Article de dossier

© Guillaume Lecoquierre, Quand le Soleil se couche... Algérie/Algeria - Hoggar - Assekrem : Coucher de soleil en redescendant de l'Assekrem, Prise le 22 décembre 2009 Source (CC BY 2.0)

Algérie : un silence en héritage, une enfance confisquée

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Nassima OUANDELOUS

Nassima Ouandelous est psychologue clinicienne, Centre Psychologique Universitaire (CPU), Professeure, Université Mouloud Mammeri, Tizi Ouzou. Algérie. Laboratoire d’Anthropologie et de psychopathologie psychanalytique, Université Alger 2.

Kahina ZENAD

Kahina Zenad est psychologue clinicienne, Centre Intermédiaire de Santé Mentale CISM, Alger.

Malika BENNABI BENSEKHAR

Malika Bennabi Bensekhar est maître de conférences à l’université de Picardie Jules Verne, Chemin du Thil, 80025 Amiens, co-thérapeute à la consultation transculturelle, Maison des adolescents, Hôpital Cochin.

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Pour citer cet article :

Ouandelous N, Zenad K, Bennabi Bensekhar M. Algérie : un silence en héritage, une enfance confisquée. L’autre, cliniques, cultures et sociétés, 2024, volume 25, n°1, pp. 55-66

DOI : https://doi.org/10.3917/lautr.073.0055

Lien vers cet article : https://revuelautre.com/articles-dossier/algerie-un-silence-en-heritage-une-enfance-confisquee/

Algérie : un silence en héritage, une enfance confisquée

Suite à la «décennie noire» (1991 – 2002), la mémoire d’un «passé qui ne passe pas» subsiste encore. L’impossibilité à situer toutes les responsabilités et l’absence d’un processus de symbolisation à effet subjectivant et réparateur chargent de honte, d’effroi et de vide la mémoire collective. En nous appuyant sur deux illustrations cliniques, nous montrons que, s’il est passé sous silence, le vécu traumatique des parents traverse les générations et peut se rejouer chez leurs enfants en produisant des troubles du développement psychique caractéristiques. Ceux-ci peuvent être envisagés comme des manifestations d’apories de la transmission transgénérationnelle. Paradoxalement, grâce au clivage et au désordre, ils peuvent aussi apparaître comme une façon de lutter contre cet héritage qui se prolonge dans la psyché. Un travail d’historicisation est donc nécessaire dans la prise en charge des dyades parents-enfants afin que les trajectoires familiales et l’origine des symptômes soient mises en sens.

Mots clés : Algérie, enfant, psychopathologie, relation parent-enfant, société, transgénérationnel, traumatisme psychique, violence.

Algeria: an inheritance of silence, a childhood confiscated

Following the «dark decade» (1991-2002) the remembrance of «a past that will not pass» is still present. The impossibility of allocating responsibilities and of any process of symbolisation that could subjectify and repair are issues that pervade the collective memory with terror and void. Using two clinical examples, we show that while the parents› traumatic experiences remain unspoken, they persist through the generations and can play out in the children, producing characteristic psychic development disorders. These can be envisaged as manifestations of aporia in trans-generational transmission. Paradoxically, by way of cleavages and disorder, they can also appear as ways of fighting against this inheritance extending into the psyche. Thus there is a task of historicisation to be implemented in the care of these parent-child dyads, so as to give meaning to the family trajectories and the origin of the symptoms.

Keywords: Algeria, child, parent-child relations, psychic trauma, psychopathology, society, trans-generational, violence.

Argelia: un legado de silencio, una infancia confiscada

Tras la “década negra” (1991 – 2002), aún permanece el recuerdo de un “pasado que no pasa”. La imposibilidad de localizar todas las responsabilidades y la ausencia de un proceso de simbolización con efecto subjetivo y reparador llenan la memoria colectiva de vergüenza, miedo y vacío. Basándonos en dos situaciones clínicas, mostramos que, si se pasa por alto la experiencia traumática de los padres, el riesgo es que el trauma atraviese generaciones y pueda reproducirse en sus hijos, provocando trastornos caracaterísticos del desarrollo psicológico. Estos pueden considerarse como manifestaciones de aporías de transmisión transgeneracional. Paradójicamente, gracias a la disociación y al desorden, también pueden aparecer como una forma de luchar contra esta herencia que continúa en la psique. Por lo tanto, el trabajo de historización es necesario en el cuidado de las díadas padre-hijo para que las trayectorias familiares y el origen de los síntomas puedan encontrar un sentido.

Palabras claves: Argelia, niño, psicopatología, relación padre-hijo, sociedad, transgeneracional, trauma psicológico, violencia.

Cet article se fonde sur deux vignettes cliniques d’enfants dont les parents ont été impactés par la guerre civile durant la décennie noire. Prises en charge dans un centre d’aide psychologique implanté à Alger, 14 ans après la fin de cette décennie, ces deux situations nous permettent de démontrer que faute d’avoir fait l’objet d’une symbolisation au plan psychique, les traumatismes individuels, en particulier s’ils sont majorés par des violences collectives endémiques, font l’objet d’une transmission transgénérationnelle. En effet, tout traumatisme échappant à une symbolisation subjectivante peut infiltrer les relations entre parents et enfants, y compris les plus jeunes, pour faire l’objet d’une transmission.

L’arrière-plan des deux cas cliniques est une guerre civile qui a opposé les autorités algériennes et divers groupes islamistes. Le moment inaugural de cette quasi-guerre est un fait politique marquant : l’annulation des toutes premières élections législatives libres et pluralistes en janvier 1992, après un processus d’ouverture démocratique douloureux, et néanmoins nécessaire. La violence sociale, jusque-là larvée, a laissé la place à une longue période de violences tous azimuts : violences des radicaux islamistes sur la population civile et sur les forces de l’ordre, la riposte de l’armée et des forces de l’ordre, attentats, enlèvements, disparitions et massacres collectifs. Cette violence a fini par prendre un caractère massif et durable à un point tel que les institutions de l’état ont été bousculées et l’esprit d’unité nationale qui s’était forgé dans la période coloniale, notamment à travers la lutte pour l’indépendance, a été ébranlé. Pour mettre fin à cette spirale de violence, une loi pour le rétablissement de la concorde civile avait été adoptée par le parlement en juillet 1999, puis plébiscitée par voie référendaire en septembre 1999. Cette première loi de grâce amnistiante avait pour objectif la réintégration dans la vie civile des islamistes auteurs de violences, à l’exclusion de ceux ayant commis des assassinats ou attentats. Six ans plus tard, un nouveau référendum avait été organisé pour entériner la « Charte pour la paix et la réconciliation nationale ». L’ordonnance de son application comportait, entre autres, des dispositions mettant fin à toute poursuite judiciaire à l’encontre des différents protagonistes, à l’exclusion de ceux qui ont été acteurs de viols ou d’attentats dans les lieux publics, instigateurs ou complices de massacres collectifs. Les différentes modalités mettant en œuvre cette dernière loi d’amnistie ont entrainé des conséquences tant dans le registre politique que psychologique. Selon Belarouci (2013), cette loi ne pouvait que rendre aléatoire le travail de remémoration et de deuil.

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