Article de dossier
© Pedro Ribeiro Simões, Expectante (1949) - Jorge de Oliveira (1924-2012), Museu Nacional de Arte Contemporânea, MNAC, Museu do Chiado", Lisbon, Portugal. Source (CC BY 2.0)
L’inconscient au risque de l’histoire ?
Publié dans : L’autre 2024, Vol. 25, n°1
Dossier : Histoire et cliniques 2
Hervé MAZUREL
Hervé Mazurel est historien, LIR3S, Université de Bourgogne.
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Pour citer cet article :
Mazurel H. L’inconscient au risque de l’histoire ? Histoire des profondeurs et métamorphoses de l’affectivité II. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2024, volume 25, n°1, pp. 28-41
DOI : https://doi.org/10.3917/lautr.073.0028Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-dossier/linconscient-au-risque-de-lhistoire/
L’inconscient au risque de l’histoire ? Histoire des profondeurs et métamorphoses de l’affectivité II
Si l’historicisation de la psychanalyse est chose désormais bien avancée, cet article explore la possibilité d’historiciser jusqu’à l’objet-princeps de la psychanalyse, à savoir l’inconscient lui-même. Car là gît peut-être la raison profonde du dialogue encore infructueux de l’histoire et de la psychanalyse.
Mots clés : affect, histoire de la psychanalyse, inconscient, psychisme.
A history of the unconscious? The history of the depths and metamorphoses of affectivity II
While the historicization of psychoanalysis is now well advanced, this article explores the possibility of historicizing even the principal object of psychoanalysis, namely the unconscious itself. For therein lies perhaps the deepest reason for the as yet fruitless dialogue between history and psychoanalysis.
Keywords: affect, history of psychoanalysis, psyche, unconscious.
¿El inconsciente a riesgo de la historia? Historia de las profundidades y metamorfosis de la afectividad II
Es una evidencia que la historización del psicoanálisis ha sido posible desde hace algún tiempo. Sin embargo, este artículo explora la posibilidad de historizar incluso el objeto principal del psicoanálisis, es decir, el inconsciente mismo. La razón es que quizás ahí radica profundamente el desencuentro aún actual entre historia y psicoanálisis.
Palabras claves: afecto, historia del psicoanálisi, inconsciente, psique.
La question que je souhaiterais soulever ici n’est plus celle de savoir s’il serait souhaitable d’historiciser la psychanalyse – c’est chose déjà fort avancée, on l’a vu1 –, mais s’il serait possible d’historiciser l’objet-princeps de la psychanalyse, à savoir l’inconscient lui-même. Là réside à mon sens le principal point de blocage de ce dialogue longtemps infructueux de l’histoire et de la psychanalyse, miné non seulement par les patriotismes disciplinaires habituels, mais aussi et surtout par des mots à double-entente, par des emprunts maladroits et autres captations sauvages. Remontons dès lors, et autant que faire se peut, à la préhistoire du problème : soit la question de savoir si la psyché inconsciente échappe ou non à l’historicité collective. Si l’inconscient psychique a ou n’a point d’histoire. Je veux dire : non pas seulement une histoire « externe », celle de sa « découverte » scientifique et de son exploration depuis la fin du XIXe siècle, mais une histoire « interne », une histoire qui non seulement le constitue mais le traverse.
Reste que, pour espérer apercevoir cette historicité-là, encore faut-il au préalable se rendre familier d’un second état de l’histoire. Je veux parler ici de ces lents devenirs historiques qui opèrent en silence, imperceptiblement, et qui ressemblent à « ces révolutions à pas de colombe » qu’évoquait Nietzsche si justement. Car il est en effet toute une histoire silencieuse, nocturne et profonde qui, au fil des décennies et des siècles, s’écoule en nous sans que nous ne le sachions et travaille obscurément nos sociétés, jour après jour, nuit après nuit. Invisible à l’échelle d’une seule vie humaine, celle-ci est faite avant tout de transformations silencieuses, de métamorphoses discrètes, de courants de profondeurs, de sorte qu’elle demeure cachée sous les apparences de l’immuable, de l’intangible, sinon de l’invariant. Or non seulement cette histoire-là demeure trop méconnue du sens commun, le plus souvent focalisé sur la seule Grande Histoire (« l’histoire avec une grande Hache » comme disait Georges Pérec), mais aussi de nombreuses disciplines scientifiques restées trop insensibles à l’historicité de leurs objets. C’est donc d’abord à cette histoire sourde et souterraine que les pages qui suivent voudraient rendre le lecteur particulièrement attentif et sensible. Singulièrement ceux qui se réclament des disciplines de la psyché.
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