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L’hystérie à Madagascar : une invention coloniale ?

© Larry Rivers, I like Olympia in Black face, 1970. Source D.G.

L’hystérie à Madagascar : une invention coloniale ?


Claire MESTRE

Claire Mestre est psychiatre, psychothérapeute, anthropologue, responsable de la consultation transculturelle du CHU de Bordeaux, Présidente d’Ethnotopies, co-rédactrice en chef de la revue L’autre.

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Pour citer cet article :

Mestre C. L’hystérie à Madagascar : une invention coloniale ? L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2023, volume 24, n°1, pp. 69-78


Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-dossier/lhysterie-a-madagascar-une-invention-coloniale/

L’hystérie à Madagascar: une invention coloniale?

La question de l’hystérie à Madagascar comme invention coloniale débute lors d’observations cliniques faites dans un hôpital malgache dans les années 2000. À partir d’archives de médecins malgaches et français, missionnaires et ethnologues avant et pendant la colonisation, une lecture est faite avec les concepts des philosophes féministes Camille Froidevaux-Metterie et Elsa Dorlin. Les hypothèses sont que le corps des femmes a été un lieu de lutte de pouvoir, et que les colonisateurs ont utilisé l’hystérie pour inférioriser et pathologiser des expressions collectives et individuelles, leur ôtant leur dimension de résistance. Les femmes comme «inférieures» ont été particulièrement stigmatisées. L’hystérie médicale et psychologique vient des recherches de Charcot, simultanées à la colonisation de la fin du XIXe-début du XXe siècle.
L’ «hystérisation» des autres lointain.e.s s’appuie sur une lecture visuelle de manifestations très disparates. Le terme hystérie demeure utilisée actuellement particulièrement dans «l’hystérie collective».

Mots clés : colonisation, Femme, histoire de la médecine, hystérie collective, hystérie de conversion, Madagascar, relation dominant dominé.

The question of hysteria in Madagascar as a colonial invention stems from clinical observations made in a Malagasy hospital in the 2000s.

Using the archives of Malagasy and French doctors, missionaries and ethnologists before and during colonization, we present a reappraisal calling on the concepts of the feminist philosophers Camille Froidevaux-Metterie and Elsa Dorlin. The hypotheses are that women’s bodies were the seat of a power struggle, and that the colonizers used hysteria to inferiorise and pathologise collective and individual expression, removing their dimension of resistance. Women, seen as “inferior” were particularly stigmatized. Hysteria conceptualised as medical and psychological is derived from Charcot’s research, which was contemporary with the colonization of the late 19th and early 20th century. The “hysterisation” of others far away is based on a visual reading of very disparate manifestations. The term hysteria is still in common use especially in the form of collective hysteria.

Keywords: collective hysteria, colonisation, conversion hysteria, dominant dominated relationship, history of medicine, Madagascar, women.

Histeria en Madagascar: ¿un invento colonial?

La cuestión de la histeria en Madagascar como invención colonial comienza a partir de las observaciones clínicas realizadas en un hospital malgache en la década de 2000. A partir de archivos de médicos, misioneros y etnólogos malgaches y franceses antes y durante la colonización, se hace una lectura con los conceptos de las filósofas feministas Camille Froidevaux-Metterie y Elsa Dorlin. Las hipótesis son que el cuerpo de la mujer fue un lugar de lucha por el poder, y que los colonizadores utilizaron la histeria para rebajar y patologizar las expresiones colectivas e individuales, privándolas de su dimensión de resistencia. Las mujeres como «inferiores» fueron particularmente estigmatizadas. La histeria médica y psicológica proviene de las investigaciones de Charcot, simultáneas a la colonización de finales del siglo XIX-principios del XX. La “histerización” de las mujeres de otros orígenes se basa en una lectura visual de manifestaciones muy dispares. El término histeria todavía se usa hoy, particularmente en «histeria colectiva».

Palabras claves: colonización, histeria colectiva, histeria de conversión, historia de la medicina, Madagascar, mujer, relación dominante-dominado.

L’interrogation qui donne titre à cet article s’inspire de celui du beau livre de Georges Didi-Huberman : Invention de l’hystérie (2014), qui aborde les travaux du neurologue Charcot à la fin du XIXe-début du XXe siècle. La réinterprétation de la « folie » des femmes s’appuie, à cette époque, sur la méthode clinique propre à la médecine. Au-delà des débats d’époque, nous restent de ce moment des images (photographies, peintures) qui ont profondément influencé notre perception des manifestations corporelles féminines. Cette mémoire fait partie, j’en suis témoin, de notre culture médicale savante qui s’est construite à la fin du XIXe siècle, de façon contemporaine aux représentations qui accompagnent les colonisations (Vaughan, 1991).

Mes questions concernant la « présence » de l’hystérie à Madagascar ont commencé lors de l’enquête réalisée dans un hôpital malgache (Mestre, 1999, 2001, 2013). J’ai découvert ce terme d’« hystérie », dans les écrits des médecins malgaches du début du XXe siècle. Comment le terme défini comme une « psycho-névrose » par des scientifiques français et introduit à Madagascar par les tous premiers médecins malgaches, tente-t-il de traduire des états et des situations locales, particulièrement la sorcellerie et la possession, jugés comme mystérieux et inquiétants par les colons et les missionnaires ? Comment, nommées par le terme d’hystérie, ces expressions sont-elles pathologisées ? Comment les médecins, mais aussi les missionnaires, les ethnologues et autres savants, forgent-ils le destin de l’infériorisation de populations, et particulièrement des femmes, surtout les plus « noires » ?

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