Je suis un monstre qui vous parle : rapport pour une académie de psychanalystes

Paul B. Preciado
Paris : Grasset, 2020

Dans la myriade d’écoles et de sous-cultures psychanalytiques, nous avons en partage une règle fondamentale, celle d’écouter et d’accueillir les discours fussent-ils des plus belliqueux, incongrus, dérangeants ou résistants à la psychanalyse. Dans son dernier livre Je suis un monstre qui vous parle : rapport pour une académie de psychanalystes, le philosophe espagnol Paul B. Preciado nous invite à l’écoute d’un contre-discours psychanalytique et, à l’instar de Foucault, nous propose une lecture critique de la psychanalyse.

L’auteur témoigne de son expérience d’analysant Trans auprès de différents analystes. À plusieurs reprises, l’auteur a d’ailleurs été invité à s’exprimer lors de conférences de psychanalyse (New York en 2015, Paris en 2019). S’il a pu parler, a-t-il été entendu ?

Dans Je suis un monstre qui vous parle : rapport pour une académie de psychanalystes, Paul B. Preciado retranscrit et argumente autour d’une conférence, donnée le 17 novembre 2019, devant une assemblée de psychanalystes lors des journées internationales de l’École de la cause freudienne et ayant pour thème « Femmes en psychanalyse ». Il s’attaque au concept psychanalytique de la différence des sexes pour penser une nouvelle épistémè non-binaire du corps et de la psyché. Selon l’auteur, le concept psychanalytique de « différence des sexes » est un dispositif politique de domination issu du contexte colonial et patriarcal de l’époque. Il invite à penser en dehors de ce dispositif raciste et sexiste pour une psychanalyse qui décolonise le corps et l’appareil psychique. Les courants psychanalytiques sont rapidement énumérés : les Freudiens, Kleiniens, Lacaniens et même Guattariens, nul n’arrive à trouver grâce aux yeux de l’auteur. Pour ne pas lui faire de faux procès, les TCC, la psychiatrie pharmacologique ou encore l’ethno-psychiatrie, n’échappent pas non plus à sa critique. L’auteur nous propose ici une archéologie et une contextualisation de la psychanalyse, situant son émergence dans un environnement de sexuation capitaliste hétéro-patriarcal et colonial. Si ce vocabulaire politique peut dérouter, il s’inscrit dans une analyse socio-culturelle du monde et de ses déterminants systémiques. Il est, en effet, indéniable que la psychanalyse soit née au sein d’une Europe des empires coloniaux, dans un monde patriarcal et dans un capitalisme industriel. Elle se développe aussi en parallèle de la critique sociale, des mouvements ouvriers ainsi que des mouvements de libération anticoloniaux. La psychanalyse habite cet environnement culturel et politique et ses membres oscillent entre solidarité révolutionnaire et conservatisme.

Si la clinique transculturelle porte l’héritage critique de la théorie psychanalytique où les mots famille, couple, genre et sexualité résonnent différemment selon les structures culturelles et sociales qui entourent celles et ceux qui viennent à notre rencontre. L’approche psychanalytique doit rester ouverte à la critique, questionner son héritage parfois colonial, parfois transphobe et écouter les façons multiples de se dire, entre autres, non-binaire ou trans dans les différentes cultures.

L’auteur cite la littérature critique sur le genre, la sexualité et la psychanalyse (Rubin, Sedgwick, Butler, Hocquenghem, etc.), ces enseignements sont précieux et souvent oubliés dans le domaine psychanalytique. Paul B. Preciado nous invite donc à questionner notre position sociale en clinique, à reconnaître le pouvoir idéologique des théories qui entourent nos pratiques, à rester à l’écoute du culturel et du social en psychothérapie.

C’est à une aventure passionnante que nous convie Paul. B. Preciado, une « Queer analyse » qui promeut une formation clinique moins binaire et plus complexe, s’intéresse au désir comme au social, traversée par les influences de Guattari et Fanon, et qui se laisse instruire par les mouvements sociaux et politiques.