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Traduction et restes sémantiques

Réflexions autour du mot arabe « taḥlîl » (analyse)


Riadh BEN REJEB

Riadh Ben Rejeb est professeur à l’Université de Tunis ; Président de l’Association Tunisienne pour le Développement de la Psychanalyse (ATDP) et Directeur du Laboratoire de Psychologie clinique (LPCIC) ; Psychanalyste (SPP).

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Pour citer cet article :

Ben Rejeb R. Traduction et restes sémantiques. Réflexions autour du mot arabe « taḥlîl » (analyse). L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2023, volume 24, n°2, pp. 230-237


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-originaux/traduction-et-restes-semantiques/

Traduction et restes sémantiques. Réflexions autour du mot arabe «taḥlîl» (analyse)

Cet article est une invitation à voyager à travers les méandres des langues, des cultures et les labyrinthes de l’inconscient. Il traite de la traduction vers l’arabe de trois mots-clés : psychanalyse, psychanalyser et psychanalyste. Les équivalents arabes de ces trois mots dérivent de la même racine «Ḥa-La-La». L’analyse se dit en arabe «taḥlîl», analyser se dit «ḥallala» et l’analyste est appelé «muḥallil». Se cache en filigrane un lien avec la dichotomie morale musulmane : «ḥalâl» / «ḥarâm» désignant le permis et le non permis, le licite et l’illicite. Ces aspects sémantiques oubliés (ou refoulés) invitent à revoir le sens du travail analytique ainsi que le rôle particulier joué par l’analyste dans l’environnement culturel arabo-musulman. La psychanalyse véhiculerait dans ce contexte une dimension particulière, celle de «rendre ḥalâl», c’est-à-dire de nettoyer, d’épurer et pourquoi pas, celle d’autoriser.

Mots clés : langue arabe, psychanalyse, religion, sémantique, traduction.

Translation and semantic remains.  Reflections on the Arabic word «tahlîl» (analysis)

This article is an invitation to travel through the meanderings of languages and cultures, and the maze of the subconscious. It examines the translation into Arabic of three keywords: psychoanalysis, to psychoanalyse and psychoanalyst. The Arabic equivalents of these three words come from the same root “Ha-La-La”. Analysis in Arabic is “tahlîl”, to analyse is “hallala” and an analyst is called “muhallil”.  There is an implicit link with the Moslem moral dichotomy: “halâl” / “haram”, meaning what is allowed and what is not, what is lawful and what is unlawful.  These forgotten (or suppressed) semantic aspects encourage us to review the meaning of analytic work and the analysts’ particular role in a Moslem-Arab cultural environment.  Psychoanalysis in this context seems to possess a particular dimension, which is to “make halâl», i.e. to clean, to purify and, why not, to authorise.

Keywords: Arabic language, psychoanalysis, religion, semantics, translation.

Traducción y restos semánticos. Reflexiones sobre la palabra árabe «taḥlîl» (análisis)

Este artículo es una invitación a viajar a través de los meandros de idiomas, culturas y laberintos del inconsciente. Se trata de la traducción al árabe de tres palabras clave:  psicoanálisis, psicoanalizar y psicoanalista. Los equivalentes árabes de estas tres palabras derivan de la misma raíz «Ḥa-La-La».  “El análisis” se dice en árabe «taḥlîl”, “analizar” se dice «ḥallala” y “analista” se dice « muḥallil». Hay oculta en el fondo, un vínculo con la dicotomía moral musulmana:  «ḥalâl» / «ḥarâm” que designa lo permitido y lo no autorizado, lo legal y lo ilícito. Estos aspectos semánticos olvidados (o reprimidos) nos invitan a revisar el significado del trabajo analítico, así como el papel particular desempeñado por el analista en el entorno cultural árabe-musulmán. El psicoanálisis transmitiría en este contexto una dimensión particular, la de «hacer ḥalâl», es decir,  limpiar, purificar y por qué no, la de autorizar.

Palabras claves: lengua árabe, psicoanálisis, religión, semántica, traducción.

Ce travail s’inscrit dans le cadre d’une lecture active des mots et s’intéresse plus particulièrement à l’évolution des langues en lien avec les cultures. Outre le champ psychanalytique, il soulève des réflexions d’ordre linguistique, anthropologique et religieux. Il permet de réaliser le long processus de tissage lexical ainsi que les différentes ramifications associatives et sémantiques qui évoluent dans des directions différentes à partir d’une même racine. Cette façon de « penser entre les langues » (Wismann, 2012) permet de réaliser que, à la manière des souvenirs-écrans, un sens peut en rappeler d’autres, plus proches ou plus lointains.

Ce texte traite plus précisément de la traduction du mot psychanalyse et de ses dérivés vers l’arabe. Un événement particulier a accéléré cette réflexion. À l’occasion d’une discussion autour du statut du vin dans les religions monothéistes, j’exposais le point de vue de l’historien et islamologue tunisien Mohamed Talbi qui affirmait publiquement à partir de 2015 que le Coran n’a jamais interdit le vin et que selon lui, le vin est par conséquent « ḥalâl », c’est-à-dire licite, contrairement à des interdits clairement nommés dans le texte coranique (Dahmani, 2017). Serge Bouznah, directeur du Centre Babel1, a lancé alors sous forme de boutade cette phrase : « Il a donc ḥalalisé le vin ! », voulant dire : « il a rendu le vin ḥalâl » (licite). Le recours à ce néologisme venait de me permettre de réaliser subitement une évidence permettant à un noyau de surgir d’une volumineuse écorce.

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