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© Dawn Endico Tafoni Source (CC BY 2.0)

Trouble délirant ou communication avec le monde invisible : psychopathologie du syncrétisme au Togo

et


Lodegaèna Bassantéa KPASSAGOU

Lodegaèna Bassantéa Kpassagou est psychologue clinicien et de la santé. Enseignant-chercheur au département de Psychologie Appliquée de l’Université de Lomé, équipe de recherche universitaire en Psychologie Orientation et Développement Humain, Université de Lomé, Togo.

Ogma HATTA

Ogma Hatta, PhD, est psychologue clinicien et de la santé. Attaché temporaire d'enseignement et de recherche. Laboratoire de Psychologie, Besançon, Université de Franche-Comté, France.

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Pour citer cet article :

Kpassagou L. B, Hatta O. Trouble délirant ou communication avec le monde invisible : psychopathologie du syncrétisme au Togo. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2022, volume 23, n°3, pp. 306-315


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-originaux/trouble-delirant-ou-communication-avec-le-monde-invisible-psychopathologie-du-syncretisme-au-togo/

Trouble délirant ou communication avec le monde invisible : psychopathologie du syncrétisme au Togo 

À partir d’un cas clinique tiré de la pratique, cette étude montre comment intégrer les syncrétismes culturel et religieux comme des ressources pouvant faciliter la psychothérapie. Les informations ont été recueillies chez une patiente de 40 ans (et sa famille) de culture nawda au moyen des entretiens cliniques et des observations, pendant et après son séjour dans un centre hospitalier du Togo. Ce cas soulève une difficulté de taille dans le diagnostic et la prise en charge de certains troubles mentaux dans le contexte socio-culturel local. En effet, si le risque de psychiatrisation précoce de certaines manifestations d’allures psychotiques est très réelle en Afrique, la prise en compte des réalités culturelles est un gage pour le diagnostic et la prise en charge.

Mots clés : acculturation, croyance, délire, ethnopsychanalyse, psychopathologie, religion, société traditionnelle, syncrétisme, Togo.

Delusional disorder or communication with the invisible world: psychopathology of syncretism in Togo

Using a case from clinical practice, this study shows how to integrate cultural and religious syncretism as a resource that can facilitate psychotherapy. The information was collected for a 40-year-old woman (and her family) of Nawda culture by way of clinical interviews and observations, during and after her stay in a hospital in Togo. The psychopathological interpretation of this case pinpoints a major difficulty in diagnosing and managing certain mental disorders in the local socio-cultural context. Indeed, while the risk of early psychiatrization of certain manifestations of psychotic appearance is very real in Africa, the inclusion of cultural realities in the definition of psychological normality is an important criterion to avoid missing genuine psychological suffering.

Keywords: acculturation, belief, delusion, ethnopsychoanalysis, psychopathology, religion, syncretism, Togo, traditional society.

Trastorno delirante o comunicación con el mundo invisible: Psicopatología del sincretismo en Togo 

A partir de un caso clínico extraído de la práctica, este estudio muestra cómo integrar los sincretismos culturales y religiosos como recursos que pueden facilitar la psicoterapia. La información fue recolectada de una paciente de 40 años (y su familia) de cultura Nawda a través de entrevistas clínicas y observaciones, durante y después de su estadía en un Centro Hospitalario en Togo. Este caso plantea una dificultad importante en el diagnóstico y manejo de ciertos trastornos mentales en el contexto sociocultural local. De hecho, si el riesgo de psiquiatrización temprana de ciertas manifestaciones de tipo psicótico es muy real en África, tener en cuenta las realidades culturales es una necesidad para el proceso de diagnóstico y de tratamiento.

Palabras claves: aculturación, creencia, delirio, etnopsicoanálisis, psicopatología, religión, sincretismo, sociedad tradicional, Togo.

Au contact des colonisations arabes et européennes, s’est développée dans certains pays d’Afrique une forme de syncrétisme présente dans la structuration de la personnalité et des troubles observés en clinique. Plusieurs travaux, de disciplines diverses, ont abordé cet aspect particulièrement interpellant en psychopathologie (Agossou, 1972 ; de Surgy, 1975 ; Djassoa & Dassa, 2004 ; Latoki, 2010 ; Mboussou et al., 2009 ; Pélapouet, 2003). Selon Djassoa et Dassa (2004), cette personnalité est dite syncrétique parce que mettant en conflit deux structures psychiques parallèles non intégrées, construites, l’une avec les matériaux culturels de la culture d’origine et l’autre utilisant des éléments culturels importés. Au premier plan, se trouvent les syncrétismes culturel et religieux où cohabitent Jésus-Christ et l’Ancêtre ou Mahomet et l’Ancêtre selon que l’on soit chrétien ou musulman (Latoki, 2010 ; Tsangu, 1994). Dans le contexte togolais, les valeurs culturelles ont été intensément ébranlées, les rites et les croyances togolais traités de fétichistes, d’animistes et de démoniaques par les régimes coloniaux, les politiques impériales, la néo-colonisation et le phénomène de la mondialisation. L’esclavage et la colonisation ont été les premiers contacts entre les cultures occidentales et africaines. Des changements rapides des systèmes de valeurs ont bouleversé les patrimoines culturel et identitaire (de Surgy, 1975 ; Mboussou et al., 2009), participant à de nombreuses souffrances psychologiques observées aujourd’hui en clinique.

Cette acculturation a progressivement « métissé » les pratiques de soins de santé où coexistent trois espaces de soins : la médecine traditionnelle (guérisseurs ou tradipraticiens), la médecine spirituelle (églises, centres ou camps de prière) et la médecine moderne (hôpitaux publics et privés, centres spécialisés). Dans le domaine de la santé mentale au Togo, on peut remarquer que les lieux de soins privilégiés sont les églises, les centres ou camps de prière et les espaces de tradithérapies. Ceci s’explique par la survivance des croyances en des forces invisibles, occultes qui peuvent être à l’origine des troubles de santé mentale. Les représentations de la santé et de la maladie s’envisageant toujours sous l’action silencieuse et ambivalente de la spiritualité. De ce fait, les demandes de soins à l’hôpital se limitent aux traitements des symptômes, la plupart des patients préférant continuer la thérapie dans les systèmes de soins traditionnels ou religieux censés s’attaquer aux racines du mal. Cet état de choses traduit un syncrétisme ou une cohabitation des pratiques thérapeutiques, ayant parfois des conséquences négatives sur la santé mentale (Boukilinam, 2021).

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