Article de dossier
Réflexions sur la place de l’objet transitionnel en Afrique de l’Ouest
Publié dans : L’autre 2022, Vol. 23, n°2
Dossier : Cliniques des Afriques 2
Aminata TEMBELY
Aminata Tembely est psychiatre au PMPEA du CHS George Sand de Bourges.
Modi Baba TEMBELY
Modi Baba Tembely est psychiatre addictologue au CHS George Sand de Bourges.
Maude LUDOT
Maude Ludot est cheffe de clinique-assistante en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, APHP, Hôpital Cochin, Maison de Solenn, F-75014 Paris, France ; Université de Paris, PCPP, F-92100 Boulogne-Billancourt, France ; CESP, Faculté de médecine - Université Paris-Sud, Faculté de médecine - UVSQ, INSERM, “DevPsy” Université Paris-Saclay, F-94807 Villejuif, France.
Komi AGBOLI
Komi Agboli est psychiatre, praticien hospitalier au CHS George Sand de Bourges.
Baba KOUMARÉ
Baba Koumaré est professeur de psychiatrie, Hôpital du Point G, Université de Bamako.
Marie Rose MORO
Marie Rose Moro est pédopsychiatre, professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, cheffe de service de la Maison de Solenn – Maison des Adolescents, CESP, Inserm U1178, Université de Paris, APHP, Hôpital Cochin, directrice scientifique de la revue L’autre.
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Pour citer cet article :
Koumaré Tembely A, Tembely M. B, Ludot M, Agboli K, Koumaré B, Moro MR. Réflexions sur la place de l’objet transitionnel en Afrique de l’Ouest. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2022, volume 23, n°2, pp. 149-157
Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-dossier/reflexions-sur-la-place-de-lobjet-transitionnel-en-afrique-de-louest/
Réflexions sur la place et la forme de l’objet transitionnel en Afrique de l’Ouest
L’objet transitionnel est défini par Winnicott comme un objet ayant une fonction de défense contre l’angoisse. Nous proposons une réflexion transculturelle sur sa place et sa forme en Afrique de l’Ouest en nous appuyant sur les concepts «d’objets et de phénomènes transitionnels» de Winnicott. Nous avons cherché dans nos souvenirs d’enfance maliens des équivalents d’objets pouvant s’apparenter, pour le jeune enfant, au modèle occidental. Nous retrouvons, au moment du sevrage et des premières expériences de séparation, des objets et des figures d’attachement à valeur transitionnelle dans le contexte malien. L’usage et la fonction de ces processus semblent dépendre de l’investissement parental, et doit être lu à la lumière du caractère groupal de l’appartenance au Mali et des mouvements des enfants dans un modèle de parenté multiple. À notre génération, le processus transitionnel semble être présent en Afrique de l’Ouest, ce peut être un objet, une personne ou un symbole. Ce processus doit être replacé dans son contexte et prend des formes plus variées que dans le monde occidental.
Mots clés : Afrique, angoisse de séparation, culture d’origine, espace transitionnel, jeune enfant, Mali, objet transitionnel.
Reflections on the place and the form of transitional objects in Western Africa
Transitional objects were defined by Winnicott as objects with a defence function against anxiety. We provide here transcultural reflection on their place and their form in Western Africa basing ourselves on Winnicott’s concepts of “transitional objects and phenomena”. We delved into our Malian childhood memories for equivalent objects that could for a small child equate to the Western model. At the time the child is weaned and with the first experiences of separation, we find objects and figures of attachment with a transitional value in the Malian context. The usage and the function of these processes seem to depend on parental investment and should be interpreted in the light of the group of belonging in Mali and of the children’s movements within a multiple-kinship model. For our generation, this transitional process seems to be present in Western Africa, and it can be an object, a person or a symbol. This process should be placed in its context, where it takes on more varied forms than in the Western world.
Keywords: Africa, culture of origin, Mali, separation anxiet, transitional object, transitional space, young child.
Reflexiones sobre la importancia y la forma del objeto transicional en África Occidental
El objeto transicional es definido por Winnicott como un objeto que tiene una función de defensa contra la ansiedad. En este trabajo proponemos una reflexión intercultural sobre su importancia y su forma en África Occidental basada en los conceptos de Winnicott de “objetos y fenómenos de transición”. Para esto hemos buscado en nuestros recuerdos de infancia en Malí equivalentes de objetos que pudieran ser similares al modelo occidental en su función para el niño. Encontramos, en el momento del destete y durante las primeras experiencias de separación, objetos y figuras de apego con valor transicional en el contexto maliense. El uso y la función de estos procesos parecen depender del interés de los padres y deben leerse a la luz del carácter grupal de la afiliación en Malí y de los movimientos de los niños en un patrón de parentesco múltiple. Para nuestra generación, el proceso de transición parece estar presente en África Occidental. Puede ser un objeto, una persona o un símbolo. Este proceso debe contextualizarse y adopta formas más variadas que en el mundo occidental.
Palabras claves: Africa, ansiedad de separació, cultura de orígen, espacio transicional, Malí, niño pequeño, objeto transicional.
Le pédiatre et psychanalyste Donald W. Winnicott (1896-1971) introduit les termes « objet transitionnel » et « phénomène transitionnel » désignés comme l’aire d’expérience « intermédiaire entre le pouce et l’ours, entre l’érotisme oral et la relation objectale vraie, entre l’activité créatrice primaire et la projection de ce qui a déjà été introjecté, entre l’ignorance primaire de la dette et la reconnaissance de cette dette » (Winnicott, 1951). Au sujet de l’objet transitionnel lui-même, il se définit par sa nature (couverture, tissu très doux…) et sa spécificité qui est celle d’avoir été créée par l’enfant dans un espace intermédiaire d’expérience (Govindama & Louis, 2005). Cet objet est utilisé par l’enfant dès l’âge de 3 ou 4 mois pour représenter une présence rassurante et sécure comme celle de la mère (Winnicott, 2010). C’est un outil qui va permettre de se détacher de la mère. Cette notion d’objet transitionnel permet d’expliquer la diversité des objets du désir, c’est-à-dire, tout ce que l’enfant crée, s’invente pendant cette période de transition entre le principe de plaisir (la satisfaction du sein maternel) et l’acceptation de la réalité (frustration). La présence absence de la mère étant source d’angoisse chez l’enfant, l’objet transitionnel donne le sentiment d’avoir sa mère (substitut) de manière permanente. Cet objet choisi par l’enfant serait la première possession « non-moi » (Winnicott, 1951 ; Bailly, 2001). Il n’est perçu ni comme faisant partie de la mère, ni comme étant un objet intérieur. Il permet le cheminement de l’enfant du dedans au dehors. Au cours de ce cheminement, interviennent les phénomènes transitionnels qui apparaissent entre 4 et 12 mois : ils désignent une zone d’expérience intermédiaire entre sucer son pouce (érotisme oral) et l’ours peluche avec lequel l’enfant joue et qu’il investit (relation objectale) (Winnicott, 2010). Toutefois, Winnicott lui attribue un caractère universel dont la présence est nécessaire dans l’étape du développement de l’enfant et de sa personnalité (Govindama & Louis, 2005). Le babillage, les berceuses, les chansons, les contes et les histoires qui accompagnent le sommeil de l’enfant dans cet espace intermédiaire sont qualifiés de phénomènes transitionnels (Winnicott, 1975). Par ailleurs, il introduit la notion d’espace transitionnel : un espace qui va jouer un rôle essentiel dans les processus de représentation et de symbolisation et qui constitue un premier décollement avec l’objet maternel, un premier mouvement de l’enfant vers l’indépendance (Govindama & Louis, 2005). Chemin faisant, Winnicott établit une différence entre la fonction du sein et celle de l’objet transitionnel (Govindama & Louis, 2005). Le sein est introjecté dans l’activité créatrice primaire par l’enfant qui ignore son appartenance et il ne peut donc pas honorer sa dette à l’autre (non-moi), tandis que l’objet transitionnel, en tant qu’objet externe créé par lui, lui permet de reconnaître cette dette (Govindama & Louis, 2005). Ce concept d’objet ou de phénomène transitionnel proposé par Winnicott à partir de son expérience clinique, est suffisamment précieux et important pour que nous questionnions son existence partout où nous sommes. C’est justement pour cette raison que nous nous sommes intéressés à l’objet transitionnel en Afrique. Tout est parti d’une discussion clinique hors cadre institutionnel avec un collègue également psychiatre de l’enfant et de l’adolescent : nous ne parvenions pas à nous représenter cet objet si présent en Occident, dans nos souvenirs d’enfance en Afrique, et plus précisément au Mali et au Togo. Au départ, nous étions d’avis que cela n’existait pas, parce que la seule image qui nous venait d’emblée à l’esprit était l’image d’un doudou ou d’un petit bout de drap. En plus, nous n’avions pas le souvenir d’avoir vu pendant notre vie en Afrique de l’Ouest des enfants en pleine journée avec des doudous ou d’autres objets d’ailleurs. L’image qui nous revenait était plutôt celle d’enfants jouant ensemble dans les rues sous le regard bienveillant d’un adulte à distance. Pour nous conforter dans cette hypothèse nous avions fait une revue de la littérature. Winnicott a lui-même écrit : « Il me faut mentionner le fait qu’il n’existe parfois pas d’objet transitionnel si ce n’est la mère elle-même » (Winnicott, 1969, p. 113). Paula Lambert s’était questionnée sur le fait que la mère puisse remplacer l’objet transitionnel au Sénégal (Lambert, 1996). Cependant, l’article de Jean-François Rabain avait tout particulièrement retenu notre attention : tout comme nous, il disait avoir été interpellé par une étudiante d’Afrique de l’Ouest disant que l’objet transitionnel n’existait pas en Afrique (Rabain, 2007). Sa collaboratrice avait émis comme hypothèse que le besoin de l’objet ne se faisait pas sentir car l’allaitement prolongé et le maternage multiple garantissaient la permanence de la mère et semblaient apporter des conditions de sécurité telles, que le besoin d’un objet transitionnel ne se faisait pas sentir. En partant donc de cette idée du « doudou » que nous ne retrouvions pas dans la famille traditionnelle africaine, nous avons cherché des équivalents et nous nous sommes interrogés sur l’existence de l’objet transitionnel dans la culture malienne. Sous quelles autres formes pouvait-il se présenter ?
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