Soins psychologiques en terrain humanitaire, quand trauma, altérité culturelle et Histoires s’entremêlent
Depuis la guerre d’Algérie, le méta-cadre en France a connu peu de crises de grande ampleur, c’est-à-dire des crises susceptibles de mettre en difficulté des assises supposément solides et fiables, comme l’État et ses institutions. Ainsi qu’à une échelle plus spécifique, le soin psychologique et ses cadres sous-jacents. Penser l’accompagnement psychologique et la psychothérapie dans un contexte de crise (à l’échelle d’un pays), n’a par conséquent pas été souvent abordé dans la littérature scientifique en France. Réservé aux pays en guerre ou traversant des catastrophes naturelles et des épidémies, cela nous semble lointain. La crise sanitaire de la Covid-19, qui a commencé en 2020, a depuis chamboulé la donne en obligeant les institutions à composer avec l’urgence et la massivité de la mort. Actuellement, la guerre de la Russie contre l’Ukraine confronte les soignants en santé mentale à la nécessité de savoir assurer des soins dans l’urgence, auprès d’une population ne parlant pas la même langue, et venant d’une réalité et d’une culture qui restent étrangères malgré la parenté européenne. Les psychologues travaillant dans des services de réanimation ont été confrontés quant à eux au contexte d’urgence d’une toute autre manière, comme sur les terrains humanitaires : avec peu de ressources, beaucoup d’imprévisible et beaucoup de créativité pour composer avec l’angoisse de la mort qui rôde. Des rencontres-débats et des recherches portant sur la place de l’extrême de la condition collective d’un pays commencent depuis à émerger.
La clinique de l’extrême s’intéressait essentiellement à l’extrême de la situation clinique des patients rencontrés ou encore à l’extrême de la précarité socio-économique qui s’ajoute à l’extrême de la pathologie des patients. S’ajoute à cette clinique, l’extrême du contexte (guerres, catastrophes naturelles, épidémies etc.) qui a un impact direct sur les cliniciens ainsi que sur leurs capacités de travail. Marie Rose Moro, dans la préface de ce livre, met en avant le terme de “clinique humanitaire” qu’elle décrit comme une clinique “faite dans l’urgence, dans l’intranquillité, dans la nécessité et inventée avec ceux qui en ont besoin”. Ce livre aborde une clinique particulière dans certains aspects : la confrontation à un terrain dévasté et privé de ressources, une absence ou une défaillance des instances étatiques et des institutions sanitaires publiques, l’appréhension de la différence culturelle entre patients et soignants ou encore entre les soignants et la culture de soin de l’institution sollicitée sur place.
Dirigé par Mayssa’El Husseini, cet ouvrage revêt une importance particulière pour les psychologues et soignants aspirant à travailler dans un contexte clinique dit « humanitaire ». En permettant à des acteurs de terrain d’évoquer les soins psychologiques en situation humanitaire, notamment leur articulation avec la question du traumatisme, il traite également des questions d’ordre organisationnel, technique et stratégique des soignants qui partent en mission.
Mayssa’El Husseini ouvre les différents champs de réflexion qui seront ensuite développés en analysant le paradoxe inhérent au méta-cadre qui entoure cette clinique. Souvent, la rencontre entre soignant et soigné est traversée subtilement, silencieusement, par des réverbérations des histoires de leurs pays, leurs appartenances culturelles dont religieuses et politiques, des histoires archaïques traumatiques. Ces résurgences sont marquées par un retour du refoulé qui s’infiltre insidieusement dans la rencontre et colore les interactions entre soignants et soignés. Cette couche infra verbale et préconsciente nécessite une élaboration pour éviter les passages à l’acte de part et d’autre.
À travers cet ouvrage dense et didactique et l’apport de ses différents auteurs (qui développent tour à tour les aspects individuel, groupal et collectif, mais aussi la temporalité des soins, le rapport de la clinique à la précarité et la marginalité ainsi que les limites de telles interventions), le lecteur est invité à comprendre les enjeux multiples et contrastés de la clinique humanitaire. Il trouve tout son intérêt dans le contexte que nous traversons actuellement en Europe, puisque la clinique de l’extrême, qui touche autant les soignés que les soignants, s’invite de plus en plus au cœur de nos pratiques.