Éditorial
Racisme et disparités de santé : l’impératif de l’équité en santé
Publié dans : L’autre 2021, Vol. 22, n°3
Judite BLANC
Judite Blanc Ph.D. University of Miami Miller School of Medicine, Department of Psychiatry and Behavior Medicine/Center for Translational Sleep and Circadian Science.
Azria, E., Sauvegrain, P., Blanc, J., Crenn-Hebert, C., Fresson, J., Gelly, M., Gillard, P., Gonnaud, F., Vigoureux, S., Ibanez, G., Ngo, C., Regnault, N., & Deneux-Tharaux, C. (2020). Racisme systémique et inégalités de santé, une urgence sanitaire et sociétale révélée par la pandémie COVID-19. Gynécologie Obstétrique Fertil Sénologie. 48(12), 847-849.
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Pour citer cet article :
Blanc J. Racisme et disparités de santé : l’impératif de l’équité en santé. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2021, volume 22, n°3, pp. 270-273
Lien vers cet article : https://revuelautre.com/editoriaux/racisme-et-disparites-de-sante-limperatif-de-lequite-en-sante/
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Le racisme, en terme de systèmes organisés au sein des sociétés qui provoquent des inégalités de pouvoir, de ressources, de capacités et d’opportunités entre les groupes raciaux ou ethniques, est en augmentation dans de nombreux contextes nationaux. Il prend la forme de croyances, de stéréotypes, de préjugés, de discriminations, de menaces et d’insultes ouvertes. Il peut se manifester à plusieurs niveaux : intériorisé, interpersonnel, institutionnel ou systémique. Le racisme génère exclusion, conflits et désavantages à l’échelle mondiale (Paradies et al, 2015). Ces dernières décennies, il a été mis en lien avec les disparités raciales et ethniques constatées en santé dans les anciennes puissances coloniales (Blanc et al, 2019).
Race, classe, sexe et santé globale aux États-Unis d’Amérique
Alors que 88 % de Caucasiens Américains ont accès à une couverture maladie, contre 82 % d’Asiatiques ; chez les Afro-Américains et les Amérindiens, ce taux varie entre 79 % et 68 %. Certains chercheurs soupçonnent les soins médicaux inadéquats ou dégradants (prenant souvent la forme de préjugés, d’incertitude clinique, de croyances et les stéréotypes des soins), ainsi que les problèmes de communication entre le patient et le prestataire de soins d’être autant de facteurs qui contribuent aux disparités connues en matière de santé (Williams et al, 2015). Chez les Afro-Américains, le racisme contribuerait à l’augmentation du nombre de diagnostic de maladie mentale (comme la schizophrénie), à une probabilité accrue de recevoir des médicaments et à une probabilité réduite d’être orientés vers des services de consultation externe par rapport aux Caucasiens (Ibid.).
Disparités raciales/ethniques dans la santé maternelle et infantile
Aux États-Unis, les disparités raciales et ethniques se déclarent dès la période prénatale et néonatale. Pour 100000 naissances vivantes, le taux de mortalité maternelle chez les Afro-Américaines était de 41 contre 30 chez les Amérindiennes et 12 chez les Caucasiennes. Les Afro-Américaines présentaient le pourcentage le plus élevé de naissances prématurées simples soit 11,1 %, tandis que les Asiatiques ou des îles du Pacifique présentaient le pourcentage le plus faible soit 6,8 % (National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine, 2017). En 2013, les enfants nés d’Afro-Américaines ont connu les taux de mortalité infantile les plus élevés (11,11 décès infantiles pour 1000 naissances). En 2015, pour les nourrissons Afro-Américains et Hispaniques, une augmentation du taux de nourrissons en insuffisance pondérale à la naissance a été observée (ibid.). Tandis que le suicide explose chez les enfants Afro-Américains ! Leur taux de tentatives de suicide a augmenté de 73 % depuis 1991 (Linsey et al, 2019).
La santé des adultes et les disparités raciales/ethniques
L’obésité, un facteur de risque reconnu pour les maladies cardiovasculaires et certains cancers, affecte disproportionnellement les minorités raciales et ethniques. En 2010, les Afro-Américains avaient 30 % de risques de plus que les Caucasiens de mourir prématurément d’une maladie cardiaque, et les hommes Afro-Américains ont deux fois plus de risques que les Caucasiens de mourir prématurément d’une attaque cérébrale. On dénombre près de 44 % d’hommes et 48 % des femmes Afro-Américains souffrant de maladies cardiovasculaires. Les Afro-Américaines et Amérindiennes/autochtones d’Alaska ont un taux de mortalité lié aux accidents vasculaires cérébraux plus élevé en comparaison avec les Hispaniques et Caucasiennes (National Academy of Sciences, Engineering, and Medicine et al, 2017). Parmi les principales causes de décès, le décès par homicide est plus élevé chez les hommes Afro-Américains (4,5 %) contre 2 % chez les hommes Amérindiens, autochtones de l’Alaska et Hispaniques. Le taux de décès par suicide était le plus élevé (4,3 %) chez les hommes Amérindiens qui sont également plus susceptibles que les autres groupes de mourir de blessures involontaires (12,6 % de tous les décès). Chez les hommes caucasiens, ce taux est de 2,6 %. Comparé aux autres races et éthnies, le taux de mortalité pour de nombreux types de cancer (par exemple le cancer du sein, du colon, du poumon, de l’estomac et de la prostate) est plus élevé chez les Noirs-Américains. Des disparités ont aussi été notées d’un point de vue racial et ethnique, chez les adultes âgés de 65 ans et plus atteints des maladies d’Alzheimer. Ce sont 14 % d’Afro-Américains contre 12 % et 10 % d’Hispanophones et de Caucasiens. Entre 2007 et 2017, un fait surprenant à souligner, c’est le fait que l’espérance de vie la plus longue a été notée chez les Hispanophones, suivis par les Caucasiens, puis les Afro-Américains (ibid.).
Disparités raciales/ethniques dans des états coloniaux francophones
Au Canada et en France, le peu de littérature scientifique sur les inégalités de santé démontre que ces deux pays fondés sur la race n’échappent pas au phénomène. Au Canada, État voisin des États-Unis, caracolant dans les meilleurs classements mondiaux sur la démocratie, la paix et le bien-être subjectif, ce sont 24 % des Afro-Canadiens âgés de plus de 15 ans contre seulement 4 % du reste de la population qui rapportent avoir été victime d’une forme de discrimination en raison de leur origine ethnique, de leur culture, de leur race ou de la couleur de leur peau au cours des cinq années précédentes, selon les données tirées du 28e cycle de l’Enquête sociale générale de 2014 sur la victimisation. Le 1er octobre 2020, en pleine pandémie du COVID-19, la vidéo d’une infirmière maltraitant une jeune autochtone mourante, Joyce Echaquan, a attiré l’attention sur le racisme systémique comme déterminant social de la santé. À Toronto, les Afro-Canadiens et les personnes de couleur représentaient 83 % des cas signalés de COVID-19, alors qu’ils ne représentent que la moitié de la population de Toronto. Ces communautés Afro-Canadiennes et Autochtones ayant moins accès aux ressources économiques courent plus de riques de se faire tuer par la police (Sighn, 2020). Dans un autre registre, le lien entre la discrimination raciale et les symptômes du trouble de stress post-traumatique et de l’addiction aux jeux du hasard a été établi chez les autochtones (Curie et al, 2013).
En France, malgré les défis universalistes auxquels se heurte la recherche épidémiologique sociale, une relation entre l’origine ethnique et/ou pays de naissance a été démontrée avec les disparités dans le dépistage du cancer du col, la prévalence de la césarienne, la mortalité maternelle, et la mortalité liée au COVID-19. Les travaux d’Azria et al. (2020) et ceux de Sauvegrain et al. (2013) ont montré que les personnes issues de l’Afrique subsaharienne ainsi que leurs descendances sont les plus touchées par les inégalités de santé en Hexagone.
L’impératif de programmes holistiques, culturellement adaptés et fondés sur des données probantes
Bien avant la crise sanitaire mondiale provoquée par le COVID-19, le rapport étroit entre contexte historique et structures sociales avec le niveau de santé globale avait été mis en évidence. Dans la lignée des objectifs de développement durable des Nations-Unies, on prend peu à peu conscience du fait que les personnes frappées par ces inégalités de santé proviennent majoritairement des populations victimes de la traite négrière et de la colonisation européenne d’Afrique et des Amériques. Il devient urgent de renforcer la résilience des communautés affectées par les effets dévastateurs de l’augmentation du racisme, à travers des efforts multisectoriels et holistiques. Ainsi, fidèlement à l’analogie du cercle sacré inspirée de la philosophie indigène, qui a le pouvoir de générer unité et guérison, nous proposons que la pratique de l’équité en santé passe par un effort constant pour fournir des ressources adéquates en matière de santé à tou·te·s. L’évolution vers cette équité en santé implique de prêter une attention particulière au poids des facteurs contextuels tels que les événements historiques (notamment l’esclavage et la colonisation), la culture et l’éducation, la collaboration historique, mais aussi de bonnes pratiques politiques et de gouvernance, de nécessaires efforts de financement, un travail de fond auprès des institutions, ainsi que la mise en capacité et la préparation aussi bien de la communauté que des universités. Autant de facteurs qui, cumulés, peuvent agir de manière complémentaire et permettre d’accéder à cet impératif d’équité.