« Sont indignes non pas ceux et celles qui vivent dans des conditions indignes mais bien celles et ceux qui produisent et tolèrent ces conditions. En ce sens qu’on le veuille ou non l’indignité est l’affaire de tous » Cynthia Fleury, La clinique de la dignité.

Il fallait bien que nous y croyions pour fabriquer ce livre.

Croire aux promesses de réhumanisation contenues dans tous ces témoignages qui nous montrent le chemin de l’espérance et de la vie mais aussi celui de la force des collectifs.

Croire à cette possibilité d’un fond humain dans nos pratiques, qu’elles relèvent du soin ou de pratiques artistiques. Si l’assemblage de ces textes souligne aussi l’écart, plusieurs façons de faire, la vigueur d’un élan commun les anime et les traverse constamment.

Nous sommes heureuses d’avoir pu contribuer à rassembler ici des récits, des témoignages, des pratiques, inscrites dans une pluralité de formes et de cultures qui s’engagent à ne laisser personne dans le réel du vrai, cette lucidité nue de l’horrible.

On pourra y lire entre les lignes ce travail incessant pour combattre tous ces vécus traumatiques qui altèrent, freinent, compromettent l’écart nécessaire avec des éléments de réalité trop crus. Tout ce qu’il faut dire pour que cela puisse s’inscrire dans la mémoire de ce qui fut.

Les professionnels de l’art et du soin qui ont participé à ce livre ont bien voulu partager ce qu’ils ont pu expérimenter et produire afin de participer à la protection de l’indignité en œuvrant, en témoignant et en agissant auprès et avec, ceux et celles qui ont subi des actes dégradants ou inhumains qui les ont rabaissés et ont fini par gommer toute estime d’eux-mêmes.

Aussi trouverons-nous ici des paroles et des actes suffisamment forts pour nous aussi lecteurs nous mobiliser, nous mettre psychiquement au travail et probablement nous transformer comme s’en sont aussi trouvés bouleversés la plupart de ces auteurs qui ont œuvré contre l’indignité. Bien sûr on ne pense généralement pas à sa dignité tant qu’on ne l’a pas perdue. Mais ces textes seront aussi l’occasion de nous rendre compte qu’elle peut disparaître pourtant de bien des façons, que ce soit du fait d’une grande vulnérabilité, de l’humiliation dégradante subie de la part des personnes en position d’autorité qui imposent des conditions de vie indignes ou encore de souffrances profondes et durables volontairement infligées à tous les rescapés des génocides. Voilà pourquoi il nous est apparu nécessaire, urgent, de fabriquer à plusieurs mains ce livre collectif qui nous a permis de partir à la conquête de la présence et de toute l’importance de ce souffle de vie qui déplie les paroles et anime les actes qui résistent à l’indicible, l’irreprésentable et l’oubli. Autant de pratiques qui ont pris conscience à leur façon que face aux exigences de la vie il y aura toujours un élan commun qui nous transcende qu’il est nécessaire d’entretenir.  Un livre dédié à l’art et aux soins pour dialoguer et nous interroger sur les multiples manières de prendre de la hauteur et de gérer nos besoins d’élévation face aux désastres.

Marion Géry et Claire Mestre • Novembre 2025