Éditorial

Source D.G.

Violences racistes envers les « Roms »


Marie BELDIMAN POPESCU

Psychologue clinicienne en formation à l’hôpital Avicenne, à la Protection Judiciaire de la Jeunesse et médiatrice-interprète à Médecins du Monde. marie.beldiman.popescu@gmail.com

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Repéré à https://revuelautre.com/editoriaux/violences-racistes-envers-les-roms-edito/ - Revue L’autre ISSN 2259-4566

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Scènes de désolation sur les bidonvilles où nous intervenons avec Médecins du Monde : en ce début de printemps 2019 de rares violences ont explosé, terrorisant des familles déjà extrêmement vulnérables. Elles avaient tenté leur chance en France « où les enfants sont soignés, où ils peuvent aller à l’école »1 mais il semble que quels que soient leurs cheminements à travers l’Europe, elles se trouvent touchées par ce genre de persécutions.

Les autorités publiques ont démenti, à plusieurs reprises, les fausses rumeurs d’enlèvements d’enfants par « des Roms », ce qui n’a pas calmé pour autant l’engouement des « expéditions punitives » dans les quartiers des banlieues parisiennes : agressions physiques, coups de feu, incendies, jets de pierres et de pavés, insultes, intimidations… « Si ce n’est toi c’est donc ton frère » : on va « lyncher du Rom » en toute impunité, « il faut protéger nos enfants » et « faire justice soi-même » car « on ne nous dit pas tout » ! Et nos médias de crier aux dangers des « fake-news » sur les réseaux sociaux… Mais les préjugés ont la vie dure et le racisme « anti-Roms » s’alimente dans des siècles de discriminations.

On retrouve cette histoire du « Bohémien voleur d’enfants » dans les gazettes françaises du 19e siècle ; en Roumanie, encore aujourd’hui, on dit aux enfants pour les gronder « si tu n’es pas sage le Tzigane va venir te chercher » ! Les discriminations contre ceux que l’on appelle « les Roms » se construisent sur des stéréotypes et des fantasmes qu’il est important et urgent d’analyser. Car aujourd’hui ces habitants des bidonvilles, citoyens européens, qui vivent dans la plus grande précarité, ne savent plus où aller pour survivre, ne sont pas protégés, et sont gravement traumatisés.

Une maman, entourée de ses enfants, le petit dernier, nouveau-né, dans les bras : « Je ne comprends pas pourquoi ils disent ça ! Nous on aime nos enfants ! Regarde-moi, regarde ! Pour nous, la famille, c’est ce qu’il y a de plus important. » Un papa, fier d’avoir finalement, après d’innombrables épreuves, réussi à scolariser tous ses enfants : « Vous comprenez ? Ils sont notre seule richesse. Je n’ai rien, pas de maison, pas d’argent, personne, nulle part, ne veut me donner du travail mais voyez comme je suis riche : mes enfants vont à l’école comme des petits Français, ils vivront mieux que nous. »

C’est un fait, nos préjugés ont la vie dure… Mais nos utopies, qui ont rayonné jusque dans les villages reculés des pays de l’est, également. La « France terre d’accueil », le « pays des Droits de l’Homme », ces citoyens européens, eux, y croient, l’espèrent et le revendiquent. Le terme « Rom » a été adopté, en 1971, par l’Union Romani Internationale, le mot « Rrom » signifie « homme », il s’agissait alors d’inscrire ces groupes marginalisés, exclus du droit commun, dans la société. Ce n’est manifestement pas ce qui s’est passé et le terme « Rom » renvoie toujours à des idées simplistes et erronées sur une « communauté » imaginée et qui n’a finalement pour seule réalité que la précarité, l’exclusion sociale et le rejet raciste. L’actualité, en France, en montre un exemple particulièrement violent.

Qui sont « les Roms » ? Ce qui existe, c’est une langue, le romani, apparue en Europe, selon les linguistes, vers la fin du 14e siècle, début du 15e, et qui s’apparenterait au pendjabi, parlé dans le nord de l’Inde et du Pakistan. Cette population s’est divisée et installée dans différents pays, selon les chemins empruntés, les nécessités guerrières ou économiques, au fil des époques. À présent on parle communément de « Roms » pour évoquer les familles pauvres venues pour la plupart de Roumanie et de Bulgarie, depuis les années 90, à la suite de la chute des états communistes. Et nous créons des amalgames avec ceux qui ont été appelés « gitans », « manouches », « bohémiens » ou « gens du voyage » qui vivent en France, en Allemagne, en Espagne, en Italie, depuis des siècles et qui ont traversé d’autres violences de l’histoire locale, notamment les camps de concentration pendant la 2e guerre mondiale.

La variété de ces appellations reflète la diversité des populations concernées ainsi que les représentations sociales dont elles font l’objet dans nos sociétés. Les « Roms » ont donc différentes attaches socio-culturelles, parlent différentes langues, ils n’ont pas tous la même religion ni les mêmes traditions, certains migrent, d’autres pas, les études des mouvements migratoires historiques en Europe montrent qu’ils ne sont pas plus « nomades » que les autres citoyens (ce stéréotype se base sur la seule représentation des « gens du voyage » qui est une catégorisation administrative strictement française) et tous ne sont pas pauvres… Seulement, assignés au rôle du « paria » par les sociétés majoritaires, dès lors qu’ils sont insérés socio-économiquement, ils perdent leur appellation de « Roms » et disparaissent ainsi de la focale si influente des médias et des discours de certains de nos politiques.

Les Roms sont devenus « boucs-émissaires » de nos sociétés

Olivier Peyroux, sociologue, ayant travaillé avec l’association Hors la rue pour mener plusieurs études sur la « question Rom », identifie une discrimination d’abord sémantique. En effet les discours qui nous sont transmis parlent, notamment, de « démantèlements des campements roms » : par ces termes les Roms sont immédiatement assignés à la sphère criminelle et aux camps (de réfugiés, de travaux forcés… de la mort). De fait, on « évacue un squat de Maliens » pour reprendre un de ses exemples mais lorsqu’il s’agit des Roms, on « démantèle un camp », les raisons invoquées sont alors « sécuritaires » et « sanitaires ». Il faut savoir que « les Roms » dont on parle représentent, sur l’ensemble du territoire français, une population d’environ 15 000 personnes seulement, vivant en bidonvilles, arrivées depuis l’ouverture de la Communauté européenne à la Roumanie et à la Bulgarie, principalement, depuis les années 2000.

Les recherches sociologiques de cet auteur ont montré que seules quelques affaires de traite des enfants ont été investiguées, concernant une très petite minorité de personnes venues de l’est (3 % de ces migrants, dans les années 90, immédiatement après la chute du communisme) et ont mis en lumière le fait que cette représentation du Rom « criminel », « exploiteur d’enfants » est une construction qui ne s’appuie sur aucune preuve tangible2. L’acharnement médiatique et les politiques d’expulsion systématique des lieux de vie ont des conséquences graves : les Roms sont devenus « boucs-émissaires » de nos sociétés.

La France a été condamnée à plusieurs reprises, par le Comité européen des droits sociaux et par les Nations unies, pour discrimination des enfants roms à l’inscription scolaire. De cela, on entend peu parler

Ces personnes vivent dans des conditions de précarité tellement indécentes qu’elles n’ont pas beaucoup d’autres possibilités pour survivre que des formes d’« économies souterraines » (ferrailles, recyclage des déchets, mendicité, menus larcins…). Ce qui n’est pas « un choix » mais une stratégie pour ne pas mourir. Cette population n’a pas augmenté comme on nous le fait craindre et les Roumains non-Roms ont émigré dans les mêmes proportions que les Roumains Roms, pour des raisons économiques mais aussi et surtout pour l’accès, ici, au droit commun : la santé, l’école, l’hébergement. Droits qui continuent d’être systématiquement refusés aux Roms. La France a été condamnée à plusieurs reprises, par le Comité européen des droits sociaux et par les Nations unies, pour discrimination des enfants roms à l’inscription scolaire. De cela, on entend peu parler.

La cause des enfants a été brandie par « les honnêtes gens » pour s’en prendre aux Roms. Aujourd’hui il est urgent de se demander qui protège les enfants roms ? Ces jeunes vies qui ont été exposées aux conditions épouvantables des bidonvilles (la plupart des mairies n’offrent pas d’accès à l’eau, à l’électricité, au ramassage des ordures, pour ensuite justifier leurs politiques « sanitaires » d’évacuation), aux expulsions musclées (dans la nuit, par des CRS armés, immédiatement suivis par les bulldozers), aux maladies (non-accès aux soins, à l’Aide Médicale d’Etat), au manque d’instruction (80 % des enfants et des adolescents vivant en bidonvilles ou en squats ne vont pas à l’école), aux traumatismes transmis de générations en générations… Des enfants, des femmes, des hommes, des vieillards, victimes de violences collectives, d’un stigmate indélébile aux conséquences saisissantes.

Sur le bidonville de Bondy, Seine-Saint-Denis, où la mairie s’est pourtant mobilisée et a donné les moyens d’accompagner l’insertion sociale, en liaison avec plusieurs ONG, où les conditions ont été améliorées, les enfants scolarisés, les mères et les petits orientés vers les centres de Protection Maternelles et Infantile, beaucoup de familles se sont enfuies, suite aux agressions. Mais pour aller où ?

Images sinistres du bidonville-fantôme, des baraques désertées. Quelques-uns sont restés. Ils se retrouvent chaque nuit autour d’un feu, dans la peur. Ils n’osent plus s’aventurer dans les rues et n’ont plus rien à manger… Ils continuent d’espérer, que cela cesse. Images plus légères des enfants qui jouent et rient, étrennant au point d’eau les brosses à dent que nous leur avons apportées, des mamans qui ont fait des progrès impressionnants en français et qui embrassent leurs bébés pour leur faire oublier la faim. Des hommes veillent, sans relâche, prêts à en découdre s’il le faut, pour protéger leurs familles… Un vieux monsieur passe et nous salue, il dit : « Vous êtes venues mesdames ! Vous m’enchantez le cœur ! ». Ensuite on rentre chez soi, on mesure le confort que ça représente d’en avoir un. Il faut entendre les propos de l’entourage « quand même, tes Roms, ce ne sont pas des anges, ce sont des délinquants, des misérables, ils ne sont pas civilisés ! » et raconter, témoigner, expliquer, encore et encore, inlassablement, ce qu’on a vu, appris, compris, en allant vers eux.

Les Roms, ce sont des hommes. Comme tous les êtres humains, ils ont des besoins fondamentaux et aussi des droits. Rien ne pourra se dénouer si ces besoins et ces droits ne sont pas respectés. C’est très simple en effet et les leçons de l’histoire devraient nous l’avoir montré.

Paris le 5 avril 2019

  1. Les expressions en italique sont les mots utilisés par les personnes rencontrées, traduits du roumain
  2. Peyroux, O. « Typologie sur la traite des mineurs. Exploitation des mineurs d’Europe de l’Est : du mythe de la question rom à une typologie opérationnelle », recherche en sociologie menée à Hors la rue et dans les Balkans ; 2009 ; Journal du droit des jeunes, n°299 : 11-17 ; 2010.