Moi, Azil Kemal, j'ai tué des Armeniens : carnets d'un officier de l'armée Ottomane
La en cette année de commémoration du centenaire du génocide arménien, on assiste à une prolifération d’ouvrages traitant de ce sujet sous différents angles, historique, géopolitique, juridique, psychanalytique, généralement écrits par des auteurs turcs ou arméniens. L’ouvrage de Jean-Claude Belfiore -nom à consonnance franco-italienne-, surprend autant par sa forme que par son contenu, ou plutôt par le matériau à partir duquel il est élaboré.
Dans la préface, appelée Avertissement, l’auteur nous informe que ses grands-parents maternels étaient arméniens. Au cours de circonstances non éclaircies, ils se sont retrouvés en possession de quatre carnets-mémoire écrits par un officier de l’armée ottomane, journal tenu durant la période du 24 avril au 25 mai 1915, soit un mois. Ces carnets ont été transmis à la mère de l’auteur qui les avait gardés au fond d’un chiffonnier. A la mort de celle-ci, l’auteur prend connaissance de ces pages laissées sans titre par leur rédacteur.
Même si la période couverte est brève, ce témoignage est riche en informations saisissantes de faits historiquement avérés, et en détails révélateurs de l’atmosphère de violence et de haine qui régnait à l’époque. Il ne s’agit néanmoins pas seulement d’un livre à charge contre le régime ottoman et ses actes barbares. J-C. Belfiore est un hélléniste et un littéraire, et il a su exploiter toute la charge dramaturgique de cette histoire dans l’Histoire. Azil Kémal, officier de l’armée ottomane, est pris dans un terrible conflit de loyauté personnel. Il est marié à une arménienne dont il est amoureux, avec laquelle il vient d’avoir un enfant, et qui refuse la conversion à l’islam. Il vit un cas de conscience entre l’amour de sa famille (« j’ai épousé une arménienne ») et son métier d’officier de l’armée, constitutif de son identité (« j’ai reçu l’ordre de tuer des arméniens »). Le livre se lit comme un roman historique, l’auteur explorant des thèmes universels tels que la résistance ou la soumission aveugle à l’autorité ; ou le reniement de soi, -perdre son « âme »-, par amour de l’autre ? En dépit des atrocités des massacres rapportés, le lecteur ressort avec une vision complexifiée et peu machiavélique, car à travers différents personnages mis en position de faire des choix tragiques, le récit démonte les ressorts d’une logique situationnelle, qui touche à l’humain, au-delà du bien et du mal.