L’interprétariat en santé. Pratiques et enjeux d’une communication triadique
Dirigé par Vanessa Piccoli – maîtresse de conférences en sociolinguistique à l’Université Paris Nanterre, Véronique Traverso – linguiste et directrice de recherche au CNRS, ainsi que Nicolas Chambon – sociologue et responsable de la recherche à l’Orspere-Samdarra, cet ouvrage peut être considéré comme le manuel le plus abouti sur la question de l’interprétariat en santé. Regroupant une quarantaine d’articles et plus d’une vingtaine d’auteurs et autrices, il s’appuie à la fois sur un état des lieux de la recherche francophone et anglophone, ainsi que sur le projet Remilas (Réfugiés, migrants et leurs langues face aux services de santé).
L’ouvrage s’ouvre par un chapitre introductif, posant le cadre définitionnel de la réflexion, et permettant au lecteur non spécialiste de découvrir les différents types d’interprétariat, ainsi qu’un état des lieux des pratiques du métier. S’ensuit un deuxième chapitre détaillant la méthodologie de recherche utilisée dans le projet Remilas, fondée sur une approche interactionniste en sociolinguistique appliquée à des entretiens filmés, et revendiquant un niveau élevé de détails dans l’analyse multimodale des pratiques communicationnelles. Tout au long de l’ouvrage, le lecteur est guidé par des verbatims et des photogrammes extraits des vidéos, auxquelles il peut accéder via un site internet dédié.
Après cette première partie introductive, l’ouvrage se déploie en quatre chapitres décrivant les différents aspects du métier d’interprète. Les trois premiers reprennent le découpage proposé par Cécilia Wodensjö dans son ouvrage pionnier : l’interprète comme traducteur, comme médiateur et comme coordinateur, entendu que ces trois facettes sont celles d’une seule et même activité. En se focalisant sur la question de la traduction, le premier chapitre détaille la spécificité de l’interprétariat par rapport à d’autres pratiques traductives, en soulignant l’enjeu capital de la reformulation et en modélisant l’enchaînement des « blocs » de sens à traduire. En consacrant ensuite un chapitre à la médiation, les auteurs associent l’enjeu de la traduction des éléments culturels à une conception élargie de la médiation. Celle-ci inclut en effet un ensemble de transformations du discours inhérentes à leur ré-énonciation orale, une prise de position signifiante lorsque l’interprète choisit de traduire à la première ou à la troisième personne, ainsi qu’une pratique active de repérage et de résolution des malentendus. Le troisième chapitre, abordant le rôle de l’interprète en tant que coordinateur, situe l’analyse dans une dimension interactionnelle, en explicitant les différents procédés régulant la répartition de la parole dans les consultations triadiques. Dans cette partie, figure également un quatrième chapitre sur les émotions de l’interprète, trop souvent silenciées, qui peuvent entraîner une souffrance spécifique au métier, mais qui fondent l’établissement d’une alliance thérapeutique triadique.
Dans une dernière partie, l’ouvrage aborde les débats actuels autour des pratiques professionnelles de l’interprétariat, éclairés par les résultats du projet Remilas. Un chapitre est ainsi consacré aux outils numériques, interprétariat par visioconférence et traduction automatique. Un autre envisage une réflexion plus large sur les rapports de pouvoir dans le champ de la santé à partir de la place de l’interprète. Enfin, un ultime chapitre aborde la question de la formation des interprètes, constatant que celle-ci a tardé à se développer et ne répond toujours pas systématiquement aux besoins. Sont alors présentés certains outils innovants comme Odimedi, outil d’autoformation numérique développé dans le cadre du projet Remilas.
Composé de vignettes de quelques pages abordant une question concrète dotée d’une bibliographie dédiée, cet ouvrage aidera tout acteur du champ médicosocial travaillant avec des interprètes à repenser ses pratiques. Il satisfera également tout lecteur désireux d’assister à la réalité complexe des consultations, ce qu’il peut faire grâce aux extraits vidéos et à la granularité des analyses. Toutefois, assumant pleinement son caractère de manuel et sa focalisation sur les pratiques, le livre ne propose pas une réflexion théorique sur une philosophie du traduire, ce que d’autres auteurs comme Souleymane Bachir Diagne ou Tiphaine Samoyault mettent en œuvre dans leurs essais, suivant une démarche et une méthodologie radicalement différentes dialoguant de manière féconde avec cet ouvrage.