Article original

© Howard Duncan, Silhouette, 11 janvier 2022. Source (CC BY 2.0)

Du transculturel intraculturel

À l’écoute des pratiques alternatives d'ici et d'ailleurs

et


Laetitia CUISINIER CALVINO

Laetitia Cuisinier Calvino est psychologue clinicienne CHU de Nantes - PASS PSY/CRCT.

Thomas RABEYRON

Thomas Rabeyron est Professeur de psychologie clinique et psychopathologie, Psychologue clinicien, Université de Lorraine, Interpsy (Psyclip), Institut Universitaire de France (IUF).

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Pour citer cet article :

Cuisinier Calvino L, Rabeyron T. Du transculturel intraculturel. À l’écoute des pratiques alternatives d’ici et d’ailleurs. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2022, volume 23, n°1, pp. 73-82


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-originaux/du-transculturel-intraculturel/

Du transculturel intraculturel. À l’écoute des pratiques alternatives d’ici et d’ailleurs

Nous proposons dans ce travail d’interroger les spécificités du positionnement clinique lorsque les patients font le récit d’expériences et de pratiques relevant du champ du paranormal et des pratiques alternatives. La comparaison de deux situations cliniques met en exergue des différences dans la posture du clinicien à l’égard de ces récits selon que l’on soit dans une configuration intraculturelle ou transculturelle. Face à des récits qui questionnent la représentation du monde du patient et du clinicien, comme l’évocation d’une consultation médiumnique ou la pratique du chamanisme, il s’agit d’adapter l’approche complémentariste et l’exercice de décentrage malgré le partage d’un espace culturel commun avec le patient. Cela nécessite également de repérer les spécificités de l’accompagnement clinique de ce «transculturel intraculturel» sur le plan de la dynamique transférentielle.

Mots clés : contre-transfert, culture d’origine, ethnopsychiatrie, migrant, parapsychologie, pratique professionnelle, sorcellerie, transculturel.

From the transcultural to the intracultural: taking account of alternative practices here and elsewhere

In this work, we raise the issue of the specificities of the clinical stance to adopt when patients give accounts of experiences and practices in the field of the paranormal and alternative practices. A comparison of two clinical situations highlights differences in clinicians’ attitudes towards these narratives depending on whether the protagonists are in an intracultural or transcultural configuration. Faced with narratives that question the representation of the world on the part of the patient or the clinician, for instance when medium consultations or practices of shamanism are mentioned, it is necessary to adopt a complementarist approach and a process of de-centering, even in the presence of a common cultural space with the patient. This also requires the characterization of the specificities of the clinical accompaniment in this “intracultural-transcultural” setting in terms of the transference dynamic.

Keywords: counter-transference, culture of origin, ethno-psychiatry, migrant, parapsychology, professional practice, transcultural, witchcraft.

De lo transcultural intracultural: considerando prácticas alternativas de aquí y de allá

Proponemos en este trabajo cuestionar las especificidades del posicionamiento clínico cuando los pacientes relatan experiencias y prácticas dentro del campo de lo paranormal y de prácticas alternativas. La comparación de dos situaciones clínicas evidencia algunas distinciones en la postura del clínico con respecto a estas historias según se esté en una configuración intracultural o transcultural. Frente a relatos que cuestionan la representación del mundo del paciente y del clínico, como la evocación de una consulta a un médium o la práctica del chamanismo, se trata de adaptar el abordaje complementario y el ejercicio de descentramiento a pesar de la existencia de espacio cultural común con el paciente. Esto también requiere identificar las especificidades del acompañamiento clínico de este “transcultural intracultural” en términos de dinámicas transferenciales.

Palabras claves: brujería, contratransferencia, cultura de orígen, etnopsiquiatría, migrante, parapsicología, práctica profesional, transcultural.

Du contexte clinique en situation intraculturelle et transculturelle

La rencontre avec les patients migrants confronte à l’importance de la dimension culturelle dans l’espace thérapeutique. Ainsi, dans la lignée de l’ethnopsychiatrie développée initialement par Géza Roheim (1943) et Georges Devereux (1970), Marie Rose Moro (1998) a proposé une « démarche métissée » qui rend compte des spécificités de cette clinique transculturelle. Celle-ci permet l’analyse d’un univers double composé de mondes culturels hétérogènes et dont certaines logiques sont parfois difficilement conciliables (Baubet & Moro, 2003). Marie Rose Moro (2016) rappelle plus précisément que ces codages culturels sont présents dans l’être, le sens et le faire mais que le noyau de la relation clinique, sa part efficiente, demeure la même que celle établie en situation intraculturelle. La pratique transculturelle rappelle également que les identités culturelles sont plurielles et que nous devons favoriser des espaces de « négociation » et de dialogue afin de faciliter le travail thérapeutique. Nous devons ainsi parvenir à tenir compte des différences culturelles pour se « décentrer » et accepter l’altérité de la rencontre (Dérivois, 2009).

Selon les perspectives ainsi ouvertes, travailler auprès de patients migrants conduit à une réflexion constante qui permet de conserver une posture ouverte à l’accueil de l’altérité. Ainsi, les cliniciens doivent apprendre à développer une posture « autre » pour introduire l’idée d’une « thérapie métaculturelle » (Devereux, 1978). Celle-ci devient essentielle dans le cadre de la rencontre entre un soignant et un patient qui ne partagent pas la même culture ni les mêmes implicites culturels. Dans ce positionnement métaculturel, le professionnel doit être en capacité de tenir compte de ces différences afin de les transformer en leviers thérapeutiques et ce, même s’il ne connaît pas dans le détail la culture de son patient. Les patients migrants rappellent que nous ne vivons pas tous, partout, de la même manière, et nous ne devons pas oublier que tous les êtres humains demeurent des êtres de culture (Róheim, 1943). Cette dernière existe en chacun de nous de par sa dimension universelle. L’approche transculturelle repose ainsi sur ce principe théorique fondamental de l’universalité psychique qui correspond à ce partage collectif d’une certaine représentation de la réalité (Devereux, 1970). Comme le rappelle Marie Rose Moro (2016, p. 159), « ce postulat est encore trop souvent ignoré qu’il n’y a pas de hiérarchie possible entre les productions humaines ». Ce qui change d’un sujet à l’autre, c’est la manière dont il va parler de ce qu’il vit et de ce qu’il ressent. C’est ici que la culture devient plus visible « dans la manière dont elle place et déplace ses normes et ses valeurs » (Moro, 2008, p. 17). En clinique transculturelle, les thérapeutes s’appuient également sur le principe du complémentarisme (Devereux, 1972) qui n’exclut aucune méthode, ni aucune théorie, mais les coordonne à partir d’un positionnement clinique fondé sur le décentrage culturel (Moro, 1998). Une telle approche permet de se décaler de sa propre culture afin d’être à l’écoute de la manière de penser du sujet en s’étayant sur une analyse fine du contre-transfert culturel (Nathan, 1977). Celle-ci permet au clinicien d’identifier, en particulier, les mouvements inconscients qui découlent de l’écoute d’autres cultures.

Quand un patient partage la même langue et la même proximité culturelle que le clinicien, la rencontre s’inscrit dans une thérapie dite « intraculturelle » (Devereux, 1978). Malgré les différences observées entre le patient et clinicien, les présupposés culturels restent globalement les mêmes, bien qu’il soit nécessaire de tenir compte également des dimensions socio-culturelles.
Selon François Laplantine (1988), l’approche intraculturelle permet d’appliquer une démarche ethnopsychiatrique et ce, même dans une situation où la culture entre le patient et le thérapeute semble commune. Paradoxalement, une certaine affinité culturelle peut parfois masquer de profondes différences dans la manière de considérer le monde. Il s’agit ainsi d’éviter les impasses thérapeutiques présentes au sein d’une rencontre où l’altérité paraît moins visible. Le philosophe Peter Winch (1997) insiste également sur le risque inhérent au fait de considérer qu’il y aurait d’un côté notre culture et, de l’autre, la culture étrangère. En effet, certains propos tenus par des personnes partageant notre culture peuvent parfois nous paraître étranger.

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