Leurs enfants dans la ville - Enquête auprès de parents à Paris et à Milan
Certains ont le souvenir d’enfants en vadrouille, s’ébrouant sur un coin de trottoir, poussant le ballon en bas des barres d’immeuble. La ville comme terrain de jeu et ses chemins de traverse. L’imagerie populaire, de la bande dessinée Boule et Bill au film les 400 coups de François Truffaut, paraît à présent datée. Clément Rivière, maître de conférences à l’université de Lille, part de ce constat : les enfants ont disparu des rues. Il réalise une enquête passionnante qui permet de rendre compte des facteurs qui ont amené à cette disparition, en passant par ce que peuvent en dire les parents. À Milan et Paris, il s’arrête dans deux quartiers socialement hétérogènes (le XIXe arrondissement de Paris entre la Villette et Belleville, et le triangle Monza-Padova à la périphérie de Milan), observe les dynamiques à l’œuvre dans les rues de ces morceaux urbains soigneusement choisis et interroge des parents aussi bien issus de milieux aisés que de classe populaire. On parcourt son livre en réalisant avec lui des allers- retours entre des extraits de propos des personnes interrogées et les réflexions qui en découlent, avec une certaine fluidité. Les parties elles-mêmes, taillées avec précision, sont d’une logique déconcertante : après nous avoir présenté les souvenirs qu’ont les parents de leur propre enfance en contraste de ce qu’ils observent des pratiques urbaines de leurs enfants, puis en analysant les différenciations à l’œuvre : selon le milieu social ou le sexe, selon le contexte propre à chaque ville et chaque pays. Cet enchevêtrement entre ce qu’espèrent les parents, ce qu’ils craignent et ce qu’ils impulsent en encadrant l’espace des possibles de leurs enfants donne à voir également un dialogue des parents avec eux-mêmes. Les mères, par exemple, ont à l’esprit les dangers liés à l’envahissement masculin de l’espace public urbain, auxquels elles-mêmes ont pu être exposées, lorsqu’elles exigent de leurs filles qu’elles évitent les risques possibles et qu’elles se fassent discrètes. Seule la parole des enfants eux-mêmes manque. Ceux qui se laissent prendre par ces dynamiques de contrôle de leurs extérieurs, ces « enfants d’intérieur » qui depuis les confinements de 2020 et 2021 (qui ont fait suite à l’épidémie de Covid-19) ont eu à se garder d’une menace de plus. Mais aussi ceux qui y échappent. Car la fugue n’est pas l’apanage des Antoine Doinel d’antan. Il y a enfin dans certains coins des villes des enfants qui ont un autre visage : dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris, des enfants des rues venus de certains pays du Maghreb errent en bande. Ils sont autrement visibles et n’ont pas de parents. On aimerait parfois croire que ce ne sont pas nos enfants.