Maladie et violence ordinaires dans un hôpital malgache
Claire Mestre, anthropologue, psychiatre et thérapeute nous fait partager une immersion lucide et empathique dans l’univers complexe d’un hôpital malgache. Cette recherche et cet itinéraire sont emblématiques d’une nouvelle anthropologie, complémentariste et dialogique, à la fois échange entre l’anthropologue et les acteurs du terrain dans leurs interactions, également co-auteurs de la recherche, tant ils sont entendus et écoutés au plus près. Nous ne sommes pas lecteurs d’une anthropologie froide, jetant un regard distant sur son objet qu’elle va disséquer comme un naturaliste mais dans une forme d’anthropologie clinique attentive à la complexité.
L’hôpital de Toamasina est le microcosme fidèle de la société malgache, une hiérarchie implacable, la rigidité des codes sociaux, les conditions épouvantables pour les plus démunis avec l’omniprésence de la pauvreté, la place de l’appartenance ethnique et des classes sociales avec leurs solidarités et leurs conflits.
La politique de « recouvrement des coût » de santé initiée à Bamako dans les années 1980 pour les systèmes de santé de plusieurs pays d’Afrique, loin d’avoir amélioré les infrastructures de soins et le fonctionnement des systèmes de santé semble avoir au contraire aggravé les inégalités face à la maladie et à la mort.
En examinant tour à tour la place des patients et des soignants, l’auteure nous fait partager au plus près l’atmosphère de cet univers, la suspicion généralisée, la corruption, l’enjeu considérable que représentent les médicaments, bien précieux qui a bien du mal à arriver jusqu’à l’hôpital. Une série de portraits de soignants souligne à la fois les contrainte de cet univers, mais aussi la place du facteur humain, le dévouement et l’intégrité de Sœur Marie, les qualités exceptionnelles d’un cadre de santé ou d’un médecin, mais aussi la frustration, l’impuissance ou la compromission d’autres acteurs non moins importantes pour les soins et la santé des patients. Au-delà de l’hôpital lui-même Claire Mestre nous transporte vers la ville et la rumeur, un hôpital vécu comme menaçant et hostile, lieu de corruption, de sorcellerie, de mort. Il faut tant d’argent pour sauver une vie que certains y renoncent. L’hôpital pour les plus pauvres est l’aboutissement d’un itinéraire quand toutes les autres ressources sont épuisées. C’est un lieu d’espoir mêlé d’effroi, mais qui témoigne aussi des solidarités affectives et matérielles, contrepoint d’une société féroce et pivot de la vie sociale malgache, ce sont des solidarités familiales, ethniques mais aussi celles d’un patron et de collègues de travail. Cependant, les frais d’une hospitalisation peuvent aussi être la ruine d’une famille. La survie du groupe devient une priorité, le groupe va davantage se préoccuper de la mort que de la maladie et il s’agira de mourir sur la terre des ancêtres pour être bien enterré.
Dans une série saisissante de portraits de malades, Claire Mestre nous permet d’appréhender les antagonismes entre les systèmes biomédicaux et les étiologies et soins traditionnels. Si dans le parkinson d’Arsène, le traitement par les esprits ancestraux échoue et que la maladie ne disparaît pas, il réactive les valeurs traditionnelles et la solidarité familiale. Le rituel transforme la représentation de la maladie qui devient le signe d’une élection. Dans leur succession, les portraits de malades décrivent la singularité des troubles, des problématiques, des situations et des personnalités, tout en soulignant les logiques à l’œuvre plutôt concomitantes que hiérarchisées, d’autant plus que le système hospitalier est largement défaillant.
En poursuivant une enquête ethnologique minutieuse et une socio-anthropologie de l’hôpital et de ses différents acteurs, l’auteure nous ouvre, à travers l’hôpital, une fenêtre précieuse sur la société malgache, la place des églises et de l’Etat.
Cet ouvrage sur la souffrance et la violence ordinaire constitue un outil de références sur l’analyse anthropologiques de la maladie et des institutions de soins. C’est un livre important pour l’expatrié, le chercheur, le psychologue et le médecin, mais aussi pour tous ceux qui dans des espaces thérapeutiques peuvent être confronté aux altérités.