Histoire de la folie. De l’Antiquité à nos jours
Il est arrivé quelque chose de singulier à L’histoire de la folie de Michel Foucault. Cet ouvrage singulier, révolutionnaire, profondément stimulant dans sa perspective et son approche, brillantissime dans son écriture, a semblé devenir une relique intouchable, une sorte de saint Suaire de la pensée. Alors que ce texte aura à la fois ouvert un immense domaine, n’aurait-il pas stérilisé toute recherche historique ? Porté au pinacle par des thuriféraires et des hagiographes, il est vu comme l’indépassable monument, ce que Quétel nomme ici « l’évangile selon Foucault ».
Ceci n’est pas propre à Foucault : les œuvres brillantes et originales semblent écraser ceux sur qui elles tombent. Et il est souvent ensuite difficile de déconstruire ces masses de granit, du fait aussi du grégarisme qui souvent caractérise le monde intellectuel. En ce qui concerne Foucault, ceci tient également bien sûr à l’ensemble de l’œuvre, se déployant dans de multiples directions, la prison, la sexualité, les sciences humaines, la gouvernementalité. Au caractère inédit de ces interrogations s’ajoutait la singularité du personnage, homosexuel militant et engagé, et cette période des années post-soixante-huitardes où, selon Lacan lui-même, après le grand déboulonnage, en même temps que se déployaient tant de libérations possibles, on se cherchait un maître.
Foucault avait voulu faire un travail solide lorsqu’il se plongeait, alors qu’il était en Suède, dans un fonds d’archives inexplorées. A l’écart de la communauté des historiens absorbés, du fait de l’hégémonie du marxisme, dans l’histoire économique et sociale, son travail fut pourtant assez bien accueilli et publié dans la collection dirigée par cet autre historien marginal que fut Philippe Ariès. Il aurait pu être la percée rendant possible un commencement, mais la thèse de Foucault devint un mythe scientifique, comme le souligna Marcel Gauchet dans la préface de 2007 de La pratique de l’esprit humain, un ouvrage qui le premier critiqua la thèse de Foucault. Celui-ci faisait du « grand renfermement » de 1632 le geste inaugural d’un partage à la fois institutionnel et philosophique entre folie et déraison qui dominerait l’histoire de l’Occident, ce qui apparaissait comme une surinterprétation, et minorait l’œuvre ultérieure de Pinel, s’adressant au fou avec le traitement moral.
Face à Foucault, encensé, couronné par son élection au Collège de France, Quétel fut de ces rares qui résistèrent, errant vers d’autres horizons, demeurant celui qui opposait une forme d’histoire plus complexe, presque « néopositiviste », à l’opposé du perspectivisme foucaldien. Le présent ouvrage de Quétel reprend donc le chemin obstrué par cette grande œuvre. Il n’est pas tant la réfutation de Foucault qu’une histoire complète, « de l’Antiquité à nos jours », de la folie et de ses traitements. En se fondant sur une hypothèse continuiste pour mieux montrer les processus et les changements au cours des siècles, c’est une riche synthèse des travaux historiques en la matière. Le lecteur y trouvera non point la thèse étincelante d’un philosophe historien, mais la chronique de la prise en charge des maladies psychiques, des théories, des pratiques de soin, comme le traitement moral et l’antipsychiatrie, des institutions, comme l’asile. Une livre finalement tout aussi excitant d’hypothèses et de savoir, et la promesse de ce qui doit encore être travaillé pour savoir ce que l’on fit, au long des siècles, des « insensés ».