Article original
Héritage traumatique chez les enfants nés du viol pendant le génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda en 1994
Publié dans : L’autre 2018, Vol. 19, n°2
Assumpta MUHAYISA
Assumpta Muhayisa, PhD, Département de Psychologie Clinique, Université du Rwanda.
Jean MUTABARUKA
Jean Mutabaruka, PhD, Département de Psychologie Clinique, Université du Rwanda.
Ignatiana MUKARUSANGA
Ignatiana Mukarusanga, PhD, Département de Psychologie Clinique, Université du Rwanda.
Isabelle DURET
Isabelle Duret est responsable du Service de Psychologie du Développement et de la Famille et chargée de cours à l’Université libre de Bruxelles (ULB). Elle est psychothérapeute de couple et de famille et formatrice en thérapie systémique à Forestière Asbl et à l’ULB. Ses recherches portent sur la parentalité, la filiation et la transmission intergénérationnelle dans les contextes post-traumatiques. Service de psychologie du développement et de la famille, Faculté des sciences psychologiques et de l’éducation, Université libre de Bruxelles (ULB), CP 122, 50 Av. F.D. Roosevelt, B-1050 Bruxelles.
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Pour citer cet article :
Muhayisa A, Mutabaruka J, Mukarusanga I, Duret I. Héritage traumatique chez les enfants nés du viol pendant le génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda en 1994. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2018, volume 19, n°2, pp. 197-20
Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-originaux/heritage-traumatique-chez-les-enfants-nes-du-viol-pendant-le-genocide-perpetre-contre-les-tutsis-au-rwanda-en-1994/
Héritage traumatique chez les enfants nés du viol pendant le génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda en 1994
Parmi les jeunes nés du viol commis par la milice «Interahamwe» contre les filles et femmes Tutsies, le traumatisme hérité de leurs mères et de la situation de leur famille a été étudiée. 19 jeunes, (tous agés de 17 ans au moment de la passation de cette étude en 2012), et leurs mères dont l’âge variait de 33 ans à 45, ont participé à cette recherche. L’utilisation des outils de l’approche systémique: le génogramme libre et imaginaire, le dessin de famille et l’exploration de la devise familiale ainsi que la démarche de la recherche-action qui a duré 4 ans, ont facilité l’expression des ressentis chez les participants. Les résultats ont permis de confirmer que: – il y a une relation entre l’atrocité du viol commis pendant le génocide des Tutsis et la transmission du traumatisme chez les enfants issus de ce viol; – les sentiments de tristesse, de chagrins et de honte sont en lien avec la constitution de leurs familles; – le désespoir, la perte des repères identitaires chez ces enfants sont en lien avec le vécu de souffrances de leurs mères. Si l’étude a mis en exergue les fragilities, les ressources psychiques et relationnelles dont disposent ces enfants et leurs familles, elle jette aussi les bases qui permettraient de dégager les moyens et les conditions d’un dispositif systémique susceptible d’aider les enfants nés du viol et leurs mères à se reconstruire.
Mots clés : enfant, filiation, génocide, honte, relation mère enfant, Rwanda, transmission psychique, traumatisme psychique, Tutsi, viol.
Traumatic inheritance among the children born as a result of rape during the 1994 genocide perpetrated against Tutsis in Rwanda
Among the young people born as a result of rape perpetrated by the «Interahamwe» militia against Tutsi girls and women, the traumatism inherited from their mothers and their family context was studied. 19 young people, (all 17 years old at the time of study in 2012), and their mothers whose ages varied from 33 to 45 years old, participated in this research. Systemic approach tools were used including : free and imaginary genograms, the family drawing and ideal exploration, as well as the 4-year action-research outcomes. These tools facilitated to the participants’ feelings and thoughts expression.
The results revealed that : – there is a relation between the atrocity of the rape occurring during the genocide against Tutsis and the transmission of the traumatism to the children born of this rape ; – feelings of sadness, sorrow and shame are connected with the constitution of their families ; – despair, the loss of the identity references in these children are connected to the suffering of their mothers.
This study not only highlights vulnerabilities, the psychic and relational resources among children born as result of rape and their families available to them, it also provides the basis enabling getting the means and the conditions of a systemic framework susceptible to help these children and their mothers’ psychological recovery.
Keywords: child, filiation, genocide, mother-child relationship, psychological transmission, psychological trauma, rape, Rwanda, shame, Tutsi.
Herencia traumática en niños nacidos de violación durante el genocidio contra tutsis en Ruanda en 1994
Entre los jóvenes nacidos de la violación cometida por la milicia “Interahamwe” contra las niñas y mujeres tutsis, se estudió el trauma heredado de sus madres y la situación de sus familias. 19 jóvenes (todos de 17 años en el momento de este estudio en 2012) y sus madres, con edades comprendidas entre 33 y 45, participaron en esta investigación. El uso de las herramientas del enfoque sistémico: el genograma libre e imaginario, el dibujo familiar y la exploración del lema familiar, así como el enfoque de la investigación-acción que duró 4 años, facilitaron la expresión de las vivencias de los participantes. Los resultados confirmaron que: – existe una relación entre la atrocidad de la violación cometida durante el genocidio de los tutsis y la transmisión de traumas entre los niños nacidos de esta violación; – los sentimientos de tristeza, pesadumbre y vergüenza están relacionados con la constitución de sus familias; – la desesperanza, la pérdida de referencias de identidad en estos niños están relacionados con la experiencia de sufrimiento de sus madres.
Aunque el estudio se basó sobre las fragilidades, los recursos psíquicos y relacionales disponibles para estos niños y sus familias, también sienta las bases que permitirían identificar los mecanismos y las condiciones de un dispositivo sistémico que podría ayudar a los niños nacidos de una violación y a sus madres a reconstruirse.
Palabras claves: filiación, genocidio, niño, relación madre hijo, Ruanda, transmisión psíquica, traumatismo psíquico, tutsi, vergüenza, violación.
D’avril à juillet 1994, le Rwanda a traversé une période tragique marquée par le génocide. En plus des tueries, des destructions et des incendies des maisons, les génocidaires ont violé cruellement et souvent publiquement de nombreuses femmes et filles, aux barrières1, dans les églises, dans les champs ou dans la brousse où elles avaient trouvé refuge. De ces viols, sont nés des enfants dans un contexte générant une souffrance et des difficultés interpersonnelles auxquelles certaines mères sont toujours confrontées.
Fierens (2003), en citant le rapport de l’ONU sur la situation des droits de l’homme au Rwanda, estime que sur cent cas de viols, un donnait lieu à une naissance. African Rights (1995), suggère qu’il y aurait eu en réalité entre 2000 et 5000 grossesses. Supportant mal l’idée de pareille conception, certaines de ces femmes et jeunes filles violées se sont fait avorter. D’autres ont laissé la grossesse évoluer jusqu’à terme et ont gardé leurs enfants. Ces dernières disent toutes avoir été l’objet de stigmatisation et d’ostracisme.
Leur témoignage rejoint l’observation de l’African Rights (1995), selon laquelle partout dans le monde, les victimes du viol sont stigmatisées. Le sentiment de honte combiné avec le fardeau du chagrin et de la souffrance conduisent certaines femmes et jeunes filles au désespoir. Benghozi (1996), Neuburger (2003) précisent qu’il est difficile pour la victime d’expliquer à son enfant né d’un viol l’histoire de sa filiation.
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- Pendant le génocide, les miliciens avaient érigé des barrières sur toutes les routes et chemins du Rwanda, afin que chaque personne qui y passe soit contrôlée. Sur base des cartes d’identité ou d’un simple trait physique, les gardiens de ces barrières désignaient les Tutsi qui étaient régulièrement tués sur place.