Article original
© KylaBorg Feminism is... Artist: Miss Frantic, Stevenson Square, Northern Quarter, Manchester, 8 décembre 2013 Source (CC BY 2.0)
À la croisée des chemins
Yann ZOLDAN
Yann Zoldan, Ph.D. Professeur de psychologie, Psychologue. Pronoms: (Il/lui) V2-1080 Université du Québec à Chicoutimi 555, boul. de l'Université Chicoutimi (Québec) G7H 2B1 418 545-5011 extension 4314
Cécile ROUSSEAU
Cécile Rousseau est professeur de psychiatrie à la division de psychiatrie sociale et culturelle de l’université McGill, directrice scientifique du centre de recherche et de formation, CSSS de la Montagne.
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Pour citer cet article :
Zoldan Y, Rousseau C. À la croisée des chemins. Entre routes de pouvoir et sentiers cliniques. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2020, volume 21, n°3, pp. 307-317
Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-originaux/a-la-croisee-des-chemins/
À la croisée des chemins : entre routes de pouvoir et sentiers cliniques
Cet article invite le lecteur à croiser les chemins de la psychanalyse et des rapports de pouvoir à l’œuvre dans la société. A travers l’exemple actuel de la théorie de l’intersectionnalité issue des luttes féministes noires américaines, nous interrogeons l’intérêt de cette rencontre pour la prise en charge clinique. Le défi théorique émerge des défis sociétaux auxquels se confronte notre clinique: sociétés multiculturelles, interrogations autour du genre, etc. Ces enjeux de société bousculent les dynamiques de pouvoir et nécessitent de penser la place des privilèges et des discriminations dans nos pratiques cliniques.
Mots clés : ethnopsychanalyse, féminisme, Femme, intersectionnalité, psychanalyse, relation dominant dominé.
The crossroads between the roads of power and clinical pathways
In this article, we invite the reader to explore how power dynamics in society intersect with psychoanalysis. Using the example of intersectional theory, derived from African-American feminist struggles, we investigate the dialogue between political theories and psychoanalysis in the clinical encounter. Theoretical issues such as multiculturalism and gender issues emerge from the social dynamic and have implications for our clinical work. These social issues create a new power dynamic in clinical encounters, resulting in the need to think more critically about issues of privilege and discrimination.
Keywords: dominant dominated relationship, ethno-psychoanalysis, feminism, intersectionality, psychoanalysis, woman.
En la encrucijada entre caminos de poder y los senderos clínicos
Este artículo invita al lector a una visión contrastada entre el psicoanálisis y las relaciones de poder. A través del ejemplo de la teoría de la interseccionalidad nacida de las luchas feministas negras estadounidenses, cuestionamos el interés clínico de este debate. El desafío teórico surge de los desafíos sociales que enfrenta nuestra clínica: sociedades multiculturales, cuestiones de género, etc. Estas cuestiones de sociedad hacen tambalear la dinámica del poder y obligan a pensar el rol de los privilegios y de las discriminaciones en nuestras prácticas clínicas.
Palabras claves: etnopsicoanálisis, feminismo, interseccionalidad, mujer, relación dominante-dominado.
L’histoire de la psychanalyse, plus précisément celle de sa création, nous enseigne l’importance de la pratique sur l’émergence de la théorie et parfois l’impossible concordance entre les deux (Aulagnier, 1975). Un éros de la praxis devant le thanatos de la doxa1. Il est connu (Bourdin, 2007 ; Gay, 1995) que Freud théorisa la psychanalyse à travers la rencontre avec ses patientes. Cette révolte hystérique devenue révolte historique (Zoldan, 2015) permit d’esquisser la théorie psychanalytique. On se souvient ainsi de la célèbre Bertha Pappenheim alias Anna O, militante juive féministe et socialiste (Borch-Jacobsen, 2011), patiente de Breuer et cas étudié par Freud au fondement de la théorie psychanalytique. À travers la révolte des femmes et leur écoute, nous avons découvert un vaste champ théorique. Nous pouvons alors envisager le féminisme au cœur de la psychanalyse, puisque féminisme et paroles des femmes en sont une composante essentielle. Bien que ces paroles aient été appropriées par un pouvoir masculin et peu reconnues comme des discours de vérité. Une autre histoire a eu lieu de l’autre côté de l’Atlantique, aux Etats-Unis d’Amérique où des femmes noires féministes ont au cours de leur révolte permis de développer une théorie, celle de l’intersectionnalité. Comme le rappelle justement l’activiste Angela Davis, avant d’être une théorie, l’intersectionnalité est avant tout une pratique et une réalité politique qui sera reprise par le champ universitaire : elle est donc née d’une expérience de lutte politique, un concept qui était au départ une histoire de corps et d’expérience (Davis, 2016). Pour définir dans un premier temps l’intersectionnalité nous dirons qu’il s’agit d’une politique de l’expérience (Laing, 1980) du vécu d’oppression et de discrimination. Ce vécu se retrouve à l’intersection de plusieurs dynamiques de pouvoir, sans que cela ne soit une simple addition ou juxtaposition. En conséquence, il en résulte un vécu particulier, une subjectivité qui lui est propre, déterminée par l’ensemble de ces facteurs. Un des exemples souvent utilisé est qu’une femme noire américaine est à la fois femme et noire, ses deux identités sont indissociables. L’intersectionnalité permet de témoigner de ces différentes dimensions et analyser celles-ci. Si nous souhaitons rapprocher ces deux histoires, celle du féminisme juif socialiste de Vienne peu avant les années 1900 et celle du féminisme des femmes noires américaines de la fin des années soixante, c’est pour convoquer une rencontre. Une rencontre entre deux mondes distincts, celui de la théorisation psychanalytique des salons feutrés viennois et celui des ghettos noirs américains. Des mondes dissemblables et pourtant qui ont en partage la discrimination raciale (Altman, 2000). Une rencontre qui a pour lieu le féminisme, pour époque le XXe siècle et qui s’actualise dans notre présent. Cette rencontre à la croisée des chemins est nécessaire, elle l’est pour la théorie psychanalytique qui ne doit pas manquer sa rencontre avec le réel de nos sociétés multiples et diverses. Elle l’est également pour nos sociétés qui ont besoin d’entendement ; là où l’absence de sens est désormais trop souvent comblée par les politiques de haine. Bien qu’il existe des débats possibles entre les théories féministes et psychanalytiques, engagées notamment par Kristeva (1990, 1999) ou des féministes plus revendiquées (Benjamin, 1988 ; Butler, 2006 ; Chodorow, 1989 ; Mitchell, 1974, 2017 ; Rubin, 2012), la psychanalyse est parfois associée à une pratique réactionnaire, familialiste, antiféministe, opposée aux émancipations sexuelles (Eribon, 2016) lorsqu’il s’agit de questionner la pratique politique d’émancipation sociale.
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