Santé mentale & souffrance psychique

Sous la direction de Isabelle Coutant et Simeng Wang
Paris : CNRS Editions, 2018

Depuis la seconde guerre mondiale, de nombreux changements se sont produits dans le domaine de la santé mentale. Plus récemment de pressantes inquiétudes et controverses se sont exprimées quant à une dégradation ou une inadéquation de ce secteur.

Sous un titre quelque peu passe-partout, le présent ouvrage rassemble une pléiade de contributions permettant un regard assez vaste sur l’état de la santé mentale, en s’appuyant pour l’essentiel sur une approche à caractère sociologique. Il est vrai que c’est un domaine qui a tendance souvent à se montrer rétif aux sciences sociales et à se cantonner à un certain psychologisme, quand il ne rejette pas ce point de vue comme une intrusion, délaissant les considérations contre-transférentielles, dont il ne peut pourtant pas écarter tout effet comme Devereux et la psychiatrie transculturelle le mettent en évidence.

Bien entendu ce genre de bouquet de contributions comporte des textes très différents, et pas toujours très novateurs. Certains intéresseront sans doute les plus jeunes. Ils y trouveront ainsi de manière ramassée des brèves synthèses sur des auteurs majeurs (Goffman, Foucault, Bourdieu, Sayad ou Robert Castel), ainsi que des rappels de travaux bien connus comme ceux de Christian Baudelot sur le suicide, ou la présentation sous le titre « Pour une sociologie à l’échelle individuelle », des conceptions de Bernard Lahire, largement développées par ailleurs dans son livre Lhomme pluriel. On y trouvera aussi une sorte de résumé de la thèse de Simeng Wang sur la migration chinoise. Quant au texte de Richard Rechtman, il s’en tient à une approche historique des fondements l’ethnopsychiatrie sans aborder les enjeux actuels de cette discipline dont le nom même – significativement ? – a quelque peu disparu.

D’autres articles cependant abordent des aspects plus originaux. Ainsi en est-il de la question des conflits de génération à travers celle de l’héritage, ou de « l’emprise du genre » sur la santé mentale. On lira avec intérêt l’article de Maia Fansten sur « l’exception française » de la psychanalyse mettant en évidence la façon dont celle-ci se vit contrairement à d’autres pays dans une extraterritorialité politique et sociale et comme repliée dans une position défensive sans doute assez peu fructueuse. Par ailleurs, plusieurs articles analysent de manière pertinente les offensives des neurosciences, le lobbying des associations dans la querelle de l’autisme, l’histoire et les pratiques actuelles de l’usage des psychotropes, ainsi que les questions liées à des milieux particulièrement vulnérables (prison, adolescence, santé au travail) ou les tendances sociétales les plus actuelles (développement d’une « psychiatrie » du bien-être, par exemple).

Toute cette énumération montre sans doute la richesse de cet ouvrage collectif, mais il en révèle aussi les lacunes. On pense par exemple au travail avec le trauma ou la question du grand âge. L’approche sociologique donne à cet ouvrage un côté très concret, mais aussi critique voire politique, sur lequel s’appuyer. Alors même que l’on peut parfois regretter la tendance de certains auteurs au « sociologisme », une maladie professionnelle des sociologues qu’il est sans doute difficile d’éviter et que l’on doit donc facilement pardonner…