Article original

© Samantha Grégoire Confrontation #1, 23 février 2013 Source (CC BY 2.0)

Les rapports sociaux dans le transfert culturel

Essai de problématisation

et


Daniel DELANOË

Daniel Delanoë est psychiatre, psychothérapeute, anthropologue, responsable de l’Unité Mobile Trans-Culturelle, EPS Barthélemy Durand, 91152 Étampes, Chercheur associé INSERM Unité 1018, Fellow Institut Convergences Migrations (2021-2025) Maison de Solenn, Maison des Adolescents, Cochin, Paris.

Marie Rose MORO

Marie Rose Moro est pédopsychiatre, professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, cheffe de service de la Maison de Solenn – Maison des Adolescents, CESP, Inserm U1178, Université de Paris, APHP, Hôpital Cochin, directrice scientifique de la revue L’autre.

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Pour citer cet article :

Delanoë D, Moro MR. Les rapports sociaux dans le transfert culturel. Essai de problématisation. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2016, volume 17, n°2, pp. 203-211

DOI : 10.3917/lautr.050.0203

Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-originaux/les-rapports-sociaux-dans-le-transfert-culturel/

Les rapports sociaux dans le transfert culturel. Essai de problématisation

Contrairement au contre-transfert culturel, le transfert culturel a été peu étudié. Défini comme les réactions du collectif qui est dans le patient au collectif qui est dans le thérapeute, il demeure un continent noir de la psychanalyse et de l’ethnopsychanalyse. Nous proposons de considérer le transfert culturel comme une relation sociale, mise en jeu dans la consultation transculturelle, et traversée de rapports sociaux, lesquels sont généralement hiérarchiques. Nous proposons une problématisation du transfert culturel autour de cinq logiques structurant les relations entre les groupes d’appartenance des patients et des thérapeutes: la relation de pouvoir entre thérapeute et patient, la relation humanitaire prise entre solidarité et inégalité, les relations postcoloniales entre anciens colonisés et anciens colonisateurs, les rapports sociaux racialisés, la domination culturelle mondialisée. Ces dimensions invitent à parler de transfert socio-culturel plus que d’un transfert culturel.

Mots clés : colonisation, culture, ethnopsychanalyse, migrant, racisme, relation dominant dominé, relation soignant soigné, relation thérapeutique, stigmatisation, transfert.

Social relations in cultural transference. Problematization trial

Unlike cultural countertransference, cultural transference has been little studied. Defined as a reaction of the collective embodied by the patient versus the collective embodied by the therapist, it remains a dark continent of psychoanalysis and ethnopsychoanalysis. We propose to consider cultural transference as a social relationship staked in the transcultural consultation and crossed by social bonds which are generally hierarchical.

We suggest a problematization of the cultural transference articulated around five logical patterns that structure the relationships between historically and socially constructed groups of patients and therapist groups: the power relationship between the therapist and the patient, the humanitarian relationship polarized between solidarity and inequality, postcolonial relations between former colonies and former colonizers, racialized social relations and global cultural domination. These dimensions invite us to speak in terms of socio-cultural transference rather than cultural transference.

Keywords: colonization, culture, dominant dominated relationship, ethnopsychoanalysis, healer-healee relationship, migrant, racism, stigmatization, therapeutical relationship, transference.

Os vínculos sociales en la transferencia cultural. Ensayo de problematización

A diferencia de la contra-transferencia transcultural, la transferencia cultural ha sido poco estudiada. Definida como las reacciones del colectivo que existe en el paciente al colectivo que existe en el terapeuta, esta transferencia sigue siendo una zona obscura del psicoanálisis y del etnopsicoanálisis. Proponemos considerar la transferencia cultural como una relación social, puesta en práctica en la consulta transcultural y atravesada por formas de vínculo social generalmente jerárquicos. Proponemos igualmente una problematización de la transferencia cultural alrededor de cinco lógicas que estructuran las relaciones entre los grupos de afiliación de los pacientes y de los terapeutas: la relación de poder entre terapeuta y paciente, la relación humanitaria contenida entre la solidaridad y la inequidad, las relaciones postcoloniales entre antiguos colonizados y antiguos colonizadores, los vínculos sociales étnicamente determinados, la dominación cultural globalizada. Estas dimensiones invitan a hablar de transferencia socio-cultural más que de una transferencia cultural.

Palabras claves: Transferencia, cultura, etnopsicoanálisis, relación dominante-dominado, colonización, migrante, racismo, estigmatización, relación terapéutica, relación profesional de salud-paciente.

Palabras claves: colonización, cultura, estigmatización, etnopsicoanálisis, migrante, racismo, relación dominante-dominado, relación profesional de salud-paciente, relación terapéutica, transferencia.

Le transfert culturel demeure encore peu étudié, contrairement au contre-transfert culturel (Devereux 1967). On peut le considérer comme un continent noir de la psychanalyse et de l’ethnopsychanalyse qui associe de manière complémentariste anthropologie et psychanalyse (Devereux 1970). Fugace dans son expression, on peut parfois le saisir au vol dans les marges de nos dispositifs quand, par exemple, dans une institution, un adolescent dont les parents sont venus du Maghreb énonce une insulte raciste envers son thérapeute antillais, en écho lointain à Frantz Fanon qui, 60 ans plus tôt, fut « étonné de constater que les Nord-Africains détestaient les hommes de couleur (1952 : 88) ». Ou bien encore dans quelques rares occurrences en consultation : « Vous êtes Noire à l’intérieur1 » dit un patient Noir à sa thérapeute Blanche, Marie Rose Moro. Il s’agit bien, même dans un registre racialisé, de transfert culturel, que l’on peut définir comme les réactions du collectif qui est en l’autre au collectif qui est en nous, le contre-transfert culturel étant symétriquement les réactions du collectif qui est en nous au collectif qui est en l’autre. Toutefois, le transfert culturel ne reste guère identifié ou traité comme tel.

La littérature sur le transfert culturel est en effet assez pauvre. On le trouve mentionné dans les textes traitant du contre-transfert culturel, sous forme d’un rappel de ses dimensions historiques, géographiques et sociales, et de l’importance des rapports de force et de la prégnance des préjugés, mais sans descriptions empiriques (Moro 2004, 2007). Dans sa revue de la littérature, Jeanne-Flore Rouchon (2007 : 85) note un déni du thérapeute à vis-à-vis du transfert culturel, sous la forme « d’un sentiment que le processus thérapeutique est (ou devrait être) au-dessus de l’influence culturelle et politique de la société. Cela engendre que le thérapeute ne peut reconnaître l’influence du transfert culturel de son patient (…) ni les enjeux politiques historiques et de pouvoir dans le processus thérapeutique. ». Les analyses de quelques réactions transférentielles de nature culturelle recensées par Rouchon restent cependant dans un registre psychologique individuel.

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  1. Pour marquer le caractère construit des catégories racialisées « noir » et « blanc » pour désigner des groupes humaines à partir d’éléments de la couleur de peau, nous utilisons dans le texte des majuscules pour ces adjectifs utilisés dans ce sens par les auteurs, par les patients ou par nous-mêmes.