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Dossier : Des pères ici et ailleurs

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Des pères ici et ailleurs

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Depuis quelques décennies, les fonctions sociales des pères évoluent de manière inédite et différenciée selon les contextes historiques, sociaux, et environnementaux. L’accès des femmes aux études, au travail salarié, à la contraception et à l’avortement, l’évolution des modèles familiaux ont modifié progressivement les rapports sociaux entre les femmes et les hommes, de manière diversifiée selon les sociétés. Autrefois chargés de représenter l’autorité au sein du foyer, quelquefois de manière absente et éloignée, aujourd’hui les pères s’impliquent davantage et affectivement dans la relation parentale dès le projet d’enfant, à l’accouchement et dans les soins aux jeunes enfants. Même si les femmes restent souvent en charge des tâches domestiques et de l’éducation des enfants, un processus de redistribution des rôles selon le genre est en cours, et vient modifier objectivement et subjectivement l’identité paternelle, l’expérience et la place des pères au sein de la famille et dans la société.

Nous proposons dans ce dossier thématique de rassembler quatre études sur les évolutions des modèles de parentalité des pères en France métropolitaine, à La Réunion et en Algérie. Comment les pères se confrontent-ils aux nouveaux modèles conjugaux et familiaux ? L’évolution des droits des enfants a-t-elle une influence sur leurs modèles éducatifs ? Les processus d’individuation de nos sociétés contemporaines modifient-ils la représentation des liens de filiation ?

La dimension historique de la paternité, se manifeste à l’île de La Réunion dans l’histoire longue de l’esclavagisme, tel que l’ont analysée Thierry Malbert et Gisèle Rizzo. La séparation des femmes et des hommes, imposée par l’esclavage, a provoqué des désaffiliations entre les pères et leurs enfants et a produit des familles monoparentales mères-enfants. De plus, depuis la départementalisation de l’île, le système administratif privilégie les aides aux familles monoparentales, conduisant certains pères à ne pas se déclarer comme tel. Pourtant, la génération actuelle des pères revendique un investissement croissant de leur parentalité, y compris dans le registre affectif, dès la petite enfance et de façon très différente de leurs propres pères.

En Algérie, Aïcha Benabed décrit également une évolution récente des relations des pères à leurs enfants, s’éloignant de la figure du père strict et distant, craint et respecté. Aujourd’hui, un ensemble de facteurs tels que l’urbanisation, l’augmentation de la scolarisation des femmes et leur participation au monde du travail, la croissance des familles nucléaires et la mondialisation ont affecté la famille algérienne. La structure familiale traditionnelle a éclaté sous la poussée de nouveaux modèles familiaux. Dans ce contexte, Aïcha Benabed s’est intéressée à la situation des pères veufs, où sous la contrainte des circonstances, réinventent une nouvelle organisation familiale et sont contraints de concilier travail, fonction parentale et vie sociale. Quitte à transgresser les normes, ils vont veiller sur l’enfant, le consoler, s’occuper de son hygiène, le soigner, consacrer du temps pour jouer avec lui, et tenter de concilier vie professionnelle et domestique. En d’autres termes, ces pères sont venus à des pratiques du care et les revendiquent. L’aide des frères du père et de ses parentes, sœurs, mères, tantes est proposée par la famille élargie, mais parfois refusée par le père, qui ne veut pas être dessaisi de sa paternalité. Une pratique très significative de déconstruction des attributions genrées des tâches et des compétences parentales.

Dans les sociétés européennes, Christine Castelain Meunier décrit l’émergence d’une paternité relationnelle et impliquée avec l’instauration d’un lien direct entre le père et l’enfant quelle que soit la situation conjugale et familiale. Ainsi, elle cite des études menées dans les années 2010 qui montrent que 86 % des pères français déclarent élever leurs enfants d’une manière plutôt ou totalement différente de leurs propres pères, lesquels ont été généralement peu ou pas impliqués à leur égard (Réseau national des observatoires des Familles, 2016) ou encore que certains hommes réduisent leur temps de travail de 20 % pour s’occuper de leurs enfants de moins de 3 ans, et ont le sentiment de dévier des normes sexuées (Boyer, 2016). Les nouvelles pratiques de ces pères se heurtent ainsi aux normes de genre. L’implication des pères souffre d’un déficit de reconnaissance sociale.

En France, en situation migratoire, des parents originaires d’Afrique subsaharienne, peuvent découvrir que les normes éducatives de leur pays d’origine comportent un niveau de violence physique interdit dans le pays d’accueil. Doris Bonnet et Daniel Delanoë ont mené une recherche dans le cadre d’une consultation transculturelle en Ile-de-France qui reçoit des enfants, et leurs parents, adressés par l’école en raison de leur agitation et de leur agressivité.  Au cours de ces consultations, les pères déclarent tenter de résoudre ces difficultés par des punitions fondées sur de la violence éducative, surtout physique. Ils expriment un certain désarroi lorsqu’ils apprennent l’interdiction en France d’une administration des coups. Des coups qui font partie du modèle éducatif de leur enfance, auquel ils se réfèrent. Certains de ces pères prennent une distance vis-à-vis de ce modèle hiérarchique et adoptent alors le principe d’une parentalité plus relationnelle et moins fondée sur la violence physique et psychologique.

Ainsi, dans des contextes sociaux et historiques variés, île de La Réunion, Algérie, France métropolitaine, situation migratoire en France venant d’Afrique subsaharienne, on observe une évolution inédite, même si elle reste limitée, des rapports sociaux entre parents, entre pères et enfants, et probablement entre mères et enfants. D’autres études indiquent une évolution semblable des familles en Afrique subsaharienne, en particulier dans les classes moyennes urbanisées (Attané, 2014, 2016 ; Calves et al., 2016 ; Cissé et al., 2017). Ces évolutions de la paternalité, ici ou ailleurs, se heurtent à des normes anciennes et puissantes, fondées sur une hiérarchie entre les sexes, les générations et les groupes sociaux. La violence est une des formes de reproduction de ce système hiérarchique.  « Du social devient du parental. Or, tout ce qui devient parenté se transforme en rapports entre les sexes d’abord, entre parents et enfants ensuite » (Godelier, 2010, p. 305). En d’autres termes, les pères sont acteurs de la pérennisation ou de l’évolution, ou encore de la mutation d’un ordre social hiérarchique remis en cause par les mouvements féministes et les mouvements de défense des enfants.

Bibliographie

Attané, A. (2016, 18 décembre). Émergence de nouveaux pères ? Mutations des formes de parentalité en Afrique de l’Ouest ? [Colloque – Séance 1]. Nouvelles dynamiques familiales en Afrique, 2ème Atelier-colloque d’hiver du GIERSA, Université Cheikh Anta Diop, Sénégal.

Boyer, D. (2016). Les pères en congé parental à temps partiel en France : vers un modèle égalitaire ? Revue des Politiques sociales et familiales, 122, 63-76.

Calvès, A. E., Kobiané, J.-F., & LaCroix, J. (2016). Devenir parent à Ouagadougou : nouvelles dynamiques de constitution de la famille en milieu urbain africain. Dans C. Girard, S. Pennec & J.-P. Sanderson (éds.), Trajectoires et âges de la vie (pp. 1-17). Association internationale des démographes de langue française (AIDELF) et PUF.

Cissé, R., Fall, A., Adjamagbo, A., & Attané, A. (2017). La parentalité en Afrique de l’Ouest et du Centre. Dans L. Vidal (coord.), Renforcement de la recherche en sciences sociales en appui des priorités régionales du bureau Régional Afrique de l’Ouest et du centre de l’Unicef : analyses thématiques (pp. 37-59). IRD, Unicef.

Godelier, M. (2010). Métamorphoses de la parenté. Flammarion.