Agathe ou la jumelle occultée. La cure d’une petite fille autiste
Au moment où les querelles autour de l’autisme ont pris un tour si passionné, où la psychanalyse est clouée au pilori dans sa prétention à guérir ce trouble, il importe non seulement de revendiquer la pluralité des approches mais aussi de montrer ce qu’elle peut apporter à ces enfants pris dans des « troubles envahissants du développement » au point de s’exiler de toute parole et de toute relation. Si l’autisme reste encore très largement une énigme, même s’il est clair que pour certains la composante organique est déterminante, il ne résulte pas d’une telle constatation que l’enfant « autiste » soit irrémédiablement assimilé à n’être qu’un objet d’apprentissage, pas plus d’ailleurs qu’aucun autre enfant.
Aussi saura-t-on grâce à ceux qui, tel Denis Vasse, n’hésitent pas à s’exposer en fournissant des récits de cure d’autistes. Auteur de nombreux ouvrages cliniques, psychanalyste lacanien disciple de Serge Leclaire et de Françoise Dolto, il nous avait déjà donné un monumental récit de cure commentée et théorisée, La grande menace1. Il réitère ici cet exercice avec l’exposé d’un cas où l’on peut encore trouver la transcription des séances, les dessins en couleur, des exposés théoriques. Le lecteur pourra y trouver un instrument de formation, mais plus largement l’histoire des cheminements par lequel ce type de patient peut retrouver un contact avec le monde et se réapproprier le langage.
Il n’est pas nécessaire pour suivre ce travail de partager entièrement les a priori théoriques de l’auteur, mais d’en comprendre la dimension éthique, finalement commune à tous les psychanalystes d’enfant, à quelque courant qu’ils appartiennent. On trouve chez Vasse cette audace interprétative qui était déjà chez Mélanie Klein. Pas à pas, cette enfant de 4 ans reprend la route de la parole et surtout de son humanité par la rencontre de l’autre interlocuteur. Car, pour Denis Vasse et le courant qu’il représente, c’est « non engendré par la parole des Vivants, [que] l’homme devient autiste ». A cette destruction symbolique s’oppose l’opération de resymbolisation qui passe par une « castration symboligène », ainsi que le disait Françoise Dolto, par la réinscription dans une filiation : quelque chose comme une remise en ordre, le refus de l’inceste qui interdisait la Parole par l’absorption dans la sensation.
On saisit bien alors au long de ce récit de cure, l’émergence du « parlêtre » et à quel point, pour Denis Vasse, le psychanalyste rejoue le récit biblique de la Création de la vie naissant d’un chaos originaire. De là le fait que cette narration, qui s’appuie implicitement sur ce mythe, dépasse de beaucoup un simple ouvrage de technique. Elle apparait dans toute sa portée philosophique, en particulier à travers les commentaires qui sont comme des stations d’un calvaire à rebours, quelque chose comme la remontée d’Orphée des Enfers d’où il a sorti une Eurydice ici nommée Agathe. Une belle leçon de psychanalyse qui ne convaincra pas les sceptiques, mais apportera à ceux qui chaque jour sont confrontés à ces enfants psychotiques l’illustration d’un possible.