Une histoire comparée de la psychiatrie - Henri Ellenberger (1905-1993)
Dans une recherche particulièrement bien documentée, Emmanuel Delille, historien des sciences et de la santé, enseignant d’histoire contemporaine en Allemagne et chercheur associé au Centre Marc Bloch, met à notre disposition une analyse de la place exceptionnelle mais méconnue d’Henri Ellenberger. Tour à tour médecin psychiatre, historien et universitaire, son itinéraire de clinicien et de chercheur en sciences sociales a contribué au développement de l’histoire culturelle de la folie, à celle des institutions psychiatriques et des psychothérapies. Si psychologues et psychanalystes ont utilisé une partie de ses travaux, c’est rarement sur l’histoire des pratiques psychothérapeutiques, sauf Élisabeth Roudinesco qui a mis à contribution les travaux d’Ellenberger dans sa rédaction de l’histoire de la psychanalyse. Elle a largement contribué à sa redécouverte en France et à la création d’un Centre de Documentation Henri Ellenberger à Paris. La recherche d’Emmanuel Delille se différencie des travaux biographiques sur Ellenberger qui l’ont précédé par ses objectifs d’historien des sciences et l’utilisation de fonds d’archives peu mis à contribution jusque-là. À partir de la richesse exceptionnelle de l’itinéraire intellectuel d’Ellenberger, Emmanuel Delille souligne comment par exemple, Ellenberger nous initie à la connaissance passionnante des différentes étapes de l’histoire de la psychiatrie, sans se confondre avec les historiens de la psychologie française qui restent encore fascinés par le XIXe siècle sans tenir compte des pratiques de soin décrites par les anthropologues à partir d’études de terrain. Emmanuel Delille souligne ainsi comment Ellenberger explore et réalise des comparaisons de la psychiatrie dans ses différentes formes et à différentes époques, différents lieux, dans différentes traditions et cultures, une perspective et une méthode qui en font un lecteur attentif de la psychiatrie sociale américaine. Il est aussi à l’avant-garde dans le champ de la psychiatrie transculturelle dont il va développer l’enseignement en contribuant au Canada au premier département universitaire de l’université McGill. Dans cette recherche, Emmanuel Delille met en relief l’indépendance intellectuelle d’Ellenberger par rapport aux grands courants de la psychanalyse pour s’intéresser, par exemple, aux pratiques de soins populaires. Emmanuel Delille décrit aussi comment Ellenberger se situe au carrefour, sans y être enfermé, des travaux de l’ethnographie folklorique et de l’anthropologie française avec Arnold van Gennep, dialogue avec Devereux à la Menninger fondation aux États-Unis, où il enseigne également l’histoire de la psychiatrie, correspond avec Henri Ey en psychiatrie, s’intéresse à la philosophie et l’histoire des sciences avec Canguilhem, Mora et Foucault. Mais le travail d’Emmanuel Delille ne s’arrête pas là. Il décrit encore les différentes vies d’Ellenberger associées à différents lieux où il a vécu, en relation avec ses activités professionnelles de clinicien, de chercheur ou d’enseignant, en France, en Suisse, aux États-Unis et enfin au Canada, où il s’installe définitivement. Chaque lieu est l’occasion de rencontres exceptionnelles et multiples avec des pionniers des différents courants et tenants des anthropologies, des psychanalyses, des psychologies, des psychiatries du XXe siècle. Cette pluralité des champs de la médecine et des sciences sociales est particulièrement importante dans son œuvre. Elle permet de prendre la mesure des élaborations différentes et critiques d’Ellenberger. Le travail d’Emmanuel Delille est également sans concession et particulièrement stimulant.