Une poupée en chocolat

Amandine Gay
Éditions de La Découverte, 2021

« Je suis née sous X ». Le X de l’inconnue en mathématiques, le X de Malcolm qui refuse de porter le nom du propriétaire de ses ancêtres, le X de la seule personne plus inconnue que le soldat inconnu : sa femme. Le X de la pupille de l’État que j’ai été, le X de celle qui était destinée à faire de « le privé est politique » le slogan de sa vie », déclare-t-elle dans les premières pages. Faisant le pari à travers cet ouvrage d’écrire un essai autobiographique, Amandine Gay le réussit en proposant une composition hybride mêlant l’intime et le collectif. Différant d’une autobiographie classique, elle mêle à ses souvenirs, ses sentiments et son analyse psychologique, une réflexion profonde et sourcée au sujet de l’adoption à travers l’histoire et les sociétés.

Partant du postulat que l’adoption n’est pas que l’objet de la personne concernée et de sa famille d’adoption, elle inclut la société comme porteuse d’un impact colossal sur cette situation, qu’on a pu considérer comme seulement intime durant des années.

Elle prône ainsi l’inversion de la charge de la gratitude, suite à l’exemple de sa mère qui répondait systématiquement aux personnes qui la félicitait de son acte humaniste, que c’était elle qui avait de la chance qu’Amandine soit leur fille puisqu’elle leur avait permis de faire famille. Mais cette inversion s’élargit à d’autres sphères que la famille, notamment en étudiant les aspects historiques du continuum de la vision assimilationniste française dans l’adoption avec, durant la colonisation, l’argument civilisateur et démographique dans les transferts d’enfants seuls, qui est remplacé par l’argument humanitaire depuis quelques décennies.

Sa motivation à écrire des récits qui participent à faire exister la narration des adoptés se fait sentir plus profondément encore, selon l’autrice, à la suite de la recherche de ses origines et le décès par suicide d’un ami d’enfance, également adopté.

Car c’est bien le fond du message qui est martelé et que l’on comprend dans ce livre : être adopté est une identité à part entière, un partage des expériences avec d’autres profils de personne qui n’est jamais totale, tant la situation est unique, et justement parfois si complexe à incarner, notamment à l’adolescence. Le livre revient d’ailleurs sur les troubles psychiatriques souvent décrits chez ces personnes – troubles alimentaires, addictions, tentatives de suicide, y compris chez l’autrice qui évoque une longue période d’addiction pour supprimer les ruminations anxieuses dont elle souffrait. Arguant que les troubles de l’attachement, la peur de l’abandon et le trauma ne suffisent pas à expliquer la genèse de cette souffrance, elle ajoute aussi la longue liste de micro (ou macro) agressions que peuvent subir les personnes non blanches en France et la charge raciale qui les sous-tend. Selon Amandine Gay, la croyance selon laquelle les adoptés seraient protégés du racisme par le fait de grandir dans une famille blanche n’est pas exacte, et même si elle reconnaît que le capital social et culturel qu’apporte parfois cette situation permet éventuellement de mieux l’élaborer, elle met en exergue la difficulté supplémentaire qui est l’impossibilité de s’appuyer sur une expérience parallèle de leurs parents ou de leur famille. Son plaidoyer s’adressant aux familles adoptantes et surtout aux structures les préparant à l’être est vaste et inclut par exemple le fait de donner un cadre de vie permettant à l’enfant de fréquenter des gens auxquels il peut s’identifier positivement, citant par exemple la notion d’identité noire positive et l’aspect salvateur que fut pour elle le basket et la fréquentation de filles de multiples origines ainsi que leurs familles.

Amandine Gay dédie ce livre, écrit d’ailleurs en conjuguant au féminin tous les pluriels, à toutes les adoptées, exprimant ce besoin viscéral d’aider à l’élaboration de toutes les composantes de leur vie.

Se décrivant comme auteure politique, elle est par ailleurs impliquée dans plusieurs associations d’adoptés qui prônent la mise en narration et la force collective afin de faire entendre leur voix.

Également réalisatrice de films, le livre est contemporain de la sortie de son documentaire, sur le même thème, Une histoire à soi, qui explore à travers des images d’archive, le parcours de personnes adoptées en recherche identitaire.

« Moi je suis née. “conformément à son droit, la mère a demandé le sexe de l’enfant mais n’a pas souhaité le voir.” Son droit de femme à disposer de son corps. Mon droit d’enfant à avoir le seum pour la vie », écrit-elle. Le féminisme étant également un aspect du militantisme d’Amandine Gay, le livre revient sur l’ambivalence éprouvée pour concilier droit de la femme à disposer de son corps et état d’adopté et colère d’avoir été abandonnée. Forte de son engagement afro-féministe, elle oppose à cette ambivalence le combat pour un arrêt de l’effacement des mères de naissance, et l’intérêt à leur porter dans la recherche.

Enfin, le triptyque qu’elle met en avant comme ayant été et étant toujours salvateur pour elle – recherche, création et militantisme – saura certainement rencontrer de multiples personnes concernées qui, fortes de ce que leur propose l’autrice, pourront peut-être démêler des sentiments et des souffrances profondes.