. Les enfants n’ont ainsi pas eu le temps de « connaître » leur mère. Rajae, l’ainée des enfants, n’avait que 4 ans lorsque son père est décédé. Aussi, les enfants ont très tôt connu une mère en difficulté et leur placement a accentué la distance. C’est également lors de cette période que Warda commence à subir les effets de ses troubles neurocognitifs avec une altération de la mémoire. Lorsqu’ils deviennent majeurs, les enfants retrouvent une mère qui n’est plus en mesure de les inscrire par son discours dans une histoire familiale. L’absence de transmission, liée au décès du père et au placement des enfants, s’est trouvée accentuée par les troubles neurocognitifs de la mère et l’altération de sa mémoire qui mettent un frein à cette transmission malgré les retrouvailles à la majorité des enfants. Pour autant, notre entretien avec Rajae nous permet de comprendre comment quelques photographies retrouvées viennent participer, à l’insu de sa mère Warda, à une élaboration nouvelle de la figure maternelle. Rajae nous indiquera en effet qu’un cheminement singulier lui a permis de faire lien avec l’histoire migratoire de sa mère, une histoire qu’elle n’a finalement que très peu connue et que les photographies qu’elle a obtenues une année auparavant, et qu’elle nous présente, ont permis de reconstruire.
En effet, lorsqu’elle nous propose les photographies, Rajae nous montre quelques clichés de sa mère. Une première photographie présente sa mère lorsqu’elle était jeune et résidait encore au Maroc. Elle porte une tenue traditionnelle marocaine et semble prendre part à un événement festif et familial. Elle est assise au milieu des convives. Une seconde photographie nous montre cette fois sa mère alors qu’elle n’avait qu’une trentaine d’années et porte une tenue plus moderne. Le cliché semble avoir été pris cette fois en Europe. Rajae nous dit : « Je me rends compte que ma mère a été une belle femme qui prenait soin d’elle ». Elle nous montre ensuite une photo de sa mère qui avait alors une quarantaine d’années et nous voyons une femme fatiguée avec un air triste. C’est cette seconde figure maternelle que Rajae aura jusque-là toujours connue. Les autres photographies présentent à nouveau sa mère jeune avec ses enfants et sa famille.
Rajae nous indique être très peu allée au Maroc. Elle se souvient de la dernière fois qu’elle y est allée en bus avec sa mère et ses frères. Elle se souvient qu’au retour, juste avant de prendre le bateau pour traverser le détroit de Gibraltar, la famille s’était installée dans un restaurant pour manger et que plusieurs enfants étaient venus demander de la nourriture. Rajae nous dira avoir été très sensible à la situation de ces enfants, qui avaient comme elle une dizaine d’années, dont les conditions de vie étaient visiblement très difficiles. Rajae n’était plus retournée au Maroc depuis.
Par la suite, alors qu’elle termine ses études, elle prend connaissance d’une offre d’emploi au Maroc pour devenir fille au pair auprès d’enfants d’un couple états-unien qui vient s’installer au Maroc pour deux ans. Ayant été sélectionnée pour ce poste, Rajae va donc vivre deux années au Maroc. Elle précise que cet emploi lui a permis de connaître un peu plus la culture du pays d’origine de sa mère en bénéficiant de bonnes conditions de vie. Rajae ne nous indique cependant pas si elle a établi un contact avec sa famille marocaine lors de ce séjour. À son retour en France, son expérience professionnelle la rendant plus à l’aise pour aller au Maroc, Rajae y organise un voyage avec sa mère, en accord avec l’établissement d’accueil de cette dernière. L’objectif est de partir à la rencontre de sa famille maternelle. Rajae et sa mère font donc le voyage et vont être hébergées par sa grand-mère. C’est lors de ce voyage, qui a lieu une année avant notre entretien, que Rajae reçoit les photographies de sa mère plus jeune et lui découvre un tout autre visage et un nouveau pan de son histoire de vie.
Le cas clinique de Warda et de sa fille Rajae permet de comprendre les difficultés, les impossibilités voire les trous dans la transmission, de même que la nécessité de donner du sens aux symptômes somatiques dans les parcours migratoires. Il convient ainsi de s’interroger : la migration et le quotidien dans un contexte interculturel peuvent-ils être vécus par le sujet comme traumatiques et être à la base de souffrances psychique et somatique ? Nous faisons l’hypothèse d’une migration traumatique chez les vieux immigrés en France (les chibanis et chibanias pour celles et ceux venant d’Afrique du Nord) comme terrain de vulnérabilité qui favorise les amnésies partielles ou totales, les troubles neurocognitifs et influence par conséquent les relations intersubjectives et les transmissions intergénérationnelles.
L’analyse de Lepoutre et Cannoodt (2005) vient mettre en évidence cette difficile élaboration et transmission d’une mémoire familiale au sein des familles immigrées en France. Pour les auteurs, les difficultés sont à relier essentiellement au contexte migratoire de même qu’à des conditions de vie précaires des familles. Dans leur enquête auprès de collégiens issus de 53 familles immigrées, les auteurs constatent que les élèves ignorent généralement les contextes précis des migrations. Les auteurs distinguent trois types d’attitude face au passé familial : l’attachement, le rejet et l’oubli à travers le détachement. Dans cette étude, les auteurs analysent justement la place des photographies de famille et leur voient d’autres fonctions que la seule remémoration du passé car elles permettraient aux familles d’agir sur le présent en permettant une transformation et une réorganisation du passé. À travers ce qui se montre et ce qui se cache des photographies, Lepoutre et Cannoodt (2005) voient ainsi les familles immigrées non pas en tant qu’espace de transmission du passé mais, plus paradoxalement, comme une « machine à produire de l’oubli » selon diverses modalités (rupture avec les lieux d’origine, effacement d’une lignée généalogique au profit d’une autre, sélection des images du passé familial… ). Au sein des familles immigrées, la transmission mémorielle ne s’opère pas nécessairement de façon volontaire et consciente. La mémoire familiale est plus acquise par les descendants que transmise par les ascendants. Les auteurs mettent ainsi en évidence le fait que la transmission intergénérationnelle au sein des familles immigrées ne s’opère pas à sens unique, depuis les ascendants vers les descendants. Les descendants participeraient activement à l’élaboration de la mémoire collective au sein de leur famille et ce justement par la prise en charge de la mémoire iconographique familiale. Comme nous le voyons pour Warda et Rajae, les photographies prennent une place singulière dans l’élaboration d’une mémoire familiale rendue difficile par la migration. Mais d’autres éléments sont à considérer dans l’analyse de cette situation : le décès du père, les troubles neurocognitifs de la mère et le placement séparé des enfants. Le retour inattendu dans le présent des photographies du passé apparaît comme un nouveau pas vers cette élaboration mémorielle familiale.
La situation de Warda et de Rajae nous permet de comprendre dans quelle mesure l’émergence de nouveaux objets de mémoire de la migration, quelques photographies dans le cas présent, peut permettre au sujet de reconstruire une histoire de vie dans laquelle il peut lui-même s’inscrire. Ces quelques clichés, probablement envoyés par Warda, alors qu’elle était en France, à sa mère au Maroc et que cette dernière a conservés au fil des années puis confiés à Rajae, sa petite-fille, viennent prendre la place d’un objet mémoriel transmis mais surtout partagé entre ces trois femmes. Les photographies permettent les franchissements temporels et spatiaux au cœur de l’histoire de vie de Warda et de sa migration en France. Le déplacement des photographies, d’un bord à l’autre de la Méditerranée, vient ainsi décrire l’expérience migratoire de Warda et permettre d’inscrire Rajae dans cette histoire migratoire rendue opaque par les troubles neurocognitifs de sa mère. Le défaut de souvenir de la mère est ainsi comblé par la découverte de ces photographies et une nouvelle figure maternelle prend alors place, une figure du passé, une figure oubliée mais une figure qui a existé et qui vient s’inscrire dans le réel. Ces clichés de l’expérience migratoire de Warda en France, conservés au Maroc puis confiés à Rajae par sa grand-mère, viennent rendre compte d’une métamorphose du sujet de la migration. Un immémoré de l’histoire migratoire émerge alors et la photographie s’inscrit comme vecteur de réélaboration intergénérationnelle face aux troubles neurocognitifs de Warda.
Halbwachs (1925) décrit la mémoire comme étant inscrite dans les interactions sociales au cours desquelles le passé est évoqué. Le groupe donne ainsi au sujet les moyens de reconstruire son passé, car c’est en se plaçant dans ces cadres sociaux de la mémoire que la pensée individuelle serait capable de se souvenir. Halbwachs lie ainsi mémoire individuelle et mémoire collective,
l’harmonie de la première relevant de l’existence de la seconde. La mise à distance de Warda et de ses enfants les uns des autres est venue faire écran à un contexte groupal au sein duquel une mémoire familiale pouvait se construire. Comme nous l’avons indiqué précédemment, une fois majeurs, les enfants sont venus vivre auprès de leur mère mais cette fois ce sont les troubles neurocognitifs de cette dernière et les altérations de sa mémoire qui ont rendu difficile l’élaboration d’une mémoire collective et individuelle. Pour Rajae, avec la découverte de ces photographies pré-
sentant sa mère avant et après la migration, une réappropriation mémorielle et culturelle reste possible dans un après-coup de l’oubli et lui permet l’intégration d’une mémoire collective et d’une culture d’origine à laquelle les troubles neurocognitifs de la mère et le placement des enfants n’avaient pas donné accès. Face à l’oubli, une construction mémorielle individuelle ou collective peut alors venir panser l’absence, chaque zone oubliée pouvant être comblée par le sujet d’éléments qui lui permettront une cohérence identitaire ou une correspondance avec les faits, selon les deux principes énoncés de la mémoire autobiographique (Conway, 2005). Cette mémoire autobiographique, qui conserve les représentations de l’histoire de vie passée, est essentielle à la construction du sentiment d’identité et apparaît singulière en situation interculturelle (Oulahal, 2021 ; Oulahal & Malbert, 2021 ; Oulahal, Teyssier, Sturm & Denoux, 2021). Ainsi, les souvenirs des événements personnels ne seront pas toujours dans une correspondance exacte avec la réalité vécue par le sujet et pourront subir certaines transformations afin de conserver une cohérence avec l’identité du sujet, et inversement.
Alors que nous demandons à Rajae de nous donner un souvenir personnel, cette dernière nous dira se souvenir d’un jour où sa mère l’accompagnait à l’école et qu’elle lui avait demandé pourquoi elle ne lui avait pas donné un prénom facile à porter, comme par exemple « Julie ». Nous comprendrons que Rajae est le prénom avec lequel Warda appelle sa fille mais cette dernière dispose dans son état civil d’un autre prénom musulman, Amira, choisi par son père. Son père lui avait choisi ce prénom mais sa mère ne l’avait pas accepté et lui en avait donné un autre, Rajae. Ces deux prénoms pourraient symboliser une mésentente du couple parental ou une volonté de transmettre quelque chose d’une culture d’origine, via un prénom plutôt marocain pour Warda et un prénom plutôt algérien pour son mari. Ni Warda ni son mari n’ont finalement accepté de co-construire un prénom pour leur enfant et ont préféré utiliser chacun le prénom qui faisait écho à leur propre appartenance culturelle. Au final, comme elle nous l’indique dans son souvenir, Rajae interrogeait sa mère quant à la possibilité d’avoir choisi un prénom tout simplement « français ». Nous percevons là le questionnement identitaire de Rajae au cours de son enfance et la difficulté de bénéficier d’une transmission culturelle du fait du décès précoce de son père, des troubles neurocognitifs de sa mère et de la vie des enfants au sein de familles et de structures d’accueil.
Par ailleurs, le retour au Maroc dans le cadre d’un emploi avec de bonnes conditions a pu lui aussi être mis en œuvre dans une volonté de réappropriation culturelle et laisse percevoir un processus d’interculturation aboutissant à la création d’éléments nouveaux lors du voyage au Maroc avec sa mère et l’émergence d’une nouvelle figure maternelle qui tempèrera une forme de colère que Rajae avait pu avoir auparavant à l’encontre de sa mère. Partie de l’oubli de sa mère, autant neurocognitif qu’en lien avec son histoire passée, Rajae a pu, à travers un étayage professionnel, mettre en place un processus de réappropriation culturelle avec une meilleure connaissance de l’histoire de vie de sa mère. Les traces du passé migratoire de Warda laissées sur les photographies découvertes permettent l’écriture d’une histoire nouvelle au cœur de laquelle Rajae peut s’inscrire. Face à l’oubli dans lequel les troubles neurocognitifs auront porté Warda, les photographies sont autant de réminiscences de son histoire passée auxquelles sa fille peut aujourd’hui accéder.
Le récit de vie de Warda nous laisse entrevoir son histoire migratoire dans le flou de ses troubles neurocognitifs et de l’altération de sa mémoire. La rencontre avec sa fille Rajae vient quant à elle donner une autre pers-pective à cette histoire de vie singulière. Entre ces deux femmes, ce seront finalement quelques photographies, conservées par une troisième femme de cette lignée, la grand-mère maternelle, qui permettront de décrire la migration et la métamorphose du sujet migrant. Les traces du passé qui y sont inscrites viennent étayer le processus de construction mémorielle et de transmission intergénérationnelle.
La photographie s’inscrit comme le reflet d’une histoire migratoire et comme un objet intermédiaire entre trois générations de femmes : comme un témoignage de la vie en migration que Warda partageait avec sa mère restée au Maroc puis comme la réappropriation d’une nouvelle figure maternelle à laquelle Rajae était invitée par sa grand-mère. Les mouvements, tant des individus que des photographies, permettent une réélaboration et une mise en mot de la migration malgré l’oubli dans lequel les troubles neurocognitifs et le placement avaient plongé Warda et ses enfants.
Ainsi, au-delà des supports mémoriels collectifs et institutionnels (Ribert, 2011, 2016), la mise en place d’un patrimoine familial et singulier de la migration conserve toute sa place. Dans le cas de Warda, le récit migratoire se reconstruit à son insu et se transmet grâce à des photographies qui auront elles-mêmes migré de France jusqu’au Maroc lorsque Warda les envoyait à sa mère restée dans son pays d’origine, et qui ensuite auront effectué le voyage dans le sens inverse, portées par sa fille Rajae dans le pays d’accueil de sa mère. Dans une perspective pratique clinique, nous pensons qu’un troisième acte de cette situation aurait pu être mis en œuvre à travers une rencontre simultanée avec Warda et sa fille Rajae pour un travail sur la base des photographies comme objet de remédiation cognitive, de (re)construction d’une identité narrative et d’élaboration du lien entre les générations.
L’immémoré d’une histoire migratoire. Lorsque quelques photographies retrouvées ouvrent la porte des souvenirs que les troubles neurocognitifs avaient fermée…
Nos travaux de recherche se situent dans la perspective de la psychologie interculturelle et investiguent les interactions possibles entre le processus d’interculturation et les processus de construction mémorielle autobiographique.
Notre article propose de revenir sur la question de la transmission intergénérationnelle d’une histoire migratoire. En particulier, nous questionnerons les répercussions de troubles neurocognitifs sur cette transmission. Nous présenterons le cas de Warda, une dame âgée ayant vécu une expérience migratoire et souffrant de troubles neurocognitifs caractérisés par une altération de la mémoire, et de sa fille, Rajae, qui a elle aussi fait l’expérience d’une migration dans le sens inverse. Ces deux rencontres, à une journée d’intervalle, avec une mère puis avec sa fille, nous permettent de retracer les histoires migratoires, tant des individus que des objets, ainsi que les contacts de cultures et les métabolisations identitaires qu’ils auront pu faire émerger.
Failing memory and migratory history: when a few unearthed photographs open the doors of remembrance previously closed by neuro-cognitive disturbances
Our research field is set in the perspective of intercultural psychology and investigates possible interactions between the inter-culturation process and the development of an autobiographical memory.
Our article proposes to address the issue of the intergenerational transmission of a migratory history. We will in particular explore the effects that neurocognitive disorders can have on this transmission. We present the case of Warda, an elderly lady with a migratory experience suffering from neurocognitive disorders, and her daughter, Rajae, who had a reverse migratory experience. These two encounters, one day apart, with a mother and then with her daughter, enabled us to retrace the migratory histories of both individuals and objects, as well as the encounters between cultures and shifts in identity that these migrations may have generated.
Lo inmemorable de una historia migratoria. Cuando unas fotografías recuperadas abren la puerta a recuerdos que los trastornos neurocognitivos habían cerrado…
Nuestra investigación se sitúa en la perspectiva de la psicología intercultural e investiga las posibles interacciones entre el proceso de interculturación y los procesos de construcción de la memoria autobiográfica.
Proponemos retomar la cuestión de la transmisión intergeneracional de una historia migratoria. En particular, cuestionaremos las repercusiones de los trastornos neurocognitivos en esta transmisión. Presentaremos el caso de Warda, una anciana con una experiencia migratoria y que padece trastornos neurocognitivos caracterizados por deterioro de la memoria, y su hija, Rajae, quien también experimentó la migración en sentido inverso. Estos dos encuentros, con un día de diferencia, con una madre y luego con su hija, nos permiten remontar las historias migratorias, tanto de individuos como de objetos, así como los contactos entre culturas y las transformaciones identitarias que puedan haberse dado en este contexto.
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