L’Évangile du démon. La Possession diabolique d’Aix-en-Provence (1610-1611)
Que faire du désordre introduit par le désir dans un société ? des faiblesses et des vulnérabilités des humains ? Cette question est au cœur des fameuses affaires de possession diabolique qui secouèrent de manière parfois spectaculaire plusieurs villes françaises au XVIIe siècle. On connaissait déjà la fameuse affaire de Loudun, si magnifiquement étudiée par Michel de Certeau, et qui donna lieu à plusieurs films, livres et même un opéra. Voici celle d’Aix, moins spectaculaire, moins fascinante, mais qui ne manque pas d’intérêt. Au départ quelque chose de banal, de jeunes religieuses ursulines et un brave curé bon vivant, séduisant sans être charismatique, somme toute un fait divers pourrait-on dire, si la question du diable et de son influence sur les humains ne venait s’en mêler, à une époque et dans une société où l’on ne plaisante pas avec la religion au point qu’on se soit déchiré par la guerre civile, où les questions ouvertes par la Réforme ont à ce point travaillé le corps social, qu’un roi au moins (Henri IV) a été assassiné. L’auteur montre comment cette petite affaire a été saisie par quelques clercs (théologiens) qui ont voulu en faire le lieu d’une démonstration politique et prosélyte, par le moyen d’une cérémonie d’exorcisme public spectaculaire où s’affrontent prêtres et « démons » par l’intermédiaire de ces jeunes filles « ensorcelées », et à propos duquel se confrontent de multiples acteurs et une pluralité de discours. Par moment, au-delà des faits, le récit rappelle de manière quelque peu tragicomique l’ambiance du Nom de la rose. Dans cette société hantée par le doute ouvert par le principe réformé du libre examen, le scepticisme et l’esprit critique, l’exorcisme apparait surtout comme l’instrument médiatique pour diffuser et convaincre d’une vérité religieuse. Il n’est pas le lieu d’une guérison des souffrances de jeunes filles hystériques ou anorexiques et quelque peu tourmentées par les désirs corporels et les errances de leur imaginaire. Plutôt le terrain d’une logomachie politico religieuse, la mise en œuvre de stratégies discursives (religieuses, judiciaires, littéraires). Derrière toute cette machinerie langagière, demeure l’énigme de la « possédée » et de son « influenceur » pour qui le costume de truchement du Diable parait bien peu ajusté. La « possédée » pour sa part oscille, du fait de sa fragilité et de sa position de genre du statut de véhicule du diabolique à une possible figure mystique, comme on s’interroge sur la capacité du Diable à dire la vérité ou à mentir, à travers sa victime, ouvrant une vertigineuse béance sur le statut de la vérité religieuse. C’est un livre bien passionnant, très exotique tant les problématiques de l’époque paraissent bien éloignées. Il apportera sans doute des éléments de comparison (suggérés par l’auteur) tant le « diabolique » parait souvent ressurgir dans nos temps d’incertitude et de post modernité inquiète et parfois dangereusement mouvante.