Article original

© Julien Harneis Searching for a way out 8 décembre 2008. Source (CC BY 2.0)

Les femmes violées en République Démocratique du Congo

La résilience dans la résignation

et


Benjamin BIHABWA MAHANO

Benjamin Bihabwa Mahano est D.E.S. de Psychiatrie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar/Sénégal. Ancien Médecin Coordonnateur Provincial au Sud-Kivu du Programme National de Santé Mentale (PNSM) en RDC. Ancien Médecin traitant au Centre Psychiatrique Sosame de Bukavu/ RDC.

Nathalie MBENDA KANGAMI

Nathalie Mbenda Kangami est D.E.S. de Psychiatrie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar / Sénégal. Ancien Médecin traitant à l’Hôpital Privé Mkhiwa Medical Centre à Manzini, Swaziland.

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Pour citer cet article :

Bihabwa Mahano B,  Mbenda Kangami N. Les femmes violées en République Démocratique du Congo : la résilience dans la résignation. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2018, volume 19, n°2, pp. 208-217


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-originaux/les-femmes-violees-en-republique-democratique-du-congo/

Les femmes violées en République Démocratique du Congo: la résilience dans la résignation

La République démocratique du Congo est, en ces jours, surnommée «capitale du viol». Pourtant, le viol commis par milliers et par les gens en armes non autrement identifiés est devenu une énigme difficile à décrypter. À l’Est du pays, la société invite les femmes violées à taire leur mémoire traumatique et si cela est impossible, à disparaitre, elles et tous ce qui a trait au viol. Autant pour les religions révélées que pour la culture traditionnelle, le regard jeté sur les femmes violées est celui qui juge, qui culpabilise, qui repousse, qui ne supporte rien. Dans ces conditions, la résilience peut se faire par une résignation, fruit de désinvestissement des valeurs culturelles intériorisées. Si la culture reste production de l’homme, à l’Est de la RDC, la culture est appelée à évoluer pour apprendre à nommer ce fléau et du coup, changer son regard face au viol et aux femmes violées.

Mots clés : accompagnement, culture, Femme, guerre, représentation sociale, République Démocratique du Congo, résilience, société traditionnelle, Sud-Kivu, traumatisme psychique, viol.

Raped women of the Democratic Republic of Congo: resilience in resignation

The Democratic Republic of Congo is nowadays labelled as the “capital of rape”. Yet, thousands of rape committed by armed people have become an enigma difficult to interpret. In the East of the country, the community proposes raped women to close their traumatic memory and if this is impossible, to make disappear all the evidence linked to their rape. So much for the religious denominations as for traditional culture, the look shed on raped women is the one which judges, condemns, repels, and does not tolerate anything. Under these conditions, resilience can be done through resignation which is the result of divesting internalized cultural values. As long as culture remains the product of man, in the East of DRC, culture is called to evolve in order to learn how to name this scourge and at the same time change its perception of rape and raped women.

Keywords: culture, Democratic Republic of Congo, guidance, psychological trauma, rape, resilience, social representation, South Kivu, traditional society, war, woman.

Mujeres violadas en la República Democrática del Congo: resiliencia en la resignación

La República Democrática del Congo es, actualmente, catalogada como la “capital de las violaciones”. Sin embargo, las violaciones sistemáticas cometidas por actores armados difícilmente identificables, se han convertido en un enigma difícil de descifrar. En el este del país, la sociedad invita a las mujeres violadas a silenciar su memoria traumática y, si eso es imposible, a desaparecer, ellas y todo lo relacionado con la violación. Tanto para las religiones reveladas como para la cultura tradicional, el escrutinio sobre las mujeres violadas las juzga, las culpabiliza, las repele, y no las apoya en ninguna medida. En estas condiciones, la resiliencia se puede lograr a través de la resignación, el fruto de la desinversión de los valores culturales internalizados. Si la cultura sigue siendo la producción del hombre, en el este de la República Democrática del Congo, la cultura está llamada a evolucionar para aprender a nombrar este flagelo y, de repente, a cambiar la valoración que hace de las violaciones y de las mujeres violadas.

Palabras claves: acompañamiento, cultura, guerra, Kivu del Sur, mujer, representación social, República Democrática del Congo, resiliencia, sociedad tradicional, traumatismo psíquico, violación.

Le concept de « résilience » a été longtemps utilisé en mécanique physique, désignant la capacité pour un métal de reprendre forme, après avoir subi des coups. En 1969, l’anglais John Bowlby utilisa ce concept pour désigner « Les personnes qui ne se laissent pas abattre » : 7. C’est l’américaine Emmy Werner (1989) qui l’a surtout expérimentalement décrit. Au cours d’expériences avec les enfants de la rue à Hawaï, elle a découvert qu’une fraction de ces « délinquants » arrivaient à se frayer du chemin parmi d’autres et finissaient par mener une vie adulte acceptable comparativement à ceux dont la biographie n’était entaché d’aucune particularité malheureuse.

En ces jours, celui qui contribue le plus à la popularisation de ce concept est l’éthologue, neuropsychiatre, Boris Cyrulnik, dans son ouvrage, intitulée Les petits vilains canards. Il définit la résilience comme étant « l’art de naviguer dans les torrents » (Cyrulnik 2001 :259). Dans le même ouvrage, il précise : « Le résilient doit faire appel aux ressources internes imprégnées dans sa mémoire ; il doit se bagarrer pour ne pas se laisser entraîner par la pente naturelle des traumatismes qui le font bourlinguer de coup en coup, jusqu’au moment où une main tendue lui offrira une ressource externe, une relation affective, une institution spéciale lui permettra de s’en sortir… » (Ibid.). Si le résilient tient le coup grâce à ses ressources internes en attendant que des ressources externes lui offrent un support afin de ré-émerger, que dire des femmes violées que la société condamne à un silence de marbre, silence verbal et émotionnel pour occulter et leurs traumas et leurs traumatismes tout à la fois ? Comment créer une résilience dans une société, ne supportant pas de viol, et ipso facto, rejetant en bloc et le viol et la victime de viol ?

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