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Note de terrain

© Biodiversity Heritage Library, n670_w1150, Compléments de Buffon. t.1., Paris : P. Pourrat Source (CC BY 2.0)

Binsamu, contes et comptines Kongo

Olivier BIDOUNGAOlivier Bidounga est né en 1941 à Bakongo, un des quartiers de Brazzaville au Congo, dans une famille kongo-lari originaire de la région du Pool, après avoir travaillé quelques années au Musée de Brazzaville puis au Musée de Kinkala, Olivier Bidounga s’est fixé en France en 1984. Loin désormais de son pays et de ses origines, Olivier Bidounga n’a de cesse de creuser sa mémoire pour retrouver les traits de la culture kongo en voie de disparition, de s’interroger sur la langue lari, sur l’étymologie des mots, sur le sens des proverbes, sur l’origine des institutions kongo. Créateur de l’association ADECA (Association pour le Développement Culturel et Artistique du Congo), Olivier Bidounga est également co-fondateur de la FCD (Fédération des Congolais de la Diaspora) qui s’est fait connaître par ses prises de position très fermes en regard de la situation politique actuelle au Congo. En février 2015, Olivier Bidounga a été fait chevalier des Arts et Lettres par le Ministre de la Culture et de la Communication, Madame Fleur Pellerin.

Bidounga O. Note sur un grand fétiche kongo, le Kinguizila. L’Autre, cliniques, cultures et sociétés. 2001 ; 2(2) : 301-310.

Bidounga O. Le Bunganga, source de création des objets qui soignent chez les Kongo. L’Autre, cliniques, cultures et sociétés 2005 ; 6(3) : 419-431.

Bidounga O. Le Bunzonzi, un art de la parole chez les Kongo, Lari, Sundi. Droit et culture 2007, 1(53) : 220-226.

Bidounga O. Ndambulu : de la cuisine chez les Kongo, Lari et Soundi de la République du Congo. L’Autre, cliniques, cultures et sociétés 2013, 14(1) : 105-110.

Balouboula-Ndoulou F. Merveilleux contes africains de Mâ Ndulu, tomes I, II et III. Auto-édition ; 2012-2013-2014.

Baniafouna C. Congo Démocratie, volume 3 : la bataille de Brazzaville, 5 juin-15 octobre 1997. Paris : L’Harmattan ; 2008.

Caby-Livannah A. Contes et histoires du Congo. Paris : L’Harmattan, coll. La légende des mondes ; 2006.

Koutekissa M. Contes et légendes du Congo. Echirolles : Cyr Editions ; 2008.

Kimunu-Makumbu F. Contes d’Adolphine Nzonza, recueil de contes kongo. Brazzaville : Editions Acoria ; 2011-2012.

Laman K.The Kongo IV. Upsala : Studia ethnographica upsaliensia XVI : 1968, 198 p.

Lhoni PJ. Le masque des mots : sous le toit de mon père, traduction de 500 proverbes kongo en français. Châtenay-Malabry : Acoria éditions ; 2005.

Mabanza A. Les contes Zombo et Kongo. Paris : L’Harmattan ; 2013.

Mizère D. Le soir au Bongui, recueil de contes kongo. Paris : L’Harmattan ; 2014.

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Nkaloulou B. Verger de N’Go le Léopard, Contes du Congo. Paris : L’Harmattan, coll. La légende des mondes ; 2012.

Ntsesi l’antilope, propos introductif de Marie-Claude Dupré

Les souvenirs d’Olivier Bidounga nous invitent, cette fois, à nous asseoir près du feu des femmes, à la nuit tombante, pour écouter les contes dits, et avec quel talent, par sa grand-mère.

L’ethnologue, c’est son métier, cherche confirmation dans sa bibliothèque. Bonne pioche ! le 4° livre de Karl Laman, The Kongo IV (1968), nous offre une petite centaine de pages égrenant des contes transcrits par les cathéchistes de la mission évangélique du Congo, avant 1918. Le chapitre « Contes » ouvre sur cet avertissement : « Ntsesi, la gazelle rusée, ou Ngo le léopard féroce, ou les deux sont les personnages principaux de beaucoup de contes sundi ». Le colonialisme analphabète ne les avait pas encore nommés « lièvre » et « panthère » ; et l’on se régale à les lire, après avoir écouté la grand-mère d’Olivier, car les divers scribes parsèment leurs récits d’onomatopées savoureuses qu’ils prennent soin de signaler au lecteur. Le singe qui escalade un arbre « nzala-nzala », le cri d’un oiseau de nuit « Carara », la grenouille qui sort de sa cachette en faisant bruire le feuillage « sosolo-sosolo » et qui fait feu « te-e », deux personnages qui en viennent aux mains « kulukutu-kulukutu », le coq qui chante « koko-dyo-ko-aa », le forgeron qui actionne les soufflets « kutubulu-kutubulu », etc.

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Ngo est féroce, mais Ntsesi ne l’est pas moins. Ils s’opposent avec des farces souvent mortelles, mangeant au passage leurs petits et se volant leurs femmes.

Malgré cela, note l’ethnologue, nombre de contes ressemblent à la rivalité du loup et du renard qui a aussi traversé les siècles européens. Mais notre renard ridiculise systématiquement le pauvre Isengrin alors que Ntsesi n’a pas toujours le dessus.

Et puis, se dit l’ethnologue, le léopard, chez les Sundi comme chez les Kongo dont les sociétés sont très voisines, n’est-il pas l’animal royal, la personnification du pouvoir assis sur l’accumulation de richesses, comme sur les couvertures de traite en coton rouge que nous décrit Olivier. N’y aurait-il pas, là, une critique d’un pouvoir sans limite raillé par l’astucieuse antilope, mise en scène par d’inoffensives aïeules lorsque la nuit vient effacer la dureté du jour. Mais l’anthologie publiée en Suède ne se prête pas à de telles interprétations. C’est la vie quotidienne, amplifiée par des personnages sans scrupules qui magnifient des situations généralement banales : aller au marché, chercher une épouse, chasser, cultiver, pêcher. Si l’ombre d’une critique semble apparaître de façon répétée, elle porte sur l’avidité, généralement punie, de Ngo. Il imite son rival et partenaire qui lui fait un récit fantasmatique des causes de sa réussite et se noie dans la rivière après avoir accepté d’y être jeté les mains liées, comme Ntsesi prétend l’avoir fait… La grand-mère d’Olivier raconte cette même histoire !

Car la richesse de Ntsesi est présentée comme allant de soi, même si l’antilope, outre son intelligence et sa ruse, possède des pouvoirs merveilleux, étant capable de changer de forme et de boire l’eau avec sa patte. Alors que celle de Ngo repose sur son avidité, sa traîtrise, et la férocité de son pouvoir politique, toutes choses mal considérées par ses sujets. Outre les avertissements moraux propres aux contes, il y a bien une critique sociale : elle porte sur la richesse mal acquise. Un long récit détaille la punition du rat Mbende qui s’était auto-proclamé nganga.

Et il n’y a pas de diable dans la petite anthologie choisie par les collègues de K. Laman pour cette publication posthume.

Les contes de ma grand-mère

Comme beaucoup d’autres cultures africaines, les Kongo ont un goût prononcé pour les contes, qu’ils désignent par le mot tshinsamu (singulier), binsamu (pluriel), qui veut dire grosso modo « raconter des histoires » mais dont la racine nsamu signifie « cause » : un mot très intéressant, parce qu’il démontre que l’histoire que l’on imagine et que l’on transmet, conte, récit, fable ou mythe, a pour but essentiel de rechercher les causes du monde qui nous environne, de donner des réponses aux questions que les hommes se posent depuis la nuit des temps et de faire passer le plus souvent, à travers une forme plaisante qui assure la détente et le rire de l’auditoire, un enseignement d’une importante valeur symbolique et morale.

De nombreux ouvrages sont parus ces dernières années avec des contes et légendes kongo (Balouboula-Ndoulou 2012, 2013, 2014 ; Baniafouna 2008 ; Caby-Livannah 2006 ; Koutekissa 2008 ; Kimunu-Makumbu 2011-2012 ; Lhoni 2005 ; Mabanza 2013 ; Mizère 2014 ; NKaloulou 2006, 2012). Un de mes compatriotes et contemporains, Gabriel Kinsa, comédien et fondateur du Théâtre de l’Amitié à Brazzaville, s’efforce, depuis bien des années, tant dans les écoles que dans les musées, de faire connaître au jeune public français la fine fleur de nos contes kongo.

Dans cet article, je me propose de rappeler trois contes que me disait ma grand-mère maternelle Sari Thérèse quand, âgé de huit à dix ans, je rentrais au village pour la période des vacances. Chaque soir à la tombée de la nuit, dans notre village de Ngampiéma (Bidounga 2005), les hommes se réunissaient selon la coutume kongo dans le mbongui, case ouverte symbolisant l’autorité du chef de famille, pour discuter entre eux des affaires du village, du commerce, de la tontine ou de la chasse, se réchauffant devant leur propre feu, celui réservé à la cuisson de la viande de brousse (Bidounga 2013). Pendant ce temps, les femmes restaient avec les enfants les plus jeunes autour du jiku dia bakento, ou « foyer des femmes » sur lequel elles avaient préparé le repas du soir, tandis que les adolescents pouvaient, soit danser entre eux au milieu du village, au son du tam-tam ou d’autres instruments de musique, jouer soit au kongo, qui est un très ancien jeu de mains, soit au nzango qui est un jeu de pieds typiquement féminin ou bien encore, sous le clair de lune, au divertissant jeu de bi ngudi ngudi, équivalent du jeu de « papa et maman ».

Je rappelle qu’au temps de mon enfance, si la radio existait en ville dans la cour de quelques familles privilégiées, il n’y avait pas d’autre distraction au village que celles des veillées quotidiennes (sauf les jours de mauvais temps), des cérémonies religieuses ou des funérailles.

Je vais donc transcrire ici ces trois contes, selon moi emblématiques, et tenter d’en éclaircir les enseignements profonds…

Fable du céphalophe et du
léopard (ma tchéché é ma ngo)

Dans la forêt, le léopard fait toujours du céphalophe, la plus petite des antilopes, sa proie. Fatigué de courir ou de se retrouver dans l’assiette du léopard, Ma Tchétché réfléchit au moyen de se venger. Il se rend tout d’abord dans un champ cueillir du maïs. Quand Ma Ngo arrive, il voit donc son compère assis dans sa cour à cuire de magnifiques épis aux grains dorés…

– « Que manges-tu, Ma Tchétché ?

– Je mange les dents de ma mère.

– Ça a l’air succulent…

– Goûte donc.

– Mmm, c’est bon ! Je vais faire pareil avec les dents de ma mère. »

Quand le léopard rentre chez lui, il assomme sa maman et lui arrache les dents avant de les mettre à cuire au feu dans une marmite. Mais Ma Ngo ne parvient pas à ramollir les dents et ne peut les consommer. Dans le même temps, la maman léopard meurt et son fils, se rendant compte qu’il a été roulé par le céphalophe, clame au ciel sa vengeance contre lui et se voit obligé d’organiser les funérailles maternelles auxquelles il convie tous les animaux de la forêt.

Entre temps, sentant s’enfler la colère du léopard, Ma Tchétché met au point une nouvelle stratégie et se procure au marché des nkampa, qui sont des couvertures rouges symbolisant la richesse (biléko) et coûtant une véritable fortune.

Quand le léopard arrive dans la cour de Ma Tchétché, il trouve celui-ci assis sur un trône entouré de ses trésors et, étonné par tant de richesse, oublie aussitôt son ressentiment.
– « Comment as-tu fait pour avoir cette richesse ?

– C’est un grand homme comme toi qui me pose la question ?

– Mais comment as-tu fait ?

– Cette richesse, j’ai été la chercher dans le fleuve, au fond de l’eau…

– Dans l’eau, mais comment as-tu fait pour l’attraper ?

– On m’a attaché à une pierre, les quatre pattes liées par des cordes, et on m’a jeté au fond, c’est ainsi que j’ai pu sortir de l’eau tous ces trésors. »

Ma Ngo demande au céphalophe de l’accompagner au fleuve et de trouver les gens qui vont l’attacher et le conduire au milieu de l’eau. Ma Tchétché le rassure, mais plus tard, sur la route, cheminant derrière le léopard, il se met à chanter :

Nzila tu kwenda yi fwa muntu.

Sur cette route que nous empruntons, quelqu’un va mourir !

Le léopard chante à son tour :

Diambu ngé mbéni ku fwa kwaku.

À moins que ce ne soit toi-même qui meures !

Arrivés à destination, le léopard et le céphalophe trouvent des piroguiers qui vont attacher Ma Ngo à une grosse pierre et le conduire au milieu du fleuve. Là, à sa demande, ils le jettent à l’eau et ce dernier coule et se noie.

La nouvelle provoque un grand émoi dans la forêt. Comme les animaux n’ont plus de chef, c’est la débandade. En dernier ressort, ils vont proposer le trône au chien, qui est le plus proche des hommes. Mais on déchantera très vite en découvrant que le chien n’a nullement l’envergure d’un chef et qu’il ne se respecte pas. Comme disent deux de nos proverbes :

Mbwa ku ba losa bi yishi ku na kè.

Le chien va toujours du côté où l’on jette les os.

Mbwa wa tsiamuka kulu mu samu ntééla.

Le chien s’est cassé la patte sur un racontar.

Mais un autre proverbe explique que si le chien s’est mis du côté des hommes pour chasser, c’est pour punir les animaux qui ne lui ont pas fait confiance :

Bwa wa lwata dibu mu binga mbizi mu ba vumissa.

Le chien porte le grelot pour chasser les animaux et se faire respecter.

Interprétation

Ce conte nous permet d’évoquer le fondement du pouvoir chez les Kongo. Déjà, l’on sait que le nom même de notre peuple évoque le léopard ou panthère, Kongo provenant peut-être de l’expression ku ngò, « pays de la panthère ». En tout cas, ce félin joue un rôle primordial dans l’ensemble de la culture kongo car il symbolise le pouvoir, la force et la vaillance ! Tel un « totem », il nous est rigoureusement interdit de le chasser, de le tuer ou de manger sa chair…

Ma Tchéché désigne quant à lui le céphalophe de Grimm (ou Duiker), de la famille des ongulés, qui symbolise l’intelligence et la ruse, un peu comme le lièvre dans d’autres régions d’Afrique. Quand j’étais enfant, je confondais d’ailleurs ces deux animaux.

Ma Tchéché n’est pas le plus fort, certes, mais c’est le plus malin et c’est toujours lui qui gagne !

Le céphalophe présente sur le front deux petites cornes droites, utilisées par le nganga pour appeler les esprits sous le nom de nsiba (on siffle dedans comme dans un capuchon de stylo !). Dans mon précédent article sur le Kinguizila (Bidounga 2001), j’ai évoqué l’existence d’un nkisi très puissant et immatériel qu’on appelle le mpu1, destiné à soigner la maladie d’un chef ou mfumu qui n’est pas forcément un roi mais peut être tout simplement un chef de famille. Détenu par les ancêtres, le mpu est sollicité par les prières de la famille et du nganga pour descendre sur la personne du mfumu malade. Les attributs du mpu appelés luyaalu que va revêtir le mfumu se composent premièrement du collier luunga ou sompola constitué par le nganga de poil provenant de la queue d’un éléphant ou d’un buffle qui symbolise la force, de dents de léopard qui symbolisent le pouvoir et de cornes de céphalophe qui symbolisent l’esprit et l’intelligence ; ensuite du « tipoye » 2 ou chaise à porteur, soutenue par deux brancards, dont le fond est toujours garni d’une peau de léopard, sans lequel le mfumu ne peut pas se déplacer. Enfin sa maison, consacrée par le mpu, devient vuéla, ou « maison sacrée », qui offre la particularité d’avoir sa porte, tous les murs intérieurs et son lit kiandu ou mfulu recouverts de peaux de léopards. Une fois guéri, le mfumu gardera le mpu et ses accessoires durant toute sa vie.

Je reviens à notre totem le léopard : dans le bunzonzi que nous avons étudié par ailleurs (Bidounga 2007), au terme d’âpres négociations entre le nzonzi d’un futur gendre et son beau-père sur l’éternelle question de la dot, le jeune homme ayant tenté d’en rabaisser le montant et devant finalement s’incliner, le nzonzi chargé de le défendre entonne souvent cette vieille chanson évoquant le ngo :

Mé lu bakishi lushiinga

E yayé tcho ni ngula ngo.

Mé lu bakishi lushiinga

E yayé tcho ni ngula ngo.

C’est à dire : « Vous me comparez à un petit chat sauvage, mais je suis un vrai léopard »

Pour ce qui est du céphalophe, nous avons aussi cette chanson :

Cambo tshétshé

Ka mbiji ko ya lungwénya

Ka boutounta kouri.3

« On dit que le céphalophe n’est pas un animal, se demande le caméléon lungwénya,

mais pourquoi remues-tu le filet (sous-entendu qui t’a attrapé à la chasse) ? »

Lorsque, étant enfant, j’allais à la chasse avec mes oncles au village, je me souviens des propos très amusants et instructifs que me tenait le tchi sé tia mbwa, « celui qui mène les chiens à la chasse » ou veneur, grand observateur de la nature, sur les ruses du céphalophe qui parvenait le plus souvent à tromper et à semer ses poursuivants. Comme dit le proverbe :

Ma Tchéché wa nuina mamba mu koria.

Le céphalophe a bu l’eau avec son sabot. (Sous-entendu : pour ne pas être attrapé par le caïman)

On peut penser que la fin de notre histoire faisant apparaître le chien à la tête des animaux est un ajout tardif d’un des conteurs qui l’ont transmise. Je rappelle que l’oralité explique la multiplication et la variété des versions pour un même conte : je serais heureux de connaître et de pouvoir comparer d’autres versions de ce conte du léopard et du céphalophe que m’a transmis Sari Thérèse.

Fable du silure et de l’eau (ngola mamba)

L’histoire qui suit m’a été dévoilée lorsque j’étais un jeune adulte faisant ses premiers pas en politique. J’assistais à un meeting à Bacongo près du marché Total, animé par Boukambou Julien qui faisait partie du mouvement syndicaliste qui avait chassé du pouvoir le Président Fulbert Youlou et se présentait « comme le silure (ngola) qu’on ne peut attraper par la glu (budimbu) ». Cette expression m’avait alors frappé et je me suis mis à la répéter souvent, à tel enseigne que mes amis m’ont surnommé Ngola Mamba. Mais c’est dans le (Bidounga op. cit. 2007) que j’ai appris plus tard dans le détail à raconter la fable du silure et de l’eau. Cette fable, la voici…

Un jour, un silure se fait attraper dans une nasse. Il se confie alors à son amie l’eau et lui dit :

– « Ya mambé (mon amie l’eau)

L’eau lui répond :

É ? (oui ?)

– Mé ba mbakidi. (on m’a attrapé)

Ni twé kwa (nous sommes ensemble).

Ya mambé…

– É ?

– Ni nata ba ta ku nata

(on commence à m’emmener)

Ni twé kwa

(nous sommes ensemble).

Ya mambé…

– É ?

– Mé njéka ku hata

(je suis arrivé dans le village)

Ni twé kwa

(nous sommes ensemble).

Ya mambé…

– É ?

– Mé njéka mu nshinzu
(je suis dans la casserole)

Ni twé kwa

(nous sommes ensemble).

Ya mambé…

– É ?

– Mé dja ba ta ku ndja

(on commence à me manger)

Ni twé kwa

– Ya mambé…

– É ?

– Mé ni néna béka ta ku néna

(on m’emmène à la selle)

Ni twé kwa

(nous sommes ensemble). »

Interprétation

D’abord, le propre du silure, c’est de ne pas se laisser facilement attraper, il ne cesse de se dérober à celui ou celle qui tente de le pêcher et de filer par les trous de la nasse… Si par malheur on l’attrape, il finit à la casserole, mais ce qui est signifié ici c’est la solidarité du poisson et de l’eau, de la vie et des éléments. L’eau nous constitue et nous environne, elle est toujours là, solidaire : je vois dans cette petite histoire une expérience qui relève de la physique et de la chimie des matériaux. L’eau (H2O) est bel et bien un composé chimique qui constitue le milieu de vie de la plupart des êtres vivants. On ne saurait se passer d’elle, ce que souligne la formule Ni twé kwa, « nous sommes ensemble », laquelle est d’ailleurs sans cesse évoquée dans le mariage (ma kwéla) comme dans le bunzonzi : elle indique la fidélité et la solidarité que se doit le couple. Cette formule a également sa valeur politique, le chef mfumu comme le nzonzi, ou encore l’homme politique moderne ne se privent pas de l’utiliser à toutes les sauces !

Sur les esprits qui règnent au fond de l’eau et qui sont censés amener le bonheur, il y aurait beaucoup à dire. C’est ainsi que dans le nkisi, les mamans vont se laver, se purifier dans le marigot ou le fleuve et se charger de tous les esprits positifs qui sommeillent au fond.

Pour ce qui est du silure, on peut dire qu’il est souvent l’exclusivité des femmes qui le pêchent en rivière ou dans les marigots avec des nasses constituées de lattes de branches de palmiers, certes fabriquées par des hommes. Mais le silure, qui jouit de capacités de reproduction exceptionnelles, symbolise clairement la fécondité dans un grand nombre de régions d’Afrique : on le trouve par ailleurs dans les marigots qui servent à arroser les champs de manioc, qui sont encore ici une spécialité féminine.

Le silure sauvage (et non d’élevage !) offre une chair délicieuse qui se prépare de bien des manières : je préfère quant à moi l’ancienne recette du vumba où les morceaux de silure emballés dans des feuilles de matétété sont cuites sous la braise. On peut aussi la préparer dans un canari tshinzu en poterie avec les bibété ou courges, ou encore au court-bouillon parfumé aux épices manzulu. On peut aussi le manger en brochettes grillées (Bidounga op. cit. 2013).

Quant à la selle, je ne ferai pas un long commentaire, mais on sait qu’elle marque à la fois la fin d’un cycle et le début d’un autre, tous les êtres retournant à l’eau, à la terre et à l’engrais d’où jaillissent de nouvelles vies.

Fable du diable venu prendre femme chez les vivants (Manuéré)

Pour la fable qui suit, j’ai encore dans l’oreille les intonations de la voix de mon aïeule maternelle Sari Thérèse : elle savait ménager les effets du récit, faire éclater de rire son jeune auditoire, grimacer, changer de voix pour chaque personnage et esquisser des pas de danse avec le talent d’une vraie comédienne.

Un diable venu d’un pays lointain se déplaçait de village en village en empruntant des habits ; au premier village il emprunte un chapeau, au second des lunettes, au troisième une chemise, au quatrième un costume, au cinquième des chaussures… Ainsi il a amassé des habits pour lui-même, mais aussi du sel, du gibier, du tabac, des pagnes, des ustensiles de cuisine, toute la fortune requise pour prendre femme. C’est ainsi qu’il arrive dans un village par surprise, accompagné de sa richesse et d’une suite composée de serviteurs et d’un nzonzi ; il se présente ainsi devant le chef de famille et discute au mbongui pour avoir la main de sa fille, réputée la plus belle. Sans vérifier quoi que ce soit, ce dernier et sa famille s’empressent de lui faire confiance et consentent à lui donner la jeune fille. Quand le diable repart chez lui avec sa femme et une de ses jeunes sœurs, en repassant dans les villages où il avait emprunté les objets, il a dû les rendre progressivement à leurs propriétaires. Quand il arrive chez lui, la porte de sa case n’est en réalité qu’une tombe où il s’engouffre avec la jeune femme et la belle-sœur, lesquelles avaient déjà constaté la disparition des serviteurs du mari.

Dans ce village, chaque soir, les habitants, qui étaient aussi des diables, dansaient la danse du « croque-humain » menaçant tout homme de cette devise : Beto bia nkaka na nkaka tu mina kweto. « Nous, on avale tout entier » et c’est leur manière d’être ! Le diable qui avait pris femme chez les vivants s’appelait Manuéré, déformation d’Emmanuel. C’est lui qui un soir poussa de force dans la danse effrénée sa femme et sa belle-sœur, l’assistance entonnant alors un chant de sa composition :

Manuéré, é, é, é

Manuéré, taléti (Emmanuel, regarde !)

Et c’est cette chanson qui les mettait en extase.

Quand cette chanson résonnait, les diables avalaient les malheureuses jeunes femmes qu’ils recrachaient au bout d’une heure en disant : Mounzari tchiebola kwan tchiébolé « Belle-sœur, je n’ai fait que m’amuser ! ». A ce jeu infernal, les deux sœurs se retrouvèrent rapidement exténuées.

Un matin, la belle-sœur sut convaincre son beau-frère de la laisser retourner au village : là, elle apprit aux siens que son beau-frère était un diable. Manuéré revint quelque temps plus tard avec sa femme au village chercher sa belle-sœur. Dès le premier soir, la famille, qui avait décidé de lui tendre un piège, organisa une fête au cours de laquelle on lui chanta la chanson « Manuéré » et c’est ainsi que le diable confondu sortit sa queue et dut s’enfuir tout honteux en laissant sa femme et sa belle-sœur qui eurent ainsi la vie sauve !

Interprétation

La moralité de ce conte est qu’il faut bien connaître l’autre avant de s’engager ou d’engager la vie d’autrui. On ne s’offre pas au premier venu, on ne donne pas sa fille à quelqu’un pour son habit ou sa seule richesse. On ne confie pas davantage son destin à un homme politique sur sa seule bonne mine et ses promesses, lequel se révélera plus tard être un diable pour son pays, surtout quand il a pris le pouvoir par les armes !

Ce qui est troublant dans ce conte, c’est le surnom donné au diable, Manuéré, déformation du prénom Emmanuel introduit par les chrétiens. Emmanuel, qui signifie « Dieu avec nous » en hébreu ! Faut-il voir là une critique contre une religion imposée et qui a fait de grands ravages dans nos croyances traditionnelles ?

Ce qui est certain, c’est que le diable ne cesse de rôder autour de nous et que l’on est parfois effrayé de le voir se manifester là où l’on ne s’attend pas, comme en France, tout récemment avec les attentats terroristes contre la liberté de la presse, commis par des jeunes élevés à l’école de la République…

Un de nos proverbes dit : Nkuyu ka ku pamuna ku diatulu : le diable te fera peur selon ta façon de marcher… Sous-entendu, si tu marches d’un pas assuré, il ne t’embêtera pas ; si ton pas vacille, il va alors s’occuper de toi ! Et parfois le diable a affaire à plus fort que lui chez les humains…

Conclusion

En y réfléchissant, je suis convaincu qu’il est important de s’intéresser aux contes, qui ne relèvent pas seulement de l’imaginaire enfantin et dans lesquels les grands ont toujours de bonnes leçons à tirer.

Avec les proverbes et la musique, les contes font partie du patrimoine immatériel de la culture kongo qu’il faut tout mettre en œuvre pour collecter et transmettre. La bibliographie qui suit donne quelques titres d’ouvrages publiés récemment.

Je ne puis qu’encourager mes compatriotes à les consigner et à les transmettre, si possible dans la belle langue de nos pères, mais aussi les jeunes universitaires, linguistes ou anthropologues, à s’y intéresser et à les analyser de la manière la plus fine : car, à travers ces contes, on peut sentir toute l’âme de la civilisation kongo.

Résumé
Abstract
Resumen

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