© Iran MCTH Azadkouh (25). Source Autre
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Amnesty International. (2022). Report: Death in Slow Motion: Women and Girls Under Taliban Rule. [En ligne] amnesty.org Afghanistan: Death in slow motion: Women and girls under Taliban rule – Amnesty International
Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). (10 juillet 2023). Statistiques et études – L’essentiel sur… les immigrés et les étrangers. [En ligne] L’essentiel sur… les immigrés et les étrangers | Insee
Rashid, A. (Trad. de l’anglais par Brzustowsky, G., & Bury, L). (2022). L’ombre des taliban. autrement.
Cet article est le dernier témoignage de la mini-série consacrée aux femmes afghanes depuis août 2021. Actes de bravoure et de résistance, les trois premiers témoignages émanaient de femmes vivant encore en Afghanistan, un pays abasourdi par la terreur répandue par les talibans. Pour ce dernier entretien, nous avons rencontré une jeune femme ayant réussi à fuir le pays et qui est arrivée en France un an après le renversement du gouvernement.
D’après le rapport de l’UNHCR en 2022 (publié en 2023), environ 6 millions d’afghans ont besoin d’une protection internationale1 car ils ont été déplacés de force de leur territoire d’origine, et environ 3,3 % des immigrés arrivés en France en 2021 sont originaires d’Afghanistan (INSEE, 2023).
Ce dernier article suit l’expérience d’une jeune femme pour qui l’exil s’est imposé comme la seule voie à la préservation de son identité et de sa dignité. Narguisse est une jeune femme de 28 ans vivant actuellement en France. Écrivaine et institutrice avant l’arrivée des talibans, elle explique ce qui l’a amenée à faire le choix de l’exil : « Ma situation de femme active dans la société et mon statut d’artiste est devenu dangereux. De surcroit, ma famille et moi appartenons à l’ethnie hazara, ethnie d’obédience chiite recherchée par les talibans sunnites. Les génocides du peuple hazara par les talibans en 19982 ont marqué à jamais l’âme de plusieurs générations d’une plaie béante. Le Pakistan est aussi devenu un pays dangereux pour cette raison ». Narguisse dit avoir perdu espoir après deux années d’oppression qui ont eu des conséquences catastrophiques sur le peuple afghan. C’est la raison pour laquelle, avec la bénédiction de sa famille, elle a décidé de quitter son pays. Elle tient à affirmer que faire porter un tchadri à une femme est un symbole d’annihilation de son identité : elle n’avait plus le sentiment d’exister dans ce pays.
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Depuis la prise de contrôle de la totalité de l’Afghanistan par les talibans en août 2021, les droits des femmes et des filles n’ont cessé d’être bafoués malgré l’engagement initial des talibans de les respecter. Narguisse nous confie que « le but apparent est d’effacer complètement la présence des femmes et des filles de l’espace public mais pas seulement. Ils [les talibans] ont renforcé l’oppression des femmes et des jeunes filles dans tous les aspects de leur vie. Leurs droits sont attaqués jusque dans leur vie privée avec les mariages forcés des jeunes filles et des veuves aux hommes talibans sous menace d’atteinte à leur intégrité physique et psychique ainsi que celles de leur famille ». Les femmes et les jeunes filles qui ont refusé le mariage ont été victimes d’enlèvements, d’intimidations, de menaces, de tortures de la part des talibans allant jusqu’à des kidnappings et des viols collectifs avec séquelles physiques laissant la femme sans vie sur la place publique afin d’avertir la population des risques encourus en cas de refus de se marier avec les talibans. Le dernier crime de la sorte a été partagé sur les réseaux sociaux car la victime était une influenceuse célèbre en Afghanistan ; son corps sans vie a été retrouvé quelques jours après. D’après ses proches, elle aurait succombé à une hémorragie interne.
Nous comprenons alors que les stratégies d’oppression des talibans ont marqué toutes les femmes, qu’elles en aient été directement victime ou pas. Dans son rapport d’enquête intitulé Death in Slow Motion : Women and Girls Under Taliban Rule (La mort au ralenti : les femmes et les filles sous le régime des talibans), Amnesty International (2022) a conclu que les pratiques des talibans violaient une série de protections des droits de l’homme garantie par les traités internationaux. L’enquête décrit la condition de la femme en Afghanistan comme une « guerre contre les femmes » qui pourrait constituer un crime contre l’humanité, et dont les auteurs devraient répondre un jour devant les juridictions nationales ou internationales. Narguisse témoigne de ces violations des droits de l’homme infligées à toute la population afghane par les talibans. Elle explique que les attentats-suicides se multiplient dans les lieux de rassemblement des minorités chiites, sikhs et autres confessions ayant existé en Afghanistan depuis des siècles. Elle leur impute les attaques à la bombe ou les attentats-suicides qui ont lieu dans les mosquées, les hôpitaux et les écoles. La dernière attaque du 14 octobre 2023 a fait une vingtaine de morts et une cinquantaine de blessés. Le rapport du Conseil de sécurité de l’ONU, publié en mai 2022, comptabilisait plus de 190 attentats-suicides faisant quelque 1300 morts ou blessés. Les activités des institutions chargées de protéger les droits humains sont toujours totalement suspendues. Dans ce contexte, pour les femmes et les jeunes filles afghanes, l’exil s’impose comme la seule voie de survie.
Narguisse se souvient qu’elles étaient nombreuses à tenter de fuir le pays, certaines accompagnées sur la route par des membres de la famille, d’autres seules ou avec des enfants. Un parcours éprouvant, pour lequel il fallait se procurer un passeport, puis faire la route en voiture pour arriver jusqu’en Iran. Puis, une fois arrivée, il y a l’attente interminable pour le visa vers un pays tiers avec la peur d’être de nouveau arrêtée par la police iranienne. Il arrive souvent que les afghans soient harcelés et épiés par la police jusqu’à l’expiration de leur visa, ou parce qu’ils sont entrés illégalement dans le pays. Dans l’attente d’un visa d’un pays tiers, ils doivent vivre une fois de plus avec le risque permanent d’être renvoyés en Afghanistan. Après avoir passé plusieurs mois éprouvants en Iran, hébergée par différents amis de la famille, Narguisse obtient son visa pour la France grâce à son statut de femme artiste de confession musulmane chiite. Elle se considère très chanceuse, ayant été plusieurs centaines devant l’ambassade de France en Iran au début de sa demande. Elle observe alors qu’à mesure que les mois passaient, de moins en moins de personnes se présentaient. Il faut dire que les conditions de vie en Iran sont très difficiles pour les Afghans. Sans hébergement par les réseaux d’amis, les loyers sont inaccessibles pour la population moyenne afghane dont je fais partie. Les femmes se retrouvent exploitées de différentes manières allant du ménage jusqu’à la prostitution. Devant ce nouveau défi, la majorité des Afghans finissent d’ailleurs par retourner en Afghanistan.
Narguisse a un parcours particulier : elle a obtenu une licence en droit social et ensuite a décidé d’étudier l’histoire, dont celle de l’Afghanistan et de la condition de la femme afghane. À la suite de ses études, elle a produit un court-métrage en 2021 sur l’identité d’une femme afghane qui devait sortir pour le Navroz (nouvel an), le 21 mars à Mazâr-e Charîf (ville du nord de l’Afghanistan, chef-lieu de la province de Balkh) en 2022. Faisant partie d’un groupe d’artistes, femmes et hommes, ils organisaient des festivals comme celui de « Lajaward ». Ne pouvant vivre de son art, Narguisse était institutrice d’une classe de primaire. Elle enseignait à des élèves de 5 à 7 ans. Son implication était à la mesure de celle des enfants, curieux et avides d’apprendre malgré les conditions de vie rudes qui leur sont imposées ainsi qu’à leurs familles à cause de la pauvreté dans le pays : « Certains venaient en cours après avoir travaillé plusieurs heures tôt le matin et sans avoir pris un petit déjeuner. Mais en classe, ils ne tarissaient pas de curiosité ».
Un des enseignements les plus importants à transmettre aux élèves était le dépassement de cette opposition homme-femme. Il s’agissait de classes mixtes : Narguisse explique qu’elle se comportait de la même façon avec les filles et les garçons pour que ce comportement les inspire dans leurs liens les uns aux autres et dans le futur. En effet, les enfants apprennent davantage en observant le comportement des adultes qui les entourent que par des mots non incarnés. Leur singularité en tant que personne sans distinction de sexe, d’appartenance ethnique ou religieuse était valorisée. Narguisse a la conviction « que le dépassement de ces oppositions est une responsabilité que nous avons auprès des futures générations ».
Compte tenu de la situation désastreuse en Afghanistan et des crimes commis à l’encontre du peuple afghan, une réponse énergique serait nécessaire impliquant des enquêtes approfondies, indépendantes et efficaces afin de poser les bases de la justice et de la responsabilisation. Ces deux dernières décennies, de près ou de loin, Narguisse a côtoyé les membres de ce groupe appelé taliban. En effet, à partir de la première invasion talibane en 1994, ces personnes s’étaient infiltrées parmi la population civile afghane. Renseignée sur leurs origines, leurs identités, leurs histoires individuelles et collectives ainsi que sur leurs dirigeants, elle a essayé de comprendre leurs motivations et leurs idéologies dites religieuses. D’après ses références religieuses, leurs idéologies étaient incompréhensibles car souvent contraires aux principes religieux comme l’éducation des femmes. C’est une interprétation idiosyncrasique et non partagée par la majorité des Afghans. Narguisse pense qu’il faut comprendre leurs actes sous le prisme de leurs histoires personnelles. D’après l’analyse personnelle de Narguisse, ce sont des orphelins recueillis par des dirigeants dans le but de les utiliser pour leurs propres feuilles de route. Les talibans parlent le dialecte pashtoun. C’est un mélange de langue urdu et farsi. Il est parlé par les Afghans et les Pakistanais appartenant à l’ethnie pashtoun de part et d’autre de la frontière avec le Pakistan située au sud de l’Afghanistan. La majorité d’entre eux étaient des enfants et des adolescents n’ayant reçu d’autre éducation que celle de madrasas3 pakistanaises dites coraniques mais qui sont affiliées à des parties politiques depuis plusieurs décennies. En Afghanistan, ce n’est qu’à partir de 1994 que le mouvement des talibans s’est transformé en mouvement politique et a été utilisé à des fins politiques. Ils ont été envoyés par leurs familles réfugiées dans les camps précaires du Pakistan pendant la guerre contre l’URSS ou bien recrutés dans les rues d’Afghanistan car ils étaient orphelins et esseulés après le massacre opposant les moudjahidines (résistants) et l’URSS à Kaboul. Dans les madrasas, en échange d’abri et de nourriture, ils étaient conditionnés, sous prétexte d’enseignement du Coran, à détruire toutes personnes, pays, systèmes qui ne suivraient pas les idéologies enseignées par leurs mollahs4. Ces enfants orphelins, vulnérables, déchirés dans leur intériorité par la souffrance de la perte de leurs parents ou des parents eux-mêmes traumatisés par des années de guerre, ont été transformés petit à petit en armes de guerre par des groupes d’hommes, plus puissants, moins exposés, et avec des feuilles de route économiques qui dépassent la compréhension des enfants, des parents et de la population civile. Narguisse estime être en quelque sorte confrontée à des adversaires invisibles.
Ces vingt dernières années, par le biais de la technologie, l’accès aux informations internationales a permis d’avoir d’autres perspectives possibles sur le plan géopolitique et économique pour l’Afghanistan. Les enjeux de cette guerre dont la population civile afghane et ses orphelins sont victimes prennent leurs sources au-delà de la religion, de la condition de la femme et des conflits interethniques en Afghanistan. Cette compréhension plus large de l’instabilité en Afghanistan représente pour Narguisse une lueur d’espoir pour de nouvelles actions vers la restauration d’une stabilité. Il semble que la bataille des Afghanes et Afghans ne se résume pas seulement à une lutte contre un groupe d’orphelins conditionnés dans des madrasas pakistanaises pour détruire et maintenir l’instabilité en Afghanistan. Elle se situe dorénavant sur la scène géopolitique avec les grandes puissances mondiales qui maintiennent cette instabilité en soutenant le système de conditionnement des orphelins de guerre au Pakistan et en Afghanistan sous la protection du régime taliban qu’ils auraient formé et soutenu.
L’émergence d’un tel groupe et ses caractéristiques ont fait l’objet d’un livre intitulé L’ombre des taliban (Taliban : Islam, Oil and the New Great Game in Central Asia) écrit par Ahmed Rashid, journaliste en Afghanistan pendant près de 30 ans. Dans cet ouvrage, l’auteur y décrit les motivations économiques et géopolitiques derrière le maintien de l’instabilité en Afghanistan. En effet, le journaliste pakistanais soutient l’hypothèse selon laquelle « la bataille pour les immenses gisements de pétrole et de gaz de l’intérieur de l’Asie centrale – dernières réserves d’énergie de la planète encore inexploitées – est au cœur de ces dissensions. La compétition féroce qui oppose les États de la région et les compagnies pétrolières occidentales pour la construction des très rentables pipe-lines nécessaires à l’acheminement de cette énergie vers les marchés d’Europe et d’Asie joue un rôle d’une importance au moins égale dans le maintien de l’instabilité de ce pays » (Rashid, 2022). Narguisse ajoute que les hypothèses sur les conditions d’émergence du groupe taliban rejoignent celles d’autres auteurs ainsi que de ce qu’elle a observé elle-même. Ces hypothèses sont véhiculées dorénavant parmi la population afghane « éduquée ». Narguisse précise également que cette guerre encouragée principalement par les États-Unis, l’Arabie Saoudite et le Pakistan, par le truchement des services secrets pakistanais, a constitué dans son sillage une génération de soldats-orphelins conditionnés dans les madrasas pakistanaises et voués à détruire au nom d’une idéologie créée de toute pièce et loin de toute influence féminine. Au cours de ses études d’histoire, elle a essayé de comprendre la trajectoire prise par son pays. Les montagnes afghanes ont vu se jouer plusieurs actes d’un jeu de pouvoir géopolitique : les Perses, les Mongols, les Britanniques, les Soviétiques, et aujourd’hui, les Pakistanais et les Américains et peut-être bien d’autres. L’Afghanistan était appelé le « cimetière des empires », aujourd’hui, avec plus de 1,5 million de morts, ce pays est devenu le cimetière de son propre peuple. Ce jeu géopolitique, et peut-être économique, laissera le pays exsangue, professe-t-elle doctement.
Concernant cette haine du féminin qui prend une grande place dans l’idéologie talibane, Narguisse pense que parmi les communautés pashtounes qu’elle a côtoyées depuis sa toute petite enfance, il existe depuis très longtemps une hypertrophie des valeurs masculines patriarcales, une réduction du rôle de la femme dans la société et un rejet de tout principe féminin. Les hommes de cette ethnie et du groupe taliban sont privés de la rencontre avec le féminin à la base du développement de leur identité. Ils sont élevés dans la culture de la guerre. Ce sont des ethnies tribales dans lesquelles les femmes ont toujours été recluses contrairement aux autres ethnies présentes en Afghanistan. « Cette phobie des femmes » chez les jeunes hommes talibans est probablement renforcée ensuite par leur séparation très jeune d’avec leur famille, loin des femmes et des principes féminins tels que la musique, l’art, la littérature, la poésie qui sont pourtant les richesses culturelles millénaires de cette région du monde. Ces enfants sont emmurés dans les madrasas constituées exclusivement d’hommes ayant leurs propres agendas, qu’ils soient économiques ou politiques ou bien les deux. Les soldats en première ligne sont simplement pour moi des orphelins instrumentalisés.
Les souffrances des femmes soumises à l’oppression et à l’annihilation de leur identité se ressemblent partout dans le monde. En revanche, Narguisse ne pense pas que toutes les femmes afghanes puissent avoir le droit de penser et d’exprimer cette souffrance comme elle le fait elle-même. Certaines femmes en Afghanistan, de par leur conditionnement familial, ethnique, ne peuvent même pas imaginer que la femme puisse être indépendante et libre. Ces dernières sont souvent élevées dans des familles qui leur interdisent l’éducation. Dans ces villages, les écoles sont brûlées sans cesse et les pères sont souvent convoqués par les mollahs qui prônent le mariage précoce et diabolisent l’école pour les filles. Les traditions anciennes ont momifié les femmes afghanes, qui se sont également fait duper par le statut de « femme pure et sacrée » depuis des décennies. L’ambition de ce titre les aurait emprisonnées en tant qu’humaines et le patriarcat se serait servi de cette ambition pour les maintenir dans la soumission. Comme un cri du cœur, Narguisse martèle que leur premier combat sera de se libérer de ce désir inatteignable d’être sacrées et pures et d’accepter leur condition humaine de chair, d’os, de désirs et de plaisirs.
Narguisse a eu des nouvelles de ses anciennes élèves. Elle connaissait la plupart de leurs familles et avait des nouvelles régulièrement par cet intermédiaire. Les destins de ses élèves ont été ébranlés depuis l’arrivée des talibans. Elle pense particulièrement aux élèves qu’elle a eus les dernières années et qui n’ont pas encore 14 ans. Pour les petites filles, certaines ont été mariées récemment pour percevoir la dote et ainsi pouvoir nourrir les membres de la famille, quant à certains petits garçons, ils ont été envoyés dans les rues de Kaboul par leurs familles pour gagner de l’argent, en mendiant ou en se prostituant, et enfin d’autres ont été envoyés dans des madrasas pour devenir de futurs soldats. Peu de ses élèves ont pu prendre la fuite dans l’espoir d’un avenir meilleur. Cette réalité a créé en elle une douleur de vivre. L’enseignante qu’elle a été ressent une part de responsabilité : la société afghane a échoué à offrir à ces enfants l’avenir qu’ils méritent. Ces images d’enfants meurtris dans les rues de Kaboul, le son de leurs lamentations la hantent jour et nuit depuis qu’elle est montée dans l’avion. Ce sont ces souvenirs douloureux qui la motivent aujourd’hui à témoigner.
Actuellement, la femme afghane est une femme enchaînée, emprisonnée mais à la prochaine occasion Narguisse est persuadée que les femmes afghanes n’hésiteront pas à se relever dans le même but : s’émanciper. Elle souhaiterait que les lectrices et lecteurs puissent entendre que dans chaque femme afghane il subsiste encore un espoir de liberté. Un espoir qui peut être partagé et entretenu avec les autres hommes et femmes du monde. Ce qui la désespère aujourd’hui est de constater que les oreilles des occidentaux sont habituées, pour ne pas dire anesthésiées, à la plainte des femmes afghanes. Elle se souvient d’avoir entendu le président des États-Unis dire que « si les afghans eux-mêmes ne veulent pas [la paix], qu’est-ce que nous nous pouvons faire ? ». Les occidentaux ont l’habitude d’associer l’Afghanistan à la guerre car cette guerre dure depuis un demi-siècle maintenant. Jusque-là Narguisse a grandi dans une société et une famille modérément libre mais aujourd’hui il est temps, dit-elle, qu’elle endosse ses habits de résistante et de combattante pour le droit des femmes. Elle ressent d’autant plus cette responsabilité maintenant qu’elle est dans un pays où elle peut libérer sa voix et dire la condition de la femme afghane. Elle souhaite développer en France une branche de la chaîne de télévision HAMDAM pour diffuser la voix des femmes actives et artistes d’Afghanistan où qu’elles se trouvent actuellement. Que cette chaîne soit une opportunité pour les femmes d’avoir des postes pour travailler et soit aussi un moyen de défendre le droit des femmes afghanes. Au sein de cette chaîne, initiée en Turquie, les femmes ont des programmes de débats politiques, historiques, d’échange de poèmes, d’articles, mais aussi des recettes de cuisine, de mode…
Narguisse pense qu’il est aujourd’hui important de prendre de la hauteur pour comprendre l’histoire tragique de ce pays qui se répète depuis plusieurs siècles. Elle estime que la condition de la femme dans ce pays s’améliorera lorsque celle-ci ne sera plus instrumentalisée par les puissances mondiales pour des enjeux géopolitiques. Il lui semble que le conditionnement dans les madrasas d’un groupe d’orphelins privés de tout principe féminin dans leur vie pour maintenir l’instabilité dans ce pays ne suffit pas à comprendre la situation. Réussir à comprendre la place de l’Afghanistan dans le monde et ses enjeux et en informer la société civile est une des responsabilités les plus importantes en tant que jeunes générations de femmes et d’hommes afghans éduqués.
Auprès des souvenirs douloureux de son peuple et de sa condition misérable, elle convoque le souvenir d’un Afghanistan qui a donné naissance à des poètes tels que Rumi ou Nassir-e-Khusraw et qui doit tant aux femmes comme Habiba Sarabi, Fawzia Koofi, Sima Samar et bien d’autres. Des graines de résistance de la pensée et de la connaissance ont été semées chez toutes celles et tous ceux qui, comme elle, ont goûté à ces années de liberté : Narguisse veut donc croire que cette nuit noire que vivent les afghans n’est que passagère et elle se promet d’œuvrer sans cesse pour qu’un jour, et une fois de plus, l’Afghanistan renaisse de ses cendres.
En août 2021, le président français Emmanuel Macron s’est exprimé ainsi : « Les femmes afghanes ont le droit de vivre dans la liberté et la dignité » et il promettait que la France resterait « aux côtés des Afghanes ». Quelques semaines plus tard, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères précisait : « Nous devons accompagner celles qui partent, celles qui ont trouvé refuge dans un pays voisin de l’Afghanistan. Celles qui demandent l’asile, par exemple, en France ou en Europe. » Mais force est de constater qu’à ce jour, aucune action concrète n’a été observée pour accorder plus rapidement l’asile aux femmes bloquées en Iran ou au Pakistan, ou pour faciliter et accélérer les procédures de réunification familiale pour les conjointes et les enfants d’Afghans exilés en France. Compte tenu des persécutions et des crimes auxquels les Afghans sont confrontés dans leur pays, les États devraient considérer les femmes et les hommes fuyant l’Afghanistan comme des réfugiés prima facie au sens de la Convention de 19515 sur les réfugiés, en raison des persécutions qu’ils risquent. Les États devraient rouvrir et réexaminer d’office tous les cas dont la demande d’asile a été rejetée ou dont le statut de protection n’a pas été renouvelé. En décembre prochain, la France sera coorganisatrice du Forum mondial sur les réfugiés. C’est l’occasion pour les autorités françaises de prendre des engagements clairs en faveur de l’accueil des femmes et hommes afghans, notamment dans le cadre du programme de réinstallation des personnes particulièrement vulnérables du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.
Survivre sous le régime des talibans: témoignages de femmes afghanes (IV)
Le 14 avril 2021, les gouvernements des États-Unis d’Amérique, du Royaume-Uni et leurs alliés ont annoncé le retrait de leurs troupes militaires d’Afghanistan à partir du 1er mai 2021. L’instabilité a dès lors repris place en Afghanistan. Le départ effectif des soldats étrangers le 15 août 2021 a laissé le pays dans un chaos sans précédent laissant place aux talibans à la tête du pays. Plus de deux ans après la prise du pouvoir par les talibans la situation du pays est alarmante. Les fondamentalistes islamistes continuent d’imposer de sévères restrictions afin de soumettre les filles et les femmes à leur conception intégriste de l’Islam. Ces dernières ont été largement exclues des emplois publics, privées d’éducation secondaire et depuis peu des études universitaires et de travail dans les Organisations Non Gouvernementales telles que Unicef ou bien encore l’ONU.
Surviving under the Taliban regime. Testimonies from Afghan women (IV)
On April 14th 2021 the governments of the USA, the UK and their allies announced the withdrawal of their troops from Afghanistan from March 1st 2021. Instability then returned to this troubled country. The final departure of the foreign soldiers on August 15th 2021 plunged the country into unprecedented chaos, leaving the Taliban in charge of the country. More than two years after the Taliban seized power, the situation in the country is alarming. The Islamist fundamentalists have imposed severe restrictions so as to submit girls and women to their fundamentalist conception of Islam. Women and girls have been widely excluded from public employment, deprived of secondary education, and recently of university studies and prevented from working for non-governmental organisations such as UNICEF and the UN.
Sobrevivir bajo el régimen talibán: testimonios de mujeres afganas (IV)
El 14 de abril de 2021, los gobiernos de los Estados Unidos de América, el Reino Unido y sus aliados anunciaron la retirada de sus tropas militares de Afganistán a partir del 1 de mayo de 2021. Como resultado, la inestabilidad vuelve a apoderarse del país. La salida efectiva de soldados extranjeros el 15 de agosto de 2021 ha dejado al país en un caos sin precedentes, permitiendo a los talibanes gobernar el país. Más de dos años después de que los talibanes tomaran el poder, la situación es alarmante. Los fundamentalistas islámicos siguen imponiendo severas restricciones para someter a las niñas y mujeres a su concepción fundamentalista del Islam. Estas últimas han sido excluidas en gran medida de los empleos públicos y privados, de la educación secundaria y, más recientemente, de los estudios universitarios y el trabajo en organiza-ciones no gubernamentales como UNICEF o la ONU.
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