Parenté sans papier
Frédérique Fogel est an-thropologue, spécialiste des questions de parenté en contexte migratoire et directrice de recherche au CNRS. Elle a déjà enquêté sur les migrations en Nubie égyptienne et à Paris. Le livre est préfacé par François Héran, professeur au Collège de France, qui dirige l’Institut Convergences Migrations auquel Frédérique Fogel est rattachée également.
En partant de l’article de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen qui affirme que les personnes peuvent voyager, quitter leur pays et y revenir, Frédérique Fogel enquête sur ceux que l’on désigne comme sans-papier et cherche à saisir comment ils font famille en France.
Les migrants rencontrés ne sont pas des « immigrés ». Leur parcours migratoire, leur expérience du déplacement et leur expérience administrative infiltrent intensément leur vie. La parenté s’inscrit dans ce cheminement plus douloureux que libre. Les rêves et la réalité s’entrechoquent. Sans-papier est une condition et non une identité. Ce livre est remarquable d’abord par sa méthodologie : il s’agit d’une « participation observante », qui ne cache pas la position d’anthropologue militante de l’autrice. Membre de RESF (Réseau d’éducation sans frontière), elle fait sienne une anthropologie de grande proximité, compréhensive et impliquée.
Ce livre nous apprend également que « sans-papier » ne veut pas dire invisible, ni inconnu des administrations, c’est une vie de précarité presque normale – avec la présence de l’école, l’obligation d’un travail, la possession d’un logement – mais terriblement suspendue à l’attente de la régularisation et aux prises avec le risque de la dissolution des liens de parenté. Ainsi, Frédérique Fogel est devenue une spécialiste du Code des Etrangers. Elle démontre comment l’État entend rester maître de la migration – le point de départ de l’enquête étant la circulaire Sarkosy – comment il entend intégrer, assimiler selon une certaine conception de la famille (notamment dans l’exclusion des liens avec le pays d’origine) et selon certains critères, comme celui de la vulnérabilité.
Cette enquête est passionnante, tant par le matériel recueilli que par la position de la chercheuse et de la militante. Elle met en lumière ce que vivent nombre de migrants que nous rencontrons dans les consultations. L’épreuve du guichet de la préfecture rapportée est absolument édifiante. L’État fabrique ainsi des sans-papier et leur fait vivre un long chemin avant de les accepter comme réguliers. Saluons au passage les éditions Dépaysage qui, au travers la collection « Talismans », s’attachent à publier et faire connaître les textes d’auteurs autochtones d’Amérique du Nord.